Si l'agriculteur recevait un lot d'une S.A.F.E.R., il pouvait prétendre à un prêt de 200 000 F, dans les mêmes termes, mais à 3 % d'intérêt, correspondant au taux pratiqué à l'époque pour les prêts à long terme du Crédit agricole. En réalité, pressés par la nécessité, les agriculteurs furent amenés à acquérir les exploitations les plus médiocres du marché, dans des régions de faible rendement, et les ont payées en moyenne deux fois et demie le prix normal à des vendeurs profitant de leur détresse. Les mêmes règles d'obligation d'exploitation personnelle et de remboursement obligé des prêts en cas de cession étaient imposées aux agriculteurs comme aux autres non-salariés. Et cette politique malthusienne a engendré une véritable catastrophe économique, 30 % seulement des agriculteurs rapatriés pouvant rembourser les prêts, 50 % étant dans l'impossibilité totale de le faire et 20 % acculés à la faillite.
Le gouvernement, issu des élections de 1981, a tenu, conformément aux promesses du Président, à réparer cette iniquité. Le Parlement a voté, le 6 janvier 1982, un texte sur l'aménagement des dettes des rapatriés permettant d'assurer la survie de leurs exploitations.

Quant aux membres des professions libérales, ils furent sans doute les plus maltraités puisqu'on leur donna simplement le droit, à l'aide des prêts, de recommencer, à un âge parfois avancé, leur carrière en partant de rien et sans clientèle.
La loi du 26 décembre 1961 avait prévu une indemnité au profit de ceux qui ne pourraient, en raison de leur âge ou de leur invalidité, se reclasser. Le décret du 10 mars 1962, pour la perception de cette indemnité de 10 000 à 40 000 F dite " Indemnité particulière ", a ajouté une condition non prévue par la loi et particulièrement cruelle, la nécessité de ne plus pouvoir disposer de biens outre-mer, avec l'arrière-pensée, nous le savons maintenant, de se faire rembourser cette indemnité le jour où serait votée une loi sur l'indemnisation. Le gouvernement poussa l'inhumanité jusqu'à limiter, par un décret du 24 février 1966 pour faire échec à l'opinion, cette faculté aux seuls détenteurs de biens immobiliers.

Ce qu'il est possible de dire aujourd'hui avec objectivité c'est qu'il n'aura été alloué en moyenne que 5000 NF par tête à des gens ayant tout perdu et obligés de recommencer intégralement leur vie avec ce seul pécule. Alors que, par exemple, la reconversion des mineurs du Nord, privés de leur emploi, mais demeurés chez eux, avait coûté 26000 F par tête à la nation, que l'impôt sécheresse a permis de verser 6 milliards aux agriculteurs en un an.
En effet, pour 1 350 000 rapatriés ayant bénéficié d'aide à la réinstallation, 6882 millions ont été dépensés entre 1962 à 1965, soit en moyenne 2300 millions par an sur des budgets généraux annuels de l'ordre de 300 milliards à l'époque. Sans vouloir parler de certains drames humains causés par les conditions de la réinstallation, et pour ne se référer qu'à l'éloquence des chiffres, à Marseille, par exemple, les rapatriés connaissent aujourd'hui un niveau de vie de 37 à 54 % de la moyenne de la population.

Les dettes du passé et les dettes du futur

De nombreux chefs d'entreprise ou exploitants agricoles qui avaient contracté des dettes en Algérie, notamment pour le financement de leurs stocks ou de leurs récoltes, ainsi que les acquéreurs, avec des prêts bancaires, de logements se sont trouvés poursuivis en France par leurs créanciers en vertu de la règle traditionnelle de l'unité du patrimoine. Plusieurs tribunaux et même des cours d'appel estimèrent que, ayant été privés de leur actif en Algérie, ils ne pouvaient être tenus pour responsables de ces dettes sur leurs biens en France et qu'il appartenait aux créanciers de poursuivre les bénéficiaires de la spoliation, c'est-à-dire le gouvernement algérien ou les sociétés nationales mises en place par lui pour poursuivre l'activité des entreprises françaises spoliées. Mais la Cour de cassation, dans une série d'arrêts d'avril 1969 rendus sous la Présidence du premier Président Aydalot, mit fin à l'incertitude de la jurisprudence. Appliquant dans toute sa rigueur la règle de l'unité du patrimoine, la Cour suprême, jugeant que les spoliations dont le débiteur avait été victime n'étaient que des " circonstances de fait " non opposables aux créanciers, condamna les emprunteurs déjà spoliés en Algérie à s'acquitter de leurs dettes en France, c'est-à-dire à une seconde ruine.
En présence d'une telle situation conduisant à des poursuites iniques et dramatiques, le législateur ne pouvait rester indifférent. Pourtant, la loi du 6 novembre 1969 qui annonçait le dépôt d'une prochaine loi d'indemnisation, ordonnait la suspension des poursuites du chef d'obligations contractées outre-mer pour " l'acquisition, la conservation, l'amélioration ou l'exploitation " des biens spoliés, ainsi que du chef des prêts consentis pour la réinstallation des rapatriés avec la garantie de l'État. De plus, en ce qui concerne ces derniers, les sûretés réelles (hypothèques, nantissements) grevant, à la requête de l'organisme prêteur, le fonds acquis à l'aide du prêt se trouvaient levées à la demande de l'emprunteur. Toutefois, les sûretés personnelles (cautions, assurances) se trouvaient maintenues. Le moratoire institué par la loi du 6 novembre 1969 n'était qu'une mesure provisoire dans l'attente d'une loi d'indemnisation. A ce moment-là éclatait toute l'absurdité de la position " la réinstallation mais non l'indemnisation ", qui ne pouvait conduire qu'à une situation de blocage. A cela s'ajoutait le fait que 1969 était l'année du départ du général de Gaulle et celle de l'élection présidentielle où Georges Pompidou découvrit brusquement l'intérêt électoral d'une collectivité de 1 400 000 personnes. C'est donc à Nice que fut pour la première fois lancée par celui-ci, au cours d'une réunion électorale, l'idée d'une loi d'indemnisation, qui avait été dès 1965 proposée par François Mitterrand, qui la concevait comme comparable à la loi sur les dommages de guerre.

L'indemnisation

Les mesures antérieures à la loi du 15 juillet 1970

Du règlement partiel, décidé en 1966, des dommages matériels dus aux événements d'Algérie antérieurs à l'indépendance et prévu par une décision de l'Assemblée algérienne de 1955, pourtant validée par un décret français, étaient exclues, les sociétés commerciales quelle que fût leur forme, et (parmi d'autres restrictions) le plafond du dédommagement était fixé à 100 000 francs. Aucune mesure n'étant venue compléter ou améliorer l'instruction interministérielle de 1966, il en résulte qu'un certain nombre de sinistrés des événements qui se sont produits il y a maintenant vingt ans n'ont toujours pas reçu les indemnités auxquelles ils avaient droit d'après la législation française !

La loi du 15 juillet 1970

Après la mascarade d'une longue consultation avec une délégation générale des rapatriés, le projet déposé par le gouvernement était tellement restrictif que le Parlement, qui fut obligé de le voter, dut en changer le titre. Il ne s'agissait plus d'une indemnisation des spoliés, mais seulement d'une " contribution nationale à l'indemnisation". Le législateur reconnaissait qu'il ne s'agissait pas d'une véritable réparation des pertes subies, mais seulement d'une aumône ! Le mécanisme financier reposait sur une hypothèse d'une dépense de 500 millions par an pendant dix ans, équivalant à la marge d'erreur prévisionnelle du budget, en réalité d'un coût nul pour la collectivité nationale.

La loi du 15 juillet 1970 est d'une injustice certaine à un quadruple point de vue :
. Quant à la définition des biens indemnisables;
. Quant à l'évaluation des biens;
. Quant au montant des indemnités qu'elle prévoit;
. Enfin, quant à la procédure d'instruction des demandes.

1) En ce qui concerne la liste des biens indemnisables, un certain nombre de biens, à savoir les stocks, les récoltes, les créances impayées qui constituaient parfois l'essentiel du patrimoine de certains spoliés) en sont purement et simplement exclus. De même, les biens vendus, même à vil prix, même si le prix convenu n'a pas été payé, ou les ventes résolues pour défaut de paiement du prix par suite du départ imposé sont exclus de l'indemnisation. Certains biens, tels que les terrains à bâtir, doivent, pour donner lieu à indemnisation, remplir de telles conditions exorbitantes de droit commun que bien peu peuvent être pris en considération. Quant au mobilier, que beaucoup de rapatriés ont dû abandonner sur place, il n'ouvre droit à indemnisation que s'il s'agit de " meubles meublants d'usage courant et familial ", et encore à la condition que le spolié n'ait perçu ni indemnité de déménagement ni subvention d'installation, ce qui est sans rapport et a pour effet d'exclure la quasi-totalité des rapatriés.

2) Quant aux biens dont l'indemnisation est prévue par la loi, leur évaluation, telle qu'elle résulte du décret du 5 août 1970, se fait suivant des règles tout à fait dérogatoires aux lois et usages. Il s'agit de valeurs forfaitaires fixées par le décret et non par la loi en fonction de certains paramètres choisis arbitrairement. Si, pour les exploitations agricoles, les évaluations d'après la surface cultivée (bien que généralement inférieures à la valeur réelle) n'ont soulevé qu'un minimum de critiques, il n'en est pas de même en matière d'immeubles et d'entreprises commerciales ou artisanales ou d'activités libérales. Outre la dépréciation systématiquement pratiquée par rapport aux valeurs réelles pour tous les immeubles à usage d'habitation, le principe de l'indemnisation d'après la date de construction et la superficie bâtie développée, retenu par le décret, ne tient compte ni de la nature ni de l'emplacement de l'immeuble. Surtout, le principe de " l'amortissement financier " retenu par le décret déprécie considérablement les immeubles locatifs anciens. D'après ce système, la valeur d'indemnisation du palais de l'Élysée serait, par exemple, de 30 000 F !

Quant aux fonds de commerce, le décret en prescrit l'évaluation d'après le chiffre d'affaires ou les bénéfices justifiés. Dans la plupart des cas, les rapatriés, évacués en catastrophe sous la menace, n'ont guère pensé à emporter leurs livres comptables. Il est même rare qu'ils puissent produire les justifications fiscales - avertissements ou extraits de rôles exigés par le décret. " A titre bienveillant " - singulière bienveillance! -, le ministère des Finances a autorisé l'A.N.I.F.O.M. à attribuer une valeur symbolique de 10 000 F aux fonds de commerce dont les propriétaires ne pouvaient fournir les justifications réglementaires. Les mêmes règles s'appliquent aux professions libérales, avec cette aggravation que, même pour les personnes qui peuvent justifier des impôts qu'elles ont payés, la valeur d'indemnisation ne peut dépasser une année de revenu net, montant très inférieur aux valeurs vénales habituellement pratiquées.

3) Les biens ainsi systématiquement sous-évalués ne donnaient droit qu'à des indemnités ne représentant qu'une fraction dérisoire de cette valeur d'indemnisation déjà très inférieure à la valeur réelle. Le scandale de la "grille" a été maintes fois dénoncé, plafonnant selon une certaine dégressivité l'indemnisation à 80 000 F, quelle que soit la valeur d'indemnisation.

4) Enfin, le caractère restrictif des textes était encore aggravé par toutes les difficultés de la procédure d'instruction des demandes dues à une administration tatillonne, lente et pas toujours bienveillante. 195 000 dossiers d'indemnisation avaient été déposés.

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Mis en ligne le 10 sept 2010

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