La caserne des Tagarins
La seule évocation de la villa Susini déclenche aujourd'hui encore des déclarations enflammées contre la torture de l'armée française contre les indépendantistes de la part de tout ce que notre pays compte d'humanistes et de partisans de la vérité, il est un lieu analogue qui ne provoque aucun émoi. La caserne des Tagarins qui étaient le centre de torture des partisans de l'Algérie française, n'a fait l'étude d'aucune étude sérieuse de la part des historiens à l'indignation sélective

Pourtant ce lieu d'épouvante était le théâtre de sévices auxquels s'adonnaient barbouzes et gendarmerie. Le maître d'œuvre, le colonel Debrosse commandant la gendarmerie mobile qui s'était déjà tristement illustré lors de la journée du 24 janvier 1960 dite " journée des barricades ".
Avec un acharnement et un raffinement tout particulier, lui et ses séides n'hésiterons pas à passer à la question des compatriotes résolus à garder française un territoire de la République.
Dans les hôpitaux d'Alger, on désignait par "fracture des Tagarins" une fracture spécifique du coccyx, obtenue par les gendarmes du colonel Debrosse.
L’école de police d’Hussein Dey, à Alger, où était installé un détachement de police judiciaire envoyé de métropole, la « mission C », servira également de lieu d'internement où les sévices seront nombreux.

En 1963, ces policiers et gendarmes étaient honorés, promus.
Le Colonel Debrosse, en raison des services exceptionnels qu'il avait rendus, devint général et Directeur de la Gendarmerie.

Le cas de madame Salasc

" Le 7 (9 ?) septembre 1961 Gingembre trésorier de l'OAS, fut interpellé par Debrosse... . Debrosse apprend alors les noms et les adresses de Mme Salasc et Gasser, et de Rodenas, l'agent de liaison de Godard, qui servait aux relations avec la métropole. Dans la nuit du 7 au 8 septembre, les gardes mobiles envahissent l'immeuble ou habitent Mme Salasc et sa mère, Mme Gasser. Les deux femmes sont mises en état d'arrestation et emmenées, bien que la jeune femme soit mère de cinq enfants, et sa mère, une vieille dame de soixante-sept ans.

Pénétrant dans le bureau, Debrosse s'adresse à ses hommes de main, en leur disant sèchement : Laissez-moi celles-là, je m'en occupe !
Aussitôt, il entreprend de convaincre Mme Salasc. Il essaie de la séduire en faisant étalage de sa bonne foi et de sa gentillesse. Mme Salasc est soupçonnée d'avoir hébergé des hors-la-loi européens, d'avoir facilité les réunions de l'OAS. Elle reconnaît d'ailleurs que le colonel Godard a été son hôte. Pourquoi s'obstine-t-elle maintenant dans son mutisme? On lui demande un effort bien simple, et même conforme à son devoir : dire où se trouve le colonel, donner les noms des personnes qui l'ont pris en charge. Si elle persévère dans son silence, elle aggravera les délits retenus contre elle. Qui plus est, son attitude serait criminelle… , malgré les invitations pressantes de Debrosse, la jeune femme réplique qu'elle réprouve toutes les dénonciations. Elle ne se sent pas une vocation de délatrice.
Dès lors, Debrosse devient violent. Inutile d'insister : elle ne dira rien. Rouge de fureur, il appelle ses sbires et fait conduire sa prisonnière dans une pièce voisine.

Là, sur les murs, dans les coins, sont installés ou suspendus des instruments aux formes inquiétantes. Un appareil tranchant repose sur le sol et évoque un gros massicot d'imprimerie. Dans ce musée inquisitorial, les hommes entourent soudain la jeune femme et lui assènent des gifles brutales. Ils la bâillonnent. Les cordes et le bâillon sont tellement serrés que la circulation du sang se trouve compromise, et la chair marbrée d'ecchymoses qui dureront longtemps. La malheureuse est battue à coups de cravache. Comme elle refuse toujours de répondre aux questions hurlées qui alternent avec les coups donnés, on lui bande les yeux.

Elle est alors jetée dans une voiture. Le trajet est interminable. La voiture revient sur sa route, tourne sans arrêt, de façon que la prisonnière ne puisse reconnaître le chemin. Elle est ensuite descendue dans la cave d'une maison. On lui enlève son bandeau. Elle ne voit que cinq ou six grabats couverts de crasse.
- Déshabille-toi ! ordonnent ses gardiens, qui ajoutent en termes crus qu'ils en ont vu d'autres.
- Enlève ta bague ! Commandent-ils à nouveau.
Malgré ses protestations, la jeune femme doit s'exécuter. A peine s'est-elle entièrement dénudée, qu'elle reçoit un formidable coup de poing sur l'œil droit.
Les brutes frappent de toutes leurs forces, à mains fermées. Mme Salasc leur tient toujours tête. Exaspérés, ils lui remettent des liens qui garrottent ses cuisses et ses mollets, ils enfoncent un gros tampon dans sa bouche.

La prisonnière est alors précipitée au sol. Montant sur son dos, un des gardes lui tord le cou en arrière, à la limite de la luxation mortelle. Il force le mouvement, le répète plusieurs fois. Accepte-t-elle de parler ? Elle répond par des signes de dénégation.

On la renverse sur le dos et les hommes tirent ses seins, s'acharnent sur la poitrine. Elle refuse toujours les questions qui pleuvent, accompagnées par les sifflements de la cravache.

Enfin les sicaires de Debrosse passent aux grands moyens. Ils noient la jeune femme dan une cuve; des électrodes sont posées sur son corps. Elle tombe dans l'oubli profond des évanouissements. Pourtant, une lueur brille encore au fond d'elle-même. Elle n'a pas parlé, elle ne parle pas. Le temps coule et les tortionnaires se fatiguent. L'un d'eux dit à ses collègues ;

- Attention! c'est la femme d'un professeur de médecine, nous pourrions avoir des ennuis.

Ils la relèvent alors. On bande une deuxième fois ses yeux. Elle est hissée jusqu'au rez-de-chaussée de la maison. On l'installe dans une voiture qui se lance dans un large circuit. Brusquement, la jeune femme voit surgir devant elle le colonel Debrosse : elle est à la caserne des Tagarins. Elle s'effondre et crie à son bourreau toute sa stupeur et son indignation. Pendant trois longues heures, Debrosse tente néanmoins de l'abuser, prêchant onctueusement avec une audacieuse ignominie. Il va jusqu'à lui montrer pour justifier son comportement des photographies prises lors de la fusillade du 24 janvier I960.

Peu de jours après, Mme Salasc est hospitalisée à la clinique Lavernhe où elle reste prisonnière, mais sous la responsabilité du directeur de l'établissement.
Là-dessus, des médecins algérois apprennent que la femme d'un confrère, enlevée dans le secret, a été soumise à la question. Son état est si grave qu'on a dû l'hospitaliser.

Des conversations ont lieu entre médecins et responsables de l'OAS.
Nous nous demandons les uns et les autres ce qu'il convient de faire. Le silence doit-il être rompu immédiatement? Nous attendons d'être mieux informés. D'autant qu'une rumeur, répandue par les services officiels, secoue de rage toute la ville. On dit que Mme Salasc est morte. Rapidement, nous déjouons la manœuvre.
C'est le colonel Debrosse qui a fait répandre le bruit dans l'espoir que nous le reprendrions à notre compte. La Délégation Générale aurait pu démentir et triompher aisément : la révélation de la torture aurait été entachée de doutes pour l'opinion algérienne et métropolitaine

Un chirurgien d'Alger, écrivant à Gardes, lui disait le 28 septembre :

Mme Salasc n'est pas morte; il s'agit d'une intoxication de Debrosse. Elle est entre les mains d'une équipe très sûre et qui a bien fait les choses jusqu'à ce jour. Une commission d'enquête vient d'arriver pour juger du dossier médical. Mais là Délégation a lancé l'annonce d'une conférence de presse. C'était en fait un piège pour arracher au Dr Salasc un certificat disant que sa femme était depuis longtemps atteinte d'une affection chronique. Certificat refusé. La DG accrédite par ailleurs le bruit que Mme Salasc souffre d'une affection hépatique et que c'est pour cela que le colonel Debrosse a eu la délicate attention de la rendre à son mari et à ses médecins.
En effet, dès l'hospitalisation de Mme Salasc à la clinique Lavernhe, Debrosse est venu, bonhomme et penaud, trouver son mari. Il déplore d'entrée les responsabilités dures et impitoyables qui sont les siennes, se plaint amèrement de son sort, propose même au professeur Salasc d'examiner sa propre femme, Mme Debrosse, qui souffre, paraît-il, d'une dépression nerveuse et d'une affection gynécologique. Il parle bien sûr de sa prisonnière. Habitués à traiter.des criminels, ses subordonnés ont commis des excès en menant l'interrogatoire.

Le colonel est obligé de le reconnaître mais aussi de couvrir ses assistants. Que le professeur se plaigne ouvertement, ne servira à rien, car le pouvoir est décidé à réprimer de façon exemplaire les crimes abominables, de la subversion.
L'intérêt de sa femme exige donc du professeur, une intelligente sollicitude. Les autorités malgré l'extrême gravité des agissements de Mme Salace, sont décidées à l'indulgence. Si le professeur sait se dominer, s'il évite de s'emporter, sa femme lui sera rendue,

Déposer une plainte en justice ne ferait qu'envenimer une vilaine histoire.

Debrosse se rend tous les jours au chevet de Mme Salasc à laquelle il porte des fleurs. Il s'enquiert des progrès de son rétablissement, se déclare prêt à satisfaire le moindre de ses vœux. Souvent, il vient s'asseoir aussi dans le bureau du professeur qui le regarde, fasciné. Le colonel est amical, il a les apparences d'un homme fatigué par le travail. Et Salasc s'interroge. Puis il sursaute, arraché à cette comédie par un aiguillon douloureux. Doit-il chasser l'imposteur ? Il ne le peut pas.
Le colonel est souriant, badin; les griffes ont disparu sous le velours.
Debrosse se fait bientôt quémandeur. Il aimerait être récompensé de sa générosité par un bon geste du médecin, peu coûteux d'ailleurs et sans grande importance. Comme les Algérois se complaisent en ragots, il sollicite une attestation du professeur. Il est temps de clore cette pénible affaire.

Salasc devra signer un certificat médical. Il attestera que sa femme, souffrant d'une affection chronique dés voies génitales, a dû être transportée à la clinique Lavernhe.

De son côté, lui, Debrosse, suspendra toute poursuite et la libérera. Le médecin refuse après un débat intérieur, âpre et rapide. Le colonel n'insiste pas. Il assiège alors le professeur Goinard, qui donnait ses soins à Mme Salasc. Un certificat médical est indispensable pour justifier la sortie de la jeune femme.

Bien qu'hospitalisée, elle est toujours en état d'arrestation et les impératifs du règlement administratif exigent cette pièce avant toute libération.
Goinard, titulaire d'une chaire de chirurgie à l'hôpital Mustapha, est circonvenu. Il cède, et appose sa signature au bas d'une déclaration... "
"HISTOIRE DE L'OAS " de Jean-Jacques SUSINI - Extraits édition la table ronde paru en 1963. tome 1

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Mis en ligne le 22 février 2015

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