Monsieur le Premier Ministre a considéré samedi 14 mars, que :

" La nostalgie, et notamment la nostalgie de l'Algérie française, n'apportera rien de bon. Aujourd'hui, on a besoin de regarder l'avenir avec de l'optimisme et le Front national n'aime pas la France ".

Le grand pourfendeur des " amalgames " et des " stigmatisations ", ne se prive pas de stigmatiser et d'amalgamer une communauté avec un parti politique qu'il juge anti républicain.
La décision du maire de Béziers Robert Menard de débaptiser la rue du 19 mars 1962, pour lui donner le nom de Hélie de Saint Marc, a suscité des commentaires aussi déplacés que ridicules de la part de la gauche et de l'ultra gauche.
Manuel Valls a enfourché son destrier blanc pour redéfinir le bien et le mal, le doux et le rance, le vrai et le faux.
Revenons sur l'amalgame.
Le fait que le maire de Béziers, proche du Front National ait pris cette décision, ne fait pas de tous les participants, principalement Pieds-Noirs, des électeurs de ce parti. Identiquement, lorsque des manifestants défilent au coude à coude dans des défilés avec la CGT ce ne sont pas forcément des adhérents.
On peut partager sur certains points des convergences et cependant être totalement indépendants des alliés d'un jour. Si Monsieur le Premier Ministre considère que le Front National est un parti anti républicain, lui et ses amis politiques auraient dû l'interdire avant qu'il n'atteigne 25 % des suffrages. Ils auraient donc dû empêcher leur idole, le Président " socialiste " François Mitterrand de mettre en pleine lumière une formation politique qu'ils considèrent comme fasciste et anti démocratique. Il est vrai qu'en ce temps là, le FN aspirait le nombre de voix nécessaire à la "droite républicaine" et assurait aux socialistes de remporter des sièges précieux pour la prise en main du pays.
Monsieur le Premier Ministre et ses camarades qui n'étaient pas au biberon dans ces années là et qui aujourd'hui poussent des cris de vierges effarouchées, semblent découvrir un phénomène qu'ils ont créé et conforté du fait de leurs errements, de leurs aveuglements et de leurs magouilles politiciennes.
Quand on protège le loup, il ne faut pas s'étonner ensuite qu'il dévore quelques brebis.
Les stratégies électorales ont leurs limites. Mais lorsque l'on est aveugle, on reproche au borgne de profiter de la situation.

Pour ce qui est de la " nostalgie qui n'apporte rien de bon ", il y a là aussi, des interdictions mémorielles.

Si vous êtes royalistes vous devez vous taire et oublier que ce sont les rois qui ont fait la France.
Vous devrez par contre, célébrer avec faste, les lumières et la révolution de 1789 où la peine de mort était la règle, où le génocide était recommandé, où les dénonciations et les complots étaient les règles en vigueur.
Evitez simplement de souligner que les sans culottes se comportaient parfois comme les barbares qui détruisent Mossoul, en saccageant les édifices religieux et historiques, pour qu'il ne reste rien de ce qu'il y avait avant.
Et puis, vantez Voltaire, le symbole de la liberté d'expression qui serait embastillé de nos jours pour avoir proféré ce genre d'ignominie :

" C'est à regret que je parle des Juifs : cette nation est, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre ".

Si vous étiez d'une famille de catholiques pratiquants, taisez vous donc ! La loi de 1905 a tout effacé. Les portes des églises ouvertes à coup de haches, les curés persécutés, molestés trucidés, les églises profanées au bénéfice de la sacro sainte laïcité.

Si les Républicains espagnols vous sont sympathiques, portez-les aux nues sans mentionner les massacres de curés et d'anarchistes. Parlez de terreur blanche, mais surtout pas de terreur rouge. N'oubliez pas de célébrer la mort de Franco, une victoire sur la tyrannie.
Fêtez Stalingrad et occultez Katyn.
Pleurez à Buchenwald ou à Dachau et négligez les goulags et Pol pot

Célébrez le 19 mars, jour d'application d'accords de principe, pris sans que l'intégralité des tendances soient consultées, mais effacez les êtres humains, disparus, massacrés ou arrachés à leur terre natale.

Commémorez le 17 octobre 1961 et empêchez les célébrations du 26 mars 1962 où l'armée française décima des civils patriotes désarmés, sous les plis du drapeau français…

Je ne suis pas électeur de Béziers, Monsieur Ménard n'est pas mon gourou, je n'ai pas ma carte au FN, mais je préfère que l'on donne le nom d'une rue à un résistant, plutôt qu'à Maurice Thorez, grand déserteur devant l'éternel ; à un combattant des rizières, plutôt qu'à Lénine, théoricien de la haine ; à un déporté plutôt qu'à Staline inventeur des camps de concentration ; à un patriote, plutôt qu'à Ho-chi-minh qui a exterminé plus de 7000 prisonniers français.

Oui M Monsieur le Premier ministre, vous qui abhorrez " l'apartheid ", vous exigez un apartheid mémoriel.
Et non, Monsieur le Premier ministre, tous les français ne sont pas tout à fait prêts à célébrer avec Aragon :

" le Guépéou contre Dieu Chiappe et la Marseillaise ".

Hélie de Saint-Marc : nostalgie interdite

Est-il donc vraiment « rance » et « triste » de refuser de célébrer un jour qui marque, pour soi-même et pour les siens, le début du malheur, du déracinement, de la ruine, sans parler de la mort de proches disparus par milliers ? Est-il donc « rance » de ne pas vouloir gratter la plaie ouverte par les horreurs de l’histoire ? Telle est la question qu’aurait pu se poser le premier ministre Manuel Valls avant de s’insurger, lors d’une réunion à Saint-Brieuc samedi 14 mars, contre la décision de Robert Ménard et du conseil municipal de Béziers de débaptiser une rue du 19 mars 1962, la date des accords d’Evian, pour lui donner le nom de l’un des plus purs héros de notre temps, Hélie Denoix de Saint-Marc, élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur en novembre 2011 ?
Valls précise qu’il faut regarder vers l’avenir, et savoir se montrer optimiste : mais quitte à l’être, est-on vraiment forcé de saluer le malheur – celui qui chassa tant d’hommes d’un pays où étaient enterrés leurs arrière-grands-parents, et qui provoqua l’assassinat atroce de dizaines de milliers de soldats qui avaient naïvement cru en la parole de la France ? Ou vaut- il mieux honorer la mémoire d’un officier qui, pour l’honneur, avait prétendu combattre jusqu’au bout, jusqu’à la désobéissance et à la rébellion, de même que vingt ans plus tôt, il avait lutté dans la résistance jusqu’à sa déportation à Buchenwald ?

Que Valls se scandalise d’une prétendue « nostalgie de l’Algérie française » dont il laisse entendre qu’elle serait factieuse et antirépublicaine, hésitant peut-être à qualifier de « fascistes » des descendants de communards ou de marchands juifs de Bab-el-Oued, c’est son affaire. Mais on a tout de même un peu de peine à comprendre, chez un homme de gauche toujours prêt à s’émouvoir, cette sécheresse de cœur, ce manque d’empathie à la douleur d’autrui – et en l’occurrence, à celle des Pieds-noirs qui, à Béziers, ont pu ressentir ce changement de dénomination, non point comme une revanche, ni a fortiori comme une vengeance, mais peut-être comme un infime soulagement. Une goutte de baume au cœur. On le comprend d’autant plus mal que ce tout petit événement n’intéresse en rien les fonctions éminentes d’un Premier ministre, qu’ il n’affecte nullement la politique générale du gouvernement, et qu’au pire, il n’aurait dû susciter, à Matignon, qu’une indifférence polie. Quant à l’argument infiniment rabâché de l’unité nationale, qui justifierait que l’on fustige une telle initiative comme anti française, le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas recevable. Car en quoi l’unité nationale et l’amour de la France légitimeraient-ils la situation de parias dans laquelle ce discours installe ceux qui ont eu le malheur de naître Français en Algérie ? Pourquoi eux seuls n’auraient-ils pas le droit de célébrer leur passé ? Eux seuls : car à l’inverse, imagine-t-on le tollé si notre bon Monsieur Valls avait interdit aux Français issus de l’immigration, comme on dit, d’éprouver quelque nostalgie en songeant au pays de leur enfance ?

Et en définitive, c’est sans doute là que se trouve le véritable scandale. Non point dans le fait de rebaptiser une petite rue d’une petite ville du sud-ouest de la France, mais en ce que le Premier ministre se soit publiquement scandalisé de ce qu’une certaine catégorie de Français refuse de renoncer à la mémoire.
http://www.causeur.fr/helie-saint-marc-beziers-valls-31885.html#

Qui est rance, qui est triste ?

Le Premier ministre, qui aime beaucoup cette phrase, continue à reprocher au FN de "ne pas aimer la France".
Pourquoi pas s'il considère qu'il n'y a qu'une façon de l'aimer : la sienne, celle des socialistes ? Une seule manière de dénoncer ce qu'il appelle la haine et la stigmatisation, par l'expression d'une haine et d'une stigmatisation encore plus virulentes ?

Mais Manuel Valls a cru bon d'ajouter à sa diatribe usuelle ces deux qualifications : "C'est rance, c'est triste".
Certes elles s'appliquent au FN mais je ne doute pas que dans son esprit elles visent bien au-delà et concernent, par exemple, l'attitude d'un Michel Onfray qui a eu le front de préférer l'exigence de vérité à l'adhésion partisane.
Elles se rapportent probablement à cet univers dangereux, imprévisible, libre et résistant qui s'oppose au catéchisme de gauche et aux prétendues "valeurs" républicaines alors que, comme le dit très bien Denis Tillinac, il n'y a pas de "valeurs" républicaines mais seulement des principes (Le Figaro).

Je suis d'autant plus frappé par l'utilisation de ces deux adjectifs que ces derniers jours tout au contraire a démontré que le "rance" et le "triste" avaient définitivement, et pour longtemps, changé de camp.
Et que cela entraîne un bouleversement dont la bien-pensance socialiste et la religiosité démocratique vont avoir du mal à se remettre.

Rance, triste, Denis Tillinac que je viens d'évoquer ? Alors que dans un entretien éblouissant, il offre des réponses lucides et des constats sans complaisance. Quand sur la droite, sur le FN, sur la gauche, sur le "champ épistémologique qui pour la première fois depuis la Libération n'est plus à gauche", sur les symboles et la mythologie qui ne sont pas ceux du socialisme, sur la France et sur son avenir, il formule de profondes évidences qui, si longtemps tues, font du bien à l'esprit et au coeur (Le Figaro).

Rance, triste, Michel Onfray auquel Franz-Oivier Giesbert rend justice dans un remarquable numéro du Point qui lui est principalement consacré ? Alors que "ce philosophe qui secoue la France" et qui aspire à une vraie gauche démolit avec allégresse et fureur la piètre et navrante attaque de Manuel Valls à son encontre, glorifie la liberté et l'intelligence critique, dénonce les élitismes sans consistance ni légitimité et, avec une sincérité nue et une pudeur délicate, redonne vie à tous ceux qui l'ont aimé, formé, aidé et sauvé.

Rances, tristes, ces hussards de la pensée, ces bretteurs qui ne sont pas d'estrade ? Rance, triste, Sylvain Tesson qui vient de se voir octroyer le Prix des Hussards pour son formidable récit, "Berezina", mêlant la bravoure de l'armée de Napoléon, lors de la retraite de Russie, à des morceaux de bravoure littéraires, épiques, revigorants et nostalgiques sur le courage, la gloire, l'honneur et une éthique de l'audace et du risque qui vient battre en brèche les prudences et sectarismes idéologiques d'aujourd'hui ?

Je prends garde de ne pas oublier Robert Ménard le pestiféré d'élection, l'ennemi privilégié ! Rance et triste, Robert Ménard parce qu'il éprouverait "la nostalgie de l'Algérie française", ressentirait une fidélité émue à l'égard de son père et serait encore horrifié par les massacres qui ont suivi le cessez-le-feu du 19 mars 1962 ?

Je n'aurais pas débaptisé cette rue de Béziers même si je comprends sa démarche. Elle a été approuvée par un Conseil municipal dans lequel le FN n'a que trois conseillers. Le culte familial et la volonté légitime de remettre en lumière les pages tragiques et contrastées de la guerre d'Algérie n'exigeaient pas forcément cette consécration municipale même si Hélie de Saint Marc, héros pour les uns, factieux réhabilité pour d'autres et, pour tous, homme respecté et intègre, n'était pas indigne de cet honneur.

Je pourrais continuer cette liste et y ajouter, par exemple, Eric Zemmour, Ivan Rioufol - qui un jour, peut-être, nous surprendra -, Alain Finkielkraut, Gilles-William Goldnadel et Régis Debray, en tout cas avant qu'il soit engoncé dans sa posture figée pour l'éternité.

On aurait tort de ne la juger que concernée par la politique. Pour peu qu'on se penche sur le clientélisme de la critique littéraire - les quotidiens et les hebdomadaires se reconnaîtront ! -, j'ose soutenir qu'un Patrick Besson, se payant avec une ironie féroce l'esprit de sérieux du Monde des livres et de son mentor Jean Birnbaum, aurait sa place dans ce camp des rebelles tous azimuts.

Aussi contradictoires qu'ils puissent apparaître, ils ont cependant un point commun : ils brisent les écorces superficielles, mettent en pièces les fausses réputations, se battent, résistent et même aujourd'hui contre-attaquent. On les voit, on les écoute, on les lit. Cette hégémonie de la réaction au sens noble du terme doit avoir pour conséquence de leur faire abandonner, pour tel ou tel, la posture de martyr. C'est d'ailleurs un danger que ces avancées médiatiques qui pourraient à force les conduire vers un discours convenu, prévisible, à la provocation programmée.

Tout de même, qu'on les compare avec les Minc, Attali et BHL tristement officiels, répétitifs, consultés sur tout, péremptoires sur tout ! Ni rances ni tristes mais assurés d'eux-mêmes sans l'ombre d'un doute, d'une hésitation. C'est pire.

Définitivement, ces médiocres attributs relèvent de cette chape de plomb qu'on prétend nous imposer pour notre bien, apposer sur nos vies, nos divertissements, nos choix et notre crépuscule. De ce gouvernement sur nos destinées de la part d'un gouvernement impuissant face à l'essentiel. De ce totalitarisme mou, doux et corrupteur. De ces injonctions permanentes qui nous ordonnent, au nom de la République devenue un concept vide à force d'être exploitée, de penser "juste", de parler "bien" et d'écrire "convenable". De préférer la banalité bête au soufre intelligent. Le lit confortable des idées toutes faites à l'inconfort stimulant des contradictions et des surprises. La facilité de la haine à la vigueur convaincante parce que courtoise de l'affrontement politique et démocratique.

Pardon, monsieur le Premier ministre, mais votre camp largement entendu et composé n'est ni d'une première fraîcheur ni follement gai !
Philippe Bilger
http://www.philippebilger.com/blog/2015/03/qui-est-rance-qui-est-triste-.html

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Mis en ligne le 24 mars 2015

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