L'incroyable levée de bouclier qu'à suscité le changement de nom d'une petite rue d'un minuscule lotissement, dans un petit quartier de Béziers, tient de la mesquinerie démesurée.
J'ai lu à ce sujet, des opinions tellement virulentes dans leurs expressions, que je me demande si parfois, ce pays ne perd pas la tête.

Hélie Denoix de Saint Marc, serait donc indigne d'être honoré à titre posthume.
J'ai tout entendu. Saint Marc était un fasciste, tortionnaire, puchiste, membre de l'OAS, et donc indigne d'une quelconque reconnaissance.
Ce grand soldat et patriote, est vilipendé pour une période de son passé où il a préféré écouter sa conscience que suivre le chemin de l'obéissance aveugle. Ses accusateurs à coups de qualificatifs outranciers fustigent la mémoire d'un homme au service de la France.

On évoque du bout des lèvres son engagement dans la résistance à 19 ans et sa déportation à Buchenwald à 21 ans comme un accident de parcours en oubliant qu'à l'âge où, de nos jours, on se traine en poursuivant des études qu'on ne rattrape jamais, ou en vivant de subsides divers et variés, il était déjà impliqué dans la défense de sa patrie. Certes ce mot est aujourd'hui incongru pour des jeunes hommes qui ne connaissent de l'histoire que des bribes, pitoyables ruines que l'enseignement qui leur a été donné, leur a légué de l'édifice national.

La vie d'un homme résumée par des adjectifs où percent le dédain, le mépris et l'exclusion.
Les humanistes qui l'insultent regrettent qu'il n'ait pas fini avec douze balles dans la peau dans les fossés de Vincennes. Ils n'en sont pas à une contradiction près.

Passons sur l'invective de fasciste qui est distribuée aussi généreusement que la légion d'honneur aux people du show biz. Son combat contre les nazis rend cette accusation ridicule.

En 1957 il est adjoint du Général Massu dans la bataille d'Alger à l'heure où les politiques incapables de décider, s'en remettent à l'armée pour accomplir les taches policières et les basses besognes du maintien de l'ordre. Les procureurs trouvent ignoble, qu'il n'ait pas exprimé des regrets pour LA torture et qu'il ait servi loyalement sa hiérarchie.
Ses détracteurs, eux non plu, n'ont jamais dénoncé les tortures du camp d'en face.

Commandant du 1er Régiment étranger de parachutistes, il a rejoint le " putsch " d'avril 1961 avec l'espérance de pouvoir sauver les populations compromises par le pouvoir politique et qui comme en Indochine, s'étaient engagées à nos cotés en sacrifiant leur vie à la " France grande et généreuse ".
L'aventure terminée, il s'est rendu aux autorités en prenant ses responsabilités à l'égard de ceux qui s'étaient compromis en répondant à son appel.

Pour les ahuris fâchés avec la chronologie, il n'a jamais fait partie de l'OAS pour la simple et bonne raison que de 1961 à 1966, il était emprisonné à Tulle.

On lui reproche, de n'avoir jamais désavoué les combattants de l'armée secrète. Il aurait dû donc hurler avec les loups et condamner ceux qui avaient choisi de poursuivre le combat. De ce fait il est De facto membre d'une organisation selon le principe du " qui ne dit mot consent ".

Enfin, il n'est pas commandant mais commandant par intérim. On l'accuse presque d'usurpation de grade en oubliant qu'un général de brigade à titre temporaire ne se privait d'apparaître pour dénoncer le " pronunciamiento ", coiffé d'un képi aux deux étoiles.
On ne pourra cependant pas lui reprocher de s'être attribué la longue liste des décorations obtenues dans le sang, la sueur et les larmes.

C'est un signe des temps. Des sportifs qui périssent dans un accident au cours d'un jeu télévisé ont droit à la une des journaux, à des reportages en continu sur les chaînes d'infos pendant trois jours. L'émotion légitime devant ce destin injuste qui frappe des jeunes en pleine santé, est entretenue jusqu'à l'excès. Leur fin horrible est détaillée jusqu'à l'indécence, sans même respecter la douleur et la dignité des familles éplorées.
Le soldat qui meurt pour la France en Afghanistan ou au Mali, a droit à un flash d'information, un entrefilet dans les journaux et reçoit les hommages de la nation au cours d'une cérémonie confidentielle dans la cour des Invalides où la majorité des représentants de l'état n'ont même pas la correction d'être présents.
Il est vrai que le soldat est payé pour ça. Pour que notre tranquillité s'habille d'indifférence. Pour que nous puissions nous délecter des débilités de la téléréalité et que nous jouissions sans entrave de nos petits plaisirs égoïstes, bien à l'abri dans notre confort dérisoire. Nous avons alors beau jeu de décerner des leçons de morale et juger des situations dont les horreurs nous sont inconnues et les cas de conscience qu'elles induisent parfaitement étrangers.
Qu'importe qu'il crève dans les rizières du Tonkin ou dans les sables d'Afrique, ce n'est pas de mon fils dont il s'agit mais d'un aventurier engagé. Il n'avait qu'à pas signer !

Helie Denoix de Saint Marc à commis le plus grand des crimes. Il était partisan de l'Algérie française et ça c'est impardonnable. On peut aimer Trotski, idolâtrer Castro, s'habiller en Che Guevara ou porter un col Mao, tout, mais pas ça !!

Pour terminer ces réflexions, je voudrais citer deux propos de soldats ; deux orientations différentes de Saint Marc. Les choix dans cette période, ont été diamétralement opposés, mais la considération cependant pour ce grand soldat est intacte. C'est ce genre de dialogue qui permet la compréhension et le respect entre deux êtres que tout oppose. Un vrai dialogue d'hommes, enfin.

" J'étais soldat du contingent, nous ne vous avons pas suivis (les putschistes), et mon ascendance militaire fait que je ne peux approuver la rébellion contre le Président de la République, chef des armées. Cela dit, vous qui étiez un modèle de loyalisme, je me doute que vous avez basculé pour des raisons qui, à vous, semblaient nobles. Je connais votre parcours et je peux comprendre, même en le désavouant, votre ralliement aux généraux putschistes. "
http://sortiedequiescence.blogs.nouvelobs.com/archive/2013/08/26/un-regard-clair-une-parole-lucide-tulle-489259.html
" J'ai choisi la discipline, mais choisissant la discipline, j'ai également choisi avec mes concitoyens et la nation française, la honte d'un abandon, et pour ceux qui, n'ayant pas supporté cette honte, se sont révoltés contre elle, l'Histoire dira peut-être que leur crime est moins grand que le nôtre ".
(Général De Pouilly commandant en chef de la région d'Oran qui a refusé de se joindre au général Challe)

Comme quoi, il n'est pas nécessaire de partager des opinions pour se comprendre et se poser la question :

Qu'aurais je fais moi, à ta place ?

Déclaration d'Hélie Denoix de Saint Marc devant le haut tribunal militaire, le 5 juin 1961.

" Ce que j'ai à dire sera simple et sera court. Depuis mon âge d'homme, Monsieur le président, j'ai vécu pas mal d'épreuves : la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d'Algérie, Suez, et puis encore la guerre d'Algérie...
" En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l'adversaire, maintenir l'intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l'égalité politique.
" On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire. Nous avons mis dans l'accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes. Nous y avons gagné l'indifférence, l'incompréhension de beaucoup, les injures de certains.
Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.
" Et puis un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution incompréhensible pour nous.
Tout le monde la connaît. Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu'il fallait apprendre à envisager l'abandon possible de l'Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d'un cœur léger. Alors nous avons pleuré.
L'angoisse a fait place en nos cœurs au désespoir.
" Nous nous souvenions de quinze années de sacrifices inutiles, de quinze années d'abus de confiance et de reniement. Nous nous souvenions de l'évacuation de la Haute-Région, des villageois accrochés à nos camions, qui, à bout de forces, tombaient en pleurant dans la poussière de la route.
Nous nous souvenions de Diên Biên Phû, de l'entrée du Vietminh à Hanoï. Nous nous souvenions de la stupeur et du mépris de nos camarades de combat vietnamiens en apprenant notre départ du Tonkin. Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous et dont les habitants avaient été massacrés. Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre les bateaux français.
" Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d'Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et mechtas d'Algérie :
" L'Armée nous protégera, l'armée restera ". Nous pensions à notre honneur perdu.
" Alors le général Challe est arrivé, ce grand chef que nous aimions et que nous admirions et qui, comme le maréchal de Lattre en Indochine, avait su nous donner l'espoir et la victoire.
" Le général Challe m'a vu. Il m'a rappelé la situation militaire. Il m'a dit qu'il fallait terminer une victoire presque entièrement acquise et qu'il était venu pour cela. Il m'a dit que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s'étaient engagées à nos côtés.
Que nous devions sauver notre honneur.
" Alors j'ai suivi le général Challe. Et aujourd'hui, je suis devant vous pour répondre de mes actes et de ceux des officiers du 1er REP, car ils ont agi sur mes ordres.
" Monsieur le président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c'est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer. Oh ! je sais, Monsieur le président, il y a l'obéissance, il y a la discipline. Ce drame de la discipline militaire a été douloureusement vécu par la génération d'officiers qui nous a précédés, par nos aînés.
Nous-mêmes l'avons connu, à notre petit échelon, jadis, comme élèves officiers ou comme jeunes garçons préparant Saint-Cyr. Croyez bien que ce drame de la discipline a pesé de nouveau lourdement et douloureusement sur nos épaules, devant le destin de l'Algérie, terre ardente et courageuse, à laquelle nous sommes attachés aussi passionnément que nos provinces natales.
" Monsieur le président, j'ai sacrifié vingt années de ma vie à la France. Depuis quinze ans, je suis officier de Légion. Depuis quinze ans, je me bats. Depuis quinze ans j'ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé.
" C'est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d'honneur, que le 21 avril, à treize heure trente, devant le général Challe, j'ai fait mon libre choix.
" Terminé, Monsieur le président. "

Décorations
" Grand-croix de la Légion d'honneur, en date du 25 novembre 2011
" Croix de guerre 1939-1945 avec 1 citation
" Croix de guerre des TOE avec 8 citations
" Croix de la valeur militaire avec 4 citations
" Médaille des évadés
" Médaille de la résistance
" Croix du combattant volontaire de la Résistance
" Croix du combattant
" Médaille coloniale avec agrafe " Extrême-Orient "
" Médaille commémorative de la guerre 1939-1945
" Médaille de la déportation et de l'internement pour faits de Résistance
" Médaille commémorative de la campagne d'Indochine
" Médaille commémorative des opérations du Moyen-Orient (1956)
" Médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l'ordre en Afrique du Nord (1958) avec agrafes " Algérie " et " Tunisie "
" Insigne des blessés militaires (2)
" Officier dans l'ordre du mérite civil Taï Sip Hoc Chau

Décès du résistant Hélie Denoix de Saint Marc

Déporté à Buchenwald et "soldat perdu" condamné à dix ans de réclusion criminelle après le putsch manqué d'Alger, Hélie Denoix de Saint Marc, décédé lundi à l'âge de 91 ans, symbolisait les déchirements de la France de la Résistance à la guerre d'Algérie. "Je n'ai pas réussi dans la vie. Je ne suis pas un grand chanteur ou un grand industriel. Mais je crois avoir réussi ma vie", confiait-il en novembre 2011 à la veille de son élévation à la dignité de grand'croix de la Légion d'honneur, la plus haute distinction de la République.
Cassé par les rhumatismes, il se déplaçait avec difficulté mais ses yeux clairs gardaient toujours une lueur amusée. Né le 11 février 1922 dans une grande famille bordelaise maurassienne, il s'engage dès l'âge de 19 ans dans le réseau Jade-Amicol, réseau de résistance du Sud-Ouest, chargé du passage des aviateurs anglais abattus vers l'Espagne. Trahi, il est arrêté le 13 juillet 1943 à Perpignan. Déporté à Buchenwald puis à Langenstein, il est libéré d'extrême justesse, inconscient et squelettique dans le baraquement des mourants, parmi les 30 survivants d'un convoi de 1 000 déportés. A son retour en France, il choisit la Légion étrangère à sa sortie de Saint-Cyr et part en juin 1948 pour l'Indochine, "la première des guerres orphelines" où il découvre la guerre, "horreur du monde rassemblée dans un paroxysme de crasse, de sang, de larmes." Dès lors, il sera un très brillant officier, accumulant les citations. Treize au total, dont sept pour l'Indochine, sans compter la croix de chevalier de la Légion d'honneur à 30 ans.
Le jeune officier, ébloui par la beauté du pays, est affecté au poste de Talung, à la frontière de la Chine. Il reçoit au bout de 18 mois l'ordre d'évacuer, abandonnant villageois et partisans aux représailles du Vietminh, une "honte" qui ne cessera de le hanter.
"Je ne regrette rien"
Après l'amère campagne de Suez, en 1956, il débarque à Alger où il se charge des relations avec la presse. Comme une partie de l'armée, il s'inquiète du revirement du général de Gaulle en 1959, qui prône l'autodétermination, après cinq ans de guerre pour maintenir l'Algérie française. "J'étais légaliste, et nous avions bien conscience que le statut colonial avait fait son temps. Mais une partie des musulmans se battait à nos côtés et je me souvenais du Vietnam, où nous avions abandonné une population à qui nous avions promis la protection", racontait-il en 2011.
Commandant par intérim du 1er Régiment étranger de parachutistes (REP), il cède aux arguments du général Challe. Il se dit "certain qu'il ne s'agit ni d'un coup d'Etat fasciste ni d'une action à tendance raciste". Il participe à la prise d'Alger à la tête de son unité, fer de lance du putsch qui échoue. Le 1er REP est dissous et les légionnaires quittent leur camp de Zeralda en chantant "Je ne regrette rien."
L'officier de 39 ans, marié et père de deux petites filles, comparait en juin 1961 devant le Haut tribunal militaire en grand uniforme, décorations pendantes, coiffé de son béret vert de légionnaire. Le 5 juin, après un délibéré d'une heure, Hélie Denoix de Saint Marc est condamné à dix ans de réclusion et radié de l'ordre de la Légion d'honneur. "C'était ma deuxième détention. Sans trop savoir pourquoi, j'ai pensé à un sandwich. J'étais un homme entre deux couches de prison", raconte-t-il dans "L'aventure et l'espérance". Gracié en décembre 1966, il sort de la prison de Tulle sans maison ni métier, dans un pays qu'il reconnaît à peine. Il saisit alors la main tendue par un an
cien déporté, à Lyon et entre dans une imprimerie. Réhabilité en 1978, il sort de son silence en 1995 dans ses mémoires "Les champs de la braise", écrits par Laurent Beccaria, prix Femina de l'essai. Suivront une dizaine d'ouvrages, dont "Notre histoire, 1922-1945", en collaboration avec un écrivain et ancien officier allemand, August von Kageneck.
26 août 2013
http://www.liberation.fr/societe/2013/08/26/deces-du-resistant-helie-denoix-de-saint-marc_927107

Hélie de Saint Marc, homme de refus et de réconciliation

L'ancien officier, honoré samedi par le maire de Béziers Robert Ménard, s'est éteint en 2013 à l'âge de 91 ans. Il était devenu plus qu'un écrivain à succès, une référence morale et historique.

Hélie de Saint Marc connut un destin exceptionnel. Ne serait-ce que parce qu'au cours de sa longue vie il fut successivement l'homme de l'humiliation, de l'engagement, de la proscription avant d'être finalement réhabilité.
Humiliation: au printemps 1940, un adolescent assiste à Bordeaux à l'arrivée de l'armée française en déroute. Peu après, il entre dans la Résistance, décide de gagner l'Espagne, avant d'être arrêté dans les Pyrénées et déporté en Allemagne, au redoutable camp de travail de Langenstein.
Engagement : en 1945, un rescapé mal à l'aise dans la France de la Libération délaisse le statut que peut lui conférer son passé incontestable de résistant déporté, pour endosser la défroque mal taillée d'officier de la Légion étrangère. Avec l'armée française, il plonge dans une guerre incertaine en Indochine.
Proscription : en avril 1961, le commandant en second du 1er REP choisit la sédition pour protester contre la politique algérienne du général de Gaulle. Après l'échec du putsch, il connaît la prison.
Réhabilitation: longtemps, Hélie de Saint Marc reste silencieux, muré dans ses souffrances, acceptant son manteau de paria. Jusqu'à ce que l'amitié quasi paternelle qu'il porte à son neveu, l'éditeur Laurent Beccaria, le pousse à accepter de témoigner.
En 1989, Hélie Denoix de Saint Marc témoigne dans l'émission Apostrophes en 1989, après la sortie de sa biographie. L'ancien officier, sorti de prison en 1966, qui vit paisiblement à Lyon, en pratiquant avec bonheur l'art d'être grand-père, devient en quelques livres l'icône d'un pays en mal de références.
Un mélange de tradition et de liberté
Hélie Denoix de Saint Marc incarnait la grandeur et la servitude de la vie militaire. De tout, il tirait des leçons de vie. Il relatait des faits d'armes oubliés, décrivait des héros inconnus. Il avait fait du Letton qui lui avait sauvé la vie à Langenstein, de son frère d'armes l'adjudant Bonnin mort en Indochine, du lieutenant Yves Schoen, son beau-frère, de Jacques Morin, son camarade de la Légion, des seigneurs et des héros à l'égal d'un Lyautey, d'un Bournazel, d'un Brazza. Au fil de souvenirs élégamment ciselés, il dessinait une autre histoire de France, plus humaine, plus compréhensible que celle des manuels scolaires.
Écouter ou lire Saint Marc, c'était voir passer, par la grâce de sa voix étonnamment expressive et de sa plume sensible et claire, une existence riche et intense.
Né en 1922, Hélie Denoix de Saint Marc était un fruit de la société bordelaise de l'avant-guerre, et de l'éducation jésuite. Il avait été élevé dans un mélange de tradition et de liberté (n'est-ce pas le directeur de son collège qui l'avait poussé à entrer dans le réseau Jade-Amicol ?). De sa vie dans les camps, de son expérience de l'inhumanité, de ses séjours en Indochine, puis en Algérie, il faisait le récit sobre et émouvant, jusqu'aux larmes. Et de son geste de rébellion, il parlait toujours avec retenue, mezza voce, comme s'il était encore hanté par les conséquences de celui-ci.
Ses milliers de lecteurs, ses admirateurs, tous ceux qui se pressaient à ses conférences, aimaient en lui ceci: par son histoire se retrouvaient et se réconciliaient plusieurs France: celle de la Résistance, celle de la démocratie chrétienne et celle de l'Algérie française. Aux diverses phases de son existence, Saint Marc avait su donner une unité, en martelant: "Il n'y a pas d'actes isolés. Tout se tient." C'était un être profond qui cherchait davantage à comprendre qu'à condamner. D'une conversation avec lui, on tirait toujours quelque chose sur soi-même, sur ses passions, ses tentations ou ses errements.
Cortège d'horreur, d'héroïsme et de dilemmes
La grande leçon qu'administrait Saint Marc, c'était que le destin d'un homme - et plus largement celui d'un pays - ne se limite pas à une joute entre un Bien et un Mal, un vainqueur et un vaincu. Il avait comme personne connu et subi la guerre, avec son cortège d'horreur, d'héroïsme et de dilemmes: en Indochine, que faire des partisans auxquels l'armée française avait promis assistance, maintenant qu'elle pliait bagage ? En Algérie, que dire à ses hommes en opération, alors que le gouvernement avait choisi de négocier avec le FLN ?
Son parcours chaotique, abîmé, toujours en quête de sens, n'avait en rien altéré sa personnalité complexe et attachante qui faisait de lui un homme de bonne compagnie et lui valait des fidélités en provenance des horizons les plus divers. L'une d'elles, parmi les plus inattendues (et, au fond, des plus bouleversantes), s'était nouée il y a une dizaine d'années avec l'écrivain et journaliste allemand August von Kageneck. Cet ancien officier de la Wehrmacht avait demandé à s'entretenir avec son homologue français. Leur conversation, parsemée d'aveux et de miséricorde, devint un livre, Notre histoire (2002). Kageneck était mort peu de temps après, comme si avoir reçu le salut (et pour ainsi dire l'absolution) d'un fraternel adversaire l'avait apaisé pour l'éternité. Sa photo en uniforme de lieutenant de panzers était dans le bureau de Saint Marc, à côté de celle de sa mère, qu'il vénérait.
Rien d'un ancien combattant
D'autres admirations pouvaient s'exprimer dans le secret. Ce fut le cas dès son procès, où le commandant de Saint Marc suscita la curiosité des observateurs en se démarquant du profil convenu du "réprouvé". Des intellectuels comme Jean Daniel, Jean d'Ormesson, Régine Deforges, Gilles Perrault, un écrivain comme François Nourissier lui témoignèrent leur estime. Se souvient-on que ses Mémoires, Les Champs de braises, furent couronnés en 1996 par le Femina essai, prix décerné par un jury de romancières a priori peu sensibles au charme noir des traîneurs de sabre ?
En novembre 2011, Hélie de Saint Marc fut fait grand-croix de la Légion d'honneur par le président de la République. Dans la cour des Invalides, par une matinée glaciale, le vieil homme recru d'épreuves et cerné par la maladie reçut cette récompense debout, des mains de Nicolas Sarkozy. Justice lui était faite. Commentant cette cérémonie, il disait d'une voix où perçait une modestie un brin persifleuse: "La Légion d'honneur, on me l'a donnée, on me l'a reprise, on me l'a rendue…"

À ces hommages s'ajoutèrent au fil des ans les nombreux signes de bienveillance de l'institution militaire (notamment grâce à une nouvelle génération d'officiers libérée des cas de conscience qui entravaient leurs aînés), qui furent comme un baume au cœur de cet homme qui prenait tout avec une apparente distance, dissimulant sa sensibilité derrière l'humour et la politesse.
Histoire authentique ou apocryphe, il se raconte qu'un jour l'ex-commandant de Saint Marc avait été accosté par une admiratrice qui lui avait glissé: "Je suis fière d'habiter la France, ce pays qui permet à un ancien putschiste de présider le Conseil d'État." La bonne dame confondait Hélie avec son neveu Renaud (aujourd'hui membre du Conseil constitutionnel). Cette anecdote recèle quelque vérité. La France contemporaine l'avait pleinement adopté, ayant compris que cet homme lui ressemblait, avec ses engagements heureux ou tragiques, ses zones d'ombre, ses chagrins et ses silences.
Hélie de Saint Marc n'avait rien d'un "ancien combattant". S'il avait insolemment placardé à la porte de son bureau le mandat d'arrêt délivré contre lui en mai 1961, il parlait de ceux qui avaient été ses adversaires avec mansuétude. Quand un article lui était consacré dans Le Figaro, il ne manquait jamais de demander à son auteur, avec ironie: "Avez-vous eu une réaction des gaullistes ?" Son épouse, Manette, et leurs quatre filles s'attachaient à lui faire mener une vie tournée vers l'avenir. Il n'était pas du genre à raconter ses guerres, s'enquérant plutôt de la vie de ses amis, les pressant de questions sur le monde moderne, ses problèmes, ses défis. Ce vieux soldat bardé d'expériences comme d'autres le sont de diplômes n'avait jamais renoncé à scruter son époque pour la rendre un tant soit peu plus intelligible.
Énigme insondable
L'existence humaine restait pour lui une énigme insondable. À Buchenwald, Saint Marc avait laissé la foi de son enfance. L'éclatement de tout ce qui avait été le socle de son éducation l'avait laissé groggy. Une vie de plus de quatre-vingt-dix ans n'avait pas suffi pour reconstituer entièrement un capital de joie et d'espérance. C'était un être profondément inquiet, qui confessait que sa foi se résumait à une minute de certitude pour cinquante-neuf de doute. Le mal, la souffrance, le handicap d'un enfant, ces mystères douloureux le laissaient sans voix.
Attendant la fin, il confiait récemment avec un détachement de vieux sage: "La semaine dernière, la mort est encore passée tout près de moi. Je l'ai tout de suite reconnue : nous nous sommes si souvent rencontrés."
" Etienne De Montety
http://www.lefigaro.fr/culture/2015/03/14/03004-20150314ARTFIG00171-helie-de-saint-marc-homme-de-refus-et-de-reconciliation.php

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Mis en ligne le 24 mars 2015

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