EXCLUSIF :Pieds-noirs et monde combattant s'indignent de la commémoration du cessez-le-feu du 19 mars 1962. Nicolas Sarkozy, François Hollande et Marine Le Pen sont attendus sur ce dossier sensible.

La communauté rapatriée et les Français musulmans restés fidèles à la France en 1962 attendent de Nicolas Sarkozy qu'il tienne ses promesses faites le 31 mars 2007 :

" Si je suis élu président de la République, je veux reconnaître la responsabilité de la France dans l'abandon et le massacre des harkis et d'autres milliers de "musulmans français" qui lui avaient fait confiance, afin que l'oubli ne les assassine pas une nouvelle fois. "

Ces propos tournent en boucle sur tous les réseaux pieds-noirs. Forte de près de trois millions d'électeurs, cette communauté se dit en majorité déçue :
" Trop de promesses non tenues, trop d'années d'oubli et de tracasseries administratives qui ont empoisonné la vie à tant d'entre nous ", affirment ses représentants. " On ne peut pas dire cela ! S'insurge Élie Aboud, député UMP de l'Hérault, président du groupe d'études parlementaire "rapatriés", auteur d'un excellent livre blanc sur les rapatriés, adopté par l'UMP et remis à l'Élysée. Aucun président de la Ve République n'a fait autant avancer les revendications des rapatriés et des harkis. "

Le rapport Aboud évalue les dépenses globales de l'État pour les rapatriés depuis 1962 - " 32,3milliards d'euros, soit 76 000 euros pour chacune des 425 000 familles " *- et précise " l'accélération qualitative " de la période qui s'achève :

" La loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés d'Algérie, le traitement des dossiers de désendettement des réinstallés, la mise en place efficace de la restitution des prélèvements sur l'indemnisation, la création de la Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, le soutien de la cause des Européens civils disparus en 1961 et 1962, la Journée nationale des harkis, le 25 septembre, l'hommage rendu chaque 5 décembre aux morts civils et militaires et aux disparus en Afrique du Nord, l'inscription des noms des victimes civiles reconnues "morts pour la France", de celles de la rue d'Isly et des disparus sur la colonne centrale du quai Branly le 28 février dernier. "

Ce 9 mars à Nice, Nicolas Sarkozy a eu des mots très applaudis : " Il faut que la République reconnaisse qu'il y a eu une injustice, qu'il y a eu une forme d'abandon… Les harkis ont le droit à ce respect, à cette reconnaissance, et ont le droit qu'on leur dise qu'à l'époque, les autorités françaises ne se sont pas bien comportées à l'endroit de ceux qu'elles auraient dû protéger. "

Mais les deux cents associations de Français rapatriés et d'anciens combattants qui ont signé la pétition nationale pour la reconnaissance de la responsabilité de l'État français dans le martyre des harkis et l'assassinat de milliers de Français attendaient plus. " Le crime du général de Gaulle, président de la République française, est un crime d'État qui doit être officiellement reconnu par l'État français ", accuse Bernard Coll, secrétaire général de la dynamique association Jeune Pied-Noir. " Cette présidence a été constamment parasitée par des signaux contraires ", ajoute Thierry Rolando, président du Cercle algérianiste, qui détecte " un double langage ".

Les rapatriés ressentent un réel sentiment d'abandon. Les plus radicaux d'entre eux parlent même de mépris à leur égard. Élie Aboud le reconnaît dans son livre blanc, et souhaite que le chef de l'État s'en approprie les propositions pour en finir avec une politique publique incohérente et discontinue : " Cinquante ans après l'indépendance de l'Algérie, on ne peut que constater la persistance d'une incompréhension entre la France et ses enfants d'Afrique. "
Il aura fallu en effet attendre un quart de siècle pour voir reconnu le droit à réparation pour les harkis, à travers la loi de 1987 pour la première allocation forfaitaire, et l'indemnisation des biens spoliés se sera étalée sur vingt-cinq ans, de 1972 à 1997, sans indexation réelle.

Divisé entre une minorité, qui croit encore au chef de l'État, et la majorité, ralliée peu ou prou au Front national, le monde rapatrié veut plus que des mots. Aboud en convient : " L'effort ultime de l'État doit aboutir à réhabiliter les rapatriés d'origine européenne et musulmane dans la mémoire nationale et à favoriser d'une façon réaliste et équitable la réparation de leurs préjudices. "

Proche d'Élie Aboud, Jean-Félix Vallat, de la Maison des agriculteurs français d'Algérie, avoue quelques regrets : " Les conclusions du rapport du Conseil économique et social, que Nicolas Sarkozy avait sollicité dès 2007 pour proposer des politiques réparatrices en faveur des rapatriés et harkis, furent inconséquentes et vides de contenu, ce qui n'a pas permis au chef de l'État d'agir comme il aurait dû le faire. " Producteur de fruits dans le Tarn, cet homme, dont la famille a été massacrée par le FLN, estime que " les avancées mémorielles sont très importantes ". Il espère un geste fort du président : " Il ne reste plus qu'à attendre qu'il s'engage par une déclaration solennelle à faire respecter par le cosignataire algérien la teneur des accords d'Évian. "

Le monde pied-noir est d'autant plus attentif à ce sujet qu'il est mobilisé en cette année du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie. " Pour nous, c'est plutôt le cinquantenaire de l'exode et de la spoliation, des massacres de civils et de militaires, de notre abandon par la France ", rappellent les responsables. La mobilisation est générale pour faire interdire, une fois pour toutes, la commémoration du 19 mars 1962 (lire page 14).

La communauté rapatriée et la quasitotalité des associations d'anciens combattants rejettent cette date. Leurs ténors, Bernard Coll, Thierry Rolando, Jean-Félix Vallat, Pierre Descaves, sont unanimes : " On ne célèbre pas une défaite, fêtée comme une victoire en Algérie. "

La Fnaca est quasiment la seule association à la célébrer, alors que la seule date retenue par l'État est celle du 5 décembre depuis l'arrêté du 17 septembre 2003 qui en fait la date officielle du souvenir des événements d'Afrique du Nord, de 1952 à 1962. La fin de la campagne militaire sur ce théâtre est fixée au 2 juillet 1962 (date de l'indépendance), comme pour l'attribution de la carte du combattant. Engagée à gauche (ce qu'ignorent souvent une partie de ses adhérents), la Fnaca persiste à organiser des cérémonies. " Le 19 mars 1962 est la date du déchaînement des violences pour le FLN, prévient Thierry Rolando. Elle ne peut rassembler la nation dans le souvenir de ceux qui ont laissé leur vie en Algérie. Cela reviendrait à insulter toutes ces victimes et à jeter un voile sur leur calvaire. "

Cette semaine encore, Pierre Cohen, maire PS de Toulouse, va raviver la mémoire douloureuse des rapatriés. Sa municipalité veut rebaptiser le pont Bayard, devant la gare Matabiau, "pont du 19 mars 1962", événement qui lança l'exode généralisé d'un million d'Européens et déclencha des massacres de masse.

Le 19 mars 1962 fut le début d'un long cauchemar

Après Nîmes le 10 mars, les associations appellent à la mobilisation générale pour un grand rassemblement devant le monument aux morts de Toulouse, allée François-Verdier, le samedi 17. Ensuite, le 19, ce sera à Aix-en-Provence. " Jusqu'à présent, la France s'est toujours abstenue de commémorer les drames nationaux de la honte ", remarque le général François Lescel, saint-cyrien, président de la Farac (Fédération des amicales régimentaires et des anciens combattants de Lyon et de sa région), dans une remarquable synthèse sur ce sujet.

Les historiens sérieux l'ont établi : la guerre d'Algérie ne s'est pas terminée le 19 mars 1962. Elle a même fait trois fois plus de victimes après sa fin "officielle" qu'avant, avec près de 100 000 harkis et membres de leurs familles massacrés, plusieurs centaines de soldats français tués ou blessés, des milliers d'Européens assassinés ou disparus à jamais. L'historien Jean-Jacques Jordi chiffre à 1 253 le nombre des disparus européens entre le 19 mars et le 31 décembre 1962 (lire notre article : "Guerre d'Algérie, les derniers secrets", dans Valeurs actuelles du 3 novembre 2011).

Chercheur sans parti pris, l'historien Guy Pervillé l'assure : " Le 19 mars ne fut pas la "fin de la guerre d'Algérie". La signature du gouvernement français n'était pas reconnue comme légitime par l'OAS, ni par la plupart des Français d'Algérie. On pouvait donc prévoir qu'il ne serait pas appliqué par la première, et que les seconds en feraient les frais. " Les Français d'Algérie, en majorité derrière l'OAS, en furent les premières victimes, dans la terrible fusillade de la rue d'Isly, qui fit 62 morts et 150 blessés le 26 mars 1962.

Respectueuse des articles 2 et 3 des accords d'Évian, l'armée française replia ses unités sur leurs bases dès le 19 mars ; pas le FLN, qui profita au contraire de la situation pour occuper le terrain d'où il avait été chassé militairement. Le 19 mars 1962 ouvre en réalité le cruel martyrologe des civils et des soldats torturés, tués, blessés, enlevés, ce qu'on appellerait aujourd'hui une épuration ethnique.

Lorsque la souveraineté française sur l'Algérie fut officiellement transmise à l'Exécutif provisoire algérien, début juillet, l'anarchie gagna le pays, avec des épisodes horribles, "oubliés" par la métropole, comme à Oran le 5 juillet : près de 700 Européens massacrés, alors que les 18 000 soldats français stationnés dans la ville restèrent l'arme au pied, sur l'ordre du général Katz. Aujourd'hui, de tels faits vaudraient aux responsables un procès immédiat devant la Cour pénale internationale.

Pour le général Bertrand de La Presle, ancien patron des casques bleus en ex-Yougoslavie, figure respectée de nos armées, ces massacres " laissent une terrible tache sur notre honneur national " : " Tout au plus, l'évocation de ce 19 mars doit-elle nous rappeler les exigeants devoirs de justice et de vérité que créent pour la Nation les conséquences tragiques de ses décisions envers tous ceux qui en ont été les victimes. S'il est une fête que je célébrerai avec ferveur, en ce 19 mars 2012, ce sera celle de saint Joseph, exceptionnel exemple d'un homme d'honneur, de fidélité et de paix. "
- Colloque, à Paris le 17 mars : "Les accords d'Évian : crime d'État et/ou crime contre l'humanité ? " Rens. : 06.80.21.78.54.
- DVD, "Harkis, les sacrifiés". Un film magnifique sur l'engagement des Français musulmans depuis 1830 (19 €). JPN, BP4, 91570 Bièvres.

Frédéric Pons - Valeurs Actuelles - jeudi, 14 mars 2012

NDLR :
(1)" 32,3milliards d'euros, soit 76 000 euros pour chacune des 425 000 familles "
Cette évaluation laisse à penser que chaque famille de Français d'Algérie a touché un confortable pactole. Ce qui incite à croire que finalement, les Pieds-Noirs n'ont pas à se plaindre et seraient même privilégiés par rapport aux métropolitains. Le problème ne peut être posé en ces termes. Les chiffres sont redoutables s'ils sont utilisés avec légèreté. Une moyenne n'est qu'une moyenne et dépend des éléments considérés. En effet, les chiffres récents publiés par l'INSEE donne un salaire moyen des Français qui serait de l'ordre de 1585 €uros/mois et par personne, ce qui implique que toutes les personnes constituants un foyer bénéficient de ce montant. Ce qui est faux puisque 13 % des Français se situent sous le seuil de pauvreté avec moins de 950 €/mois par personne. Voir notre dossier " Indemnisation "
(2) " et la majorité, ralliée peu ou prou au Front national ".
Ce n'est pas exact.
Les Pieds-Noirs, dans leur majorité, ont regagné leur famille politique.
Une étude basée sur un "cumul d'enquêtes d'intentions de vote" réalisée en octobre 2011 par l'Ifop donne :
- 26 % pour François Hollande, 26 % pour Nicolas Sarkozy, 9 % pour les candidats centristes, et 28 % pour Marine Le Pen.
Donc 72 % des Pieds-Noirs ne voteraient pas Front national.

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Mis en ligne le 17 mars 2011

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