S'il existe une geste de l'O.A.S. dominée par la figure des " soldats perdus ", et notamment celle du légionnaire 1, l'image qui en est communément donnée renvoie à une organisation terroriste tabou et répulsive. Factieux, assassins, fascistes et même nazis 2, les vocables qui accablent ses militants témoignent d'un rejet quasi-unanime qui a rejailli jusqu'à la caricature sur le principal vivier dans lequel l'O.A.S. a puisé ses cadres, l'armée.

- 1 La littérature en est un vecteur intéressant. On peut citer notamment le roman de Frédéric Musso, Martin est aux Afriques, La Table Ronde, 1978, dont le légionnaire Hermann, membre de l’O.A.S. en cavale est une figure essentielle. La chanson engagée avec notamment Jean-Pax Méfret a participé de cette geste avec entre autres des titres comme Je ne vous garde pas rancune, je vous plains ou L’erreur du général, en hommage à Roger Degueldre.
- 2 Le cardinal Duval, « évêque en Algérie », entretiens du cardinal Léon-Étienne Duval avec Marie-Christine Ray, Le Centurion, 1984, p. 123 continuait vingt ans plus tard de qualifier les membres de l’O.A.S. de « nazis d’aujourd’hui ».

Environ un tiers des combattants de l'O.A.S. est issu de ses rangs 3, et la plupart de ses dirigeants (à commencer par ses deux chefs nominaux, Edmond Jouhaud et Raoul Salan figures de proue du célèbre " quarteron " du putsch d'avril 1961) sont des officiers. Outre des hommes, l'armée a donné aussi à l'O.A.S. des méthodes de combat et d'organisation, et l'O.A.S. a pu être analysée comme " une application dramatiquement efficace des théories de guerre révolutionnaire élaborées et enseignées à l'école militaire " 4. L'armée est également marquée par l'O.A.S. car celle-ci lui offre une réponse, sinon une issue, au malaise profond que provoque chez elle la politique algérienne du général de Gaulle. Désorientés, les militaires des années 1961-1962 s'interrogent, à l'heure où le pouvoir politique s'apprête à négocier l'abandon d'un territoire qu'on leur a demandé de conserver à la métropole envers et contre tout, et propose à travers les débuts de la force de frappe une refonte et une redéfinition des objectifs de la Défense nationale.

- 3 Arnaud Déroulède, L’O.A.S. étude d’une organisation clandestine, thèse présentée et soutenue à l’université de Paris-IV en 1994 qui a effectué une étude portant sur 623 dossiers judiciaires individuels considère que les militaires représentent 28 % de l’ensemble (p. 356)..
- 4 Claude d’Abzac-Épezy, « La société militaire de l’ingérence à l’ignorance » in La guerre d’Algérie et les Français, Jean-Pierre Rioux (dir.), Paris, Fayard, 1990, p. 254.

Partie intégrante de l'histoire de l'armée du début des années 1960, le rapport de l'O.A.S. à celle-ci appelle de multiples questions. Celle des effectifs (combien sont les militaires engagés dans l'O.A.S.), celle de leurs motivations (avec en toile de fond la question de leur orientation politique) et celle enfin de leur " représentativité " par rapport à l'ensemble de l'institution militaire. Au-delà de cet engagement effectif, se pose le problème de l'impact de l'O.A.S. et des réactions qu'elle a suscitées chez les militaires. La propagande de l'O.A.S. a-t-elle fait chez eux des émules ? suscité des doutes ? généré un rejet ?

Les militaires engagés dans l'O.A.S.

Qui sont les militaires engagés dans l'O.A.S. et quelles sont leurs motivations ? La réponse est délicate. D'une part, parce que les motivations sont enchevêtrées et les raisons qui poussent à un engagement aussi radical, multiples. D'autre part, parce que la complexité des itinéraires individuels est un élément de premier ordre. Derrière cette aventure collective, il y a chez beaucoup de ses acteurs une quête de soi et le " romantisme de l'action " n'est pas indifférent ici.

Leurs motivations peuvent s'articuler autour de trois axes : la part des considérations politiques, qui n'est pas un facteur complètement négligeable mais qui trouve rapidement ses limites ; la question du " respect de la parole donnée " et d'une certaine conception du " devoir " ; enfin, le poids de la conjoncture et des contingences, qu'il s'agisse du lieu d'affectation (en Algérie ou en métropole), du régiment dans lequel on sert, de l'attitude devant le putsch, des contacts avec les milieux activistes, sans oublier la question des contraintes familiales et des considérations de carrière.

C'est le mélange de cet ensemble de raisons qui concourt à un engagement actif débouchant sur le basculement dans l'O.A.S. et donc dans la clandestinité.

Le poids des considérations politiques et ses limites

Des considérations proprement politiques ne sont pas indifférentes à un engagement dans l'O.A.S. La prudence cependant s'impose quant à la relation à établir entre considérations politiques et engagement dans l'Organisation. Un tel choix, qui traduit de la façon la plus radicale qui soit, un refus de la politique algérienne gaullienne, est indiscutablement de nature politique par ses implications. Cela ne saurait cependant signifier que des raisons proprement politiques aient souvent présidé à cet engagement. En effet, peu de militaires se sont déterminés sur la base d'une analyse politique de la situation. Cette affirmation souffre cependant une exception pour ceux d'entre eux qui avaient depuis longtemps des convictions politiques profondes qui structuraient leurs attitudes face à l'affaire algérienne. Dans ce cas, le rejet de la politique algérienne s'articulait avec celui du système politique et le changement de la première était dans leur esprit conditionné au premier chef par le renversement du second. Ce type d'analyses est notamment le fait de militaires marqués par l'enseignement de l'Action française. Deux exemples peuvent être évoqués, celui d'Alain de La Tocnaye, figure de proue de l'attentat du Petit Clamart et le cas de Nicolas Kayanakis responsable de l'O.A.S. Métro Jeunes. Tous deux sont indiscutablement des militaires politisés, des nuances importantes existant d'ailleurs entre ces deux officiers

" Descendant d'une vieille famille de Bretagne ", " dès [son] enfance imprégné d'idées maurrassiennes " ainsi que le souligne le président de la Cour militaire de Justice 5, Alain de la Tocnaye qui raconte avoir veillé Charles Maurras sur son lit de mort 6, ne fait pas mystère de ses choix politiques. Après une existence professionnelle chaotique, il est arrivé en Algérie en 1956 où il a poursuivi une carrière militaire au cours des années suivantes. Ses objectifs étaient clairs : défendre l'Algérie française " jusqu'au bout, non seulement en tant que territoire national, mais en tant que dernier bastion de l'Occident chrétien et de l'Europe contre le pan-arabisme racial et le communisme matérialiste " 7. Le combat de la Tocnaye est donc clairement ancré dans une perspective contre-révolutionnaire revendiquée et assumée au nom d'" ancêtres [qui] ont compté des croisés, des chouans et des officiers " 8. Son engagement dans l'O.A.S. est donc présenté comme un aboutissement par cet homme qui, lors de son procès comme dans ses Souvenirs voue aux gémonies le général de Gaulle et surtout la droite française d'après lui " la plus bête, la plus timorée, la plus nantie, la plus sclérosée qui soit, cette championne des retournements figaresques " [...] à l'origine de tous les échecs nationaux " 9. Dans ces conditions, le choix de l'O.A.S. vise à combattre une " déchéance " politique et militaire générée par " la démission mentale de nombre d'officiers taraudés par le virus démocratico-libéral " 10.

- 5 Le procès de l’attentat du Petit-Clamart, compte rendu sténographique, Paris, Albin Michel, 1963, p. 200 (audience du 1er février 1963).
- 6 Alain de la Tocnaye, Comment je n’ai pas tué de Gaulle, Edmond Nalis, 1969, p. 95.
- 7 Le procès de l’attentat du Petit-Clamart, op. cit., p. 207 (audience du 1er février 1963).
- 8 Le procès de l’attentat du Petit Clamart, op. cit., p. 202 (audience du 1er février 1963).
- 9 Alain de la Tocnaye, Comment je n’ai pas tué de Gaulle, op. cit., p. 93.
- 10 Alain de la Tocnaye, Comment je n’ai pas tué de Gaulle, op. cit., p. 130.

Le cas du lieutenant Nicolas Kayanakis est sensiblement différent. Originaire de Tunisie, diplômé de Sciences-Po, passé par le R.P.F., celui-ci a des convictions maurrassiennes solides puisqu'il fut le secrétaire général des étudiants d'Action française sur Paris de 1951 à 1954. Engagé en Algérie au 14e R.C.P. (régiment de chasseurs-parachutistes) à partir de 1956 après son service militaire, il est envoyé à la fin de 1960 en métropole à Dax et de là, avec Arnaud de Gorostarzu lance l'O.A.S. dans le sud-ouest. Arrêté en septembre 61, évadé deux mois plus tard, il met sur pied en décembre 1961 à la demande de Pierre Sergent l'O.A.S. Métro Jeunes (O.M.J.). Son engagement politique, important bien entendu, n'explique pas à lui seul son passage à l'O.A.S. Nicolas Kayanakis met en avant également son malaise d'officier à partir du discours sur l'autodétermination et surtout de l'affaire des barricades car son refus de principe de tirer sur des européens risque de le retourner contre ses supérieurs. Chez Nicolas Kayanakis, la politique et l'éthique militaire se conjuguent et s'alimentent pour provoquer un basculement dans l'O.A.S. Comme il l'explique lui même : " Mon souci politique, je ne le masque pas et j'en suis plutôt fier. Ma vocation militaire est réelle et profonde. C'est une vocation à la fois classique de soldat, mais aussi de soldat dans une guerre révolutionnaire qui est une guerre politique. Il n'est donc pas possible qu'il n'y ait pas de réflexion politique chronique. 11 "

- 11 Entretien de 3 heures avec Nicolas Kayanakis, 24 mars 1994.

Ces soldats, s'ils ne sont pas complètement marginaux, sont cependant loin d'être représentatifs car les motivations de la plupart des militaires engagés dans l'O.A.S. ne sont pas de nature proprement politiques. On se bat d'abord parce qu'on estime devoir le faire, par " devoir ", " respect de la parole donnée " ou " sens de l'honneur ".

Le " respect de la parole donnée "

Le " respect de la parole donnée " est constamment invoqué par les militaires engagés dans l'O.A.S., que ce soit à travers des lettres de démission de l'armée ou lors des dépositions aux procès.

La lettre de démission de Jean-Marie Curutchet constitue sur ce point un premier exemple. Lorsqu'il rejoint l'O.A.S. à l'automne 1961, ce capitaine parachutiste est âgé de 31 ans et va rapidement s'imposer dans l'Organisation, devenant le chef de la branche O.R.O. (Organisation/Renseignement/Opérations) de l'O.A.S. Métro. Daté du 13 octobre 1961 et adressé au commandant de son unité, ce courrier entend lui expliquer pourquoi il était de son " devoir de rejoindre les rangs de l'O.A.S. ". La première raison invoquée est selon ses termes, " le respect de la parole donnée " qu'il explicite ainsi : " j'ai personnellement pris l'engagement en mai 1958, devant quatre mille musulmans, que la France resterait en Algérie, que toute distinction était abolie entre les Algériens de religion chrétienne et les musulmans, que tous étaient également et définitivement des Français : j'ai vu alors des larmes dans les yeux de ces gens ; j'ai pris leurs enfants de dix-neuf ans et j'en ai fait des harkis. J'ai contribué à convaincre un jeune musulman de mon âge d'accepter la place de délégué spécial en remplacement de son père, égorgé par le F.L.N. Tout était simple puisque nous restions. Comment puis-je concilier tout cela avec les conséquences inéluctables de la politique de "dégagement" officiellement prônée aujourd'hui. 12 "

- 12 Cette lettre est intégralement reproduite in Jean-Marie Curutchet, Je veux la tourmente, Paris, Robert Laffont, 1973, p. 265-266.

Tout au long des audiences, les accusés reprennent systématiquement cette idée pour expliquer et justifier leur engagement. Comme l'explique longuement le lieutenant-colonel Bastien-Thiry, polytechnicien, ingénieur de l'armement brillant et organisateur des attentats de Pont-Sur-Seine et du Petit-Clamart, rien dans son comportement n'est intelligible si on laisse de côté les " engagements solennels [...] pris sous forme de serment à Oran, à Mostaganem […] ". Et l'accusé d'enchaîner : " Ces engagements, nul n'était obligé de les prendre ! Ces serments, nul n'était obligé de les prêter ! Mais, dès lors qu'ils étaient pris, par un chef de gouvernement nouvellement investi, ils avaient valeur de programme politique ! Serments prêtés par un général en uniforme, devant d'autres généraux, devant des officiers et des soldats ! C'était une question d'honneur ! 13 " Honneur, politique, fidélité à l'armée tout est lié pour Bastien-Thiry 14 qui en veut d'autant plus à de Gaulle que celui-ci est un militaire.

- 13 Le procès de l’attentat du Petit-Clamart, op. cit., p. 229 (audience du 2 février 1963).
- 14 Il faut ajouter chez Bastien Thiry une dimension religieuse, ce catholique traditionaliste assimilant l’attentat du Petit-Clamart contre de Gaulle à un tyrannicide et invoquant Saint-Thomas d’Aquin à l’appui de sa démonstration lors de la préparation de sa défense avec son avocat (Jean-Louis Tixier Vignancour, Des Républiques, des justices et des hommes, Paris, Albin Michel, 1976, p. 58-59). Voir également sur ce point l’étude d’Étienne Fouilloux, « Ordre social chrétien et Algérie française », Cahier de l’I. H. TP., n° 8, octobre 1988, p. 63-87. Cet article souligne à propos de Bastien Thiry son abonnement à Itinéraires (p. 74) et le fait que la revue a repris sa vision de l’affaire du Petit-Clamart (p. 77).

Outre les considérations politiques et le " respect à la parole donnée " le poids de la conjoncture et des contingences est essentiel à prendre en compte pour comprendre l'engagement dans l'O.A.S.

Le poids de la conjoncture et des contingences

Ces éléments sont essentiels mais il faut se garder ici de tout schématisme. En effet, si un épisode comme le putsch et son échec a pu constituer un facteur de rupture supplémentaire avec la norme et précipiter l'engagement dans l'O.A.S., cela n'a cependant rien d'automatique. Rappelons que deux de ses chefs ne " basculent " pas. Maurice Challe, qui comme l'a noté Maurice Vaïsse n'avait pas " l'âme d'un chef de complot " 15 a dès le 25 avril, dans le courant de l'après-midi convié André Zeller à le rejoindre au quartier Rignot pour lui exposer que " rien, depuis hier soir, ne laisse espérer un retournement en [leur] faveur " et que dans la mesure où il considère " la résistance dans le " réduit algérois " comme parfaitement utopique " et qu'il se " refuse à ouvrir le feu sur des troupes françaises " 16, il a décidé de se livrer aux autorités métropolitaines. André Zeller après dix jours passés dans un couvent à Alger où il a hésité sur la conduite à suivre, (rejoindre Jouhaud et Salan, se réfugier en Espagne ou se rendre) s'est rallié à cette dernière idée le 5 mai. Après avoir obtenu du général Vézinet, commandant le corps d'armée d'Alger, d'être convoyé en métropole par des militaires et non des policiers, il s'est rendu le 6 au matin puis fut incarcéré à la Santé dès son arrivée 17. Dernier exemple de marque, celui du commandant Hélie de Saint-Marc qui " sous le choc ", selon ses propre termes, règle sur le Forum le dégagement de ses troupes, s'emploie à calmer les étudiants survoltés, puis prend le chemin de Zéralda avec ses légionnaires et est arrêté le lendemain matin, convoyé jusqu'à la Santé et condamné le 5 juin 1961 à dix ans de réclusion criminelle 18.

- 15 Maurice Vaïsse, Alger, le putsch, Bruxelles, Éditions Complexe, 1983, p. 118.
- 16 André Zeller, Dialogues avec un général, Paris, Presses de la cité, 1974, p. 261.
- 17 André Zeller, op. cit., p. 266-269.
- 18 Laurent Beccaria, op. cit., p. 230 s.

L'échec du putsch a également des conséquences diamétralement opposées et l'atmosphère dramatique qui règne pendant les dernières heures conduit beaucoup de ses participants à " basculer " dans la radicalisation par souci d'aller jusqu'au bout, par solidarité combattante et en même temps pour se démarquer de la lâcheté prêtée à ceux qui ont choisi de s'en arrêter là. Pierre Sergent futur chef de l'O.A.S. Métro reconnaît sa fureur vis-à-vis de Challe auquel il a " vraiment eu l'intention de [...] tirer une balle dans la tête " 19. On ne s'étonne donc pas de voir, outre les généraux Jouhaud et Salan, les militaires activistes les plus en vue depuis les barricades de janvier 1960 (les colonels Jean Gardes, Yves Godard, etc.) jouer un rôle de premier ordre dans la naissance de l'O.A.S. Cependant, même dans le cas des " colonels ", la prudence s'impose car il semble bien que Joseph Broizat, lieutenant-colonel et témoin en vue du procès des barricades ait eu envie d'arrêter son combat et ne se soit finalement retrouvé dans l'O.A.S. que sous la pression de son entourage. Ancien de Garigliano, marqué au fer rouge par l'expérience indochinoise où il s'est découvert un engagement anticommuniste, une méfiance teintée de mépris pour des dirigeants " incapables de gagner cette guerre parce qu'ils ne la comprenaient pas ", une opinion métropolitaine " indifférente ", et surtout une hantise du " lâchage ", il en a retiré une ligne de conduite limpide : " On perd une guerre quand on n'a plus la volonté de la gagner […]. Nous qui avons vécu ceci, nous avons décidé que nous ne trahirions plus. 20 " Et pourtant, cet homme qui est un " dur " sort de l'épreuve du putsch moralement brisé et écrit à Pierre Sergent pour lui faire part de son désir de s'engager dans l'Armée du Salut 21.

- 19 Ces propos sont cités in Laurent Beccaria, Hélie de Saint Marc, Paris, Perrin, 1988, p. 229.
- 20 Alain de Sérigny, Un procès, Paris, La Table Ronde, 1961, p. 29.
- 21 Pierre Sergent, La Bataille, Paris, La Table Ronde, 1968, p. 31-32

Le poids des militaires et la nature de leurs motivations (qui relèvent comme nous l'avons vu davantage de considérations d'éthique militaire que d'analyses politiques) n'est pas la seule donnée importante de l'influence de l'armée sur l'Organisation.
Elle lui a en effet emprunté nombre de ses méthodes, concernant notamment sa structuration, son mode de direction ainsi que le recours à la guerre subversive

Le poids des structures et des méthodes

Passés dans l'O.A.S., les cadres de l'armée lui ont apporté à la fois des méthodes d'organisation et de propagande. Si l'idée de l'O.A.S. revient à des civils, Pierre Lagaillarde et Jean Jacques Susini qui échafaudent à ce sujet quelques projets depuis leur refuge de Madrid au début de 1961, et si le sigle O.A.S apparaît pour la première fois sur les murs d'Alger en mars 1961 22, l'O.A.S. est jusqu'au putsch une coquille vide.

- 22 Charles-Robert Ageron, in « L’O.A.S. – Algérie-Sahara », Journées internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 novembre 1990, U.N.E.S.C.O., communication de 9 pages dactylographiées, propose p. 1, la date du 6 mars 1961.

C'est le colonel Godard qui lui donne corps en proposant une structuration qui reprend très largement ses idées et reflète son passé d'ancien chef de la sûreté d'Alger, connaissant fort bien le monde du renseignement et les réseaux du F.L.N. L'O.A.S. est donc dans son principe, une organisation extrêmement structurée et tournée vers la guerre subversive comme en témoigne son schéma d'organisation, pensé et imposé par Godard. Même si celui-ci n'a pas fonctionné aussi bien que l'espérait le colonel 23, sa conception est tout de même très révélatrice du souhait, au moins théorique des dirigeants de l'O.A.S. Celle-ci était en principe structurée autour de trois branches essentielles : l'une consacrée à l'" Action ", l'autre à la " Mobilisation " et la dernière à la " Propagande ". La branche " Action " (O.R.O. - Organisation/Renseignement/Opération) fut confiée à Alger à un civil, le docteur Pérez tandis que la " Mobilisation " (O.M. - Organisation de Masses) revenait (toujours à Alger) au colonel Gardes et la branche " Propagande " (A.P.P. - Action Psychologique et Propagande) à Jean-Jacques Susini.

- 23 Comme l’a déjà indiqué Arnaud Déroulède, op. cit., p. 315, ce schéma d’organisation n’est appliqué qu’à Alger, Oran et dans le cade de Mission II (Sergent) en Métropole. Il n’existe aucunement dans les autres réseaux se réclamant du mouvement.

L'organigramme de la structuration n'est pas le seul à refléter des vues militaires car il en va de même pour la direction du mouvement. Non seulement, celle-ci est largement entre les mains des militaires, mais le poids et les pesanteurs de la hiérarchie conservent leur importance malgré le caractère exceptionnel du contexte. Contrairement aux souhaits de certains civils (Jean-Jacques Susini notamment), la lutte présente et ses exigences particulières ne remettent pas en cause une hiérarchie des grades qui se trouve malmenée par les mérites remportés sur le terrain. Dans certains cas, (comme celui de Roger Degueldre à la tête des commandos Delta), le fossé devient profond entre la place dans l'organigramme et le rôle effectif. Si pour Godard, Degueldre ne reste qu'un lieutenant sorti du rang, son importance décisive en termes d'action et son aura mettent à mal la rigidité de la hiérarchie militaire.

L'empreinte de l'armée sur l'O.A.S. concerne enfin la propagande.

Le poids des militaires est ici capital à cause de l'importance conférée à la propagande par l'armée de cette époque. La guerre d'Indochine a en effet révélé toute l'importance de la " guerre psychologique ". La plupart des anciens d'Indochine sont convaincus que la guerre d'Indochine a été en partie perdue sur ce terrain et récemment, Hélie de Saint Marc a souligné combien " à la lumière indochinoise ", il avait pris conscience que les " mots d'ordre pouvaient être efficaces " 24. En Algérie, il ne pouvait donc être question de commettre les mêmes erreurs. L'apprentissage des techniques de propagande (à travers notamment un organisme comme le Centre d'instruction et de pacification et de contre-guérilla d'Arzew) fut partie prenante de la formation des cadres de l'armée et certains officiers sont devenus des véritables spécialistes de la question. Parmi eux, on trouve Jean Gardes, successivement directeur du service " Presse Information " du corps expéditionnaire en Indochine, chef du deuxième bureau (Renseignement) au Maroc, responsable du service de l'Information du ministère de la Guerre), chef du cinquième bureau (Action psychologique) après le 13 mai 1958 et enfin, chargé de l'Organisation des Masses dans l'O.A.S. Cette fonction lui permet de mettre ses connaissances et son expérience au service de l'Organisation. Il peut d'ailleurs compter sur le soutien de Salan (qui avait lorsqu'il était commandant en chef en Algérie appuyé la mise en place des formations à la guerre psychologique 25) mais aussi sur celui de Jean-Jacques Susini, qui à la tête de l'A.P.P. s'occupe aussi de propagande et est acquis aux théories de la guerre révolutionnaire.

- 24 Hélie de Saint Marc, Les Champs de braise, Paris, Perrin, 1995, p. 244.
- 25 A titre d’exemple, on peut citer une directive de Salan aux chefs de corps déplorant de constater que seulement un cinquième à un dixième des cadres prétendaient connaître les publications de base de l’armée sur le sujet et notamment le manuel d’instruction sur la contre-guérilla. Voir sur ce point, Olivier Suchet, O.A.S., Les publications de propagande en Algérie, mémoire d’histoire, Saint-Cyr, 1996, p. 23.

La question des méthodes ne fait donc pas vraiment problème. Toutefois, même si les dirigeants de l'Organisation s'accordent dès le début sur la nécessité de rédiger une " plate-forme " précisant les objectifs à atteindre, le contenu à lui donner divise. D'abord, à cause de la place et du traitement à réserver aux questions politiques, puisque la plupart des militaires, engagés ou non dans l'O.A.S., ne se sentent pas directement concernés par celles-ci. Au contraire, certains éprouvent même à l'égard de " la politique " un mépris certain. Pour les dirigeants de l'O.A.S., il faut tenir compte de ce paramètre. Au surplus, la situation est compliquée par les divisions politiques importantes qui existent entre les cadres de l'Organisation. Ceux-ci ne s'entendent pas sur des questions pourtant fondamentales : sur quelles bases et avec quelles forces mener le combat pour l'Algérie française ? comment doit se présenter à l'avenir l'Algérie restée française ? quelle alternative politique et institutionnelle l'O.A.S. propose-t-elle aux Français de métropole qui viennent d'approuver massivement la constitution de la Cinquième République ? Toutes ces interrogations restent sans réponses nettes. Par conséquent, contrairement à une image couramment répandue, " l'O.A.S. va rester longtemps totalement dépourvue d'objectifs ou même de programme politiques précis " 26, les seuls membres politisés de l'O.A.S. (minoritaires au demeurant) étant les civils qui sont eux mêmes divisés entre traditionalistes, nationalistes révolutionnaires, etc. 27.

- 26 Arnaud Déroulède, op. cit., p. 501.
- 27 Pour une mise au point rapide sur les courants politiques à l’intérieur de l’O.A.S., se reporter à Anne-Marie Duranton-Cabrol, Le temps de l’O.A.S., Bruxelles, Complexe, 1995, p. 49-57.

L'O.A.S. est donc avant tout un mouvement de " militaires agissant par " réaction " et au nom de valeurs morales et patriotiques " 28. L'importance de sa dimension militaire fait-elle pour autant de celle-ci une organisation représentative de l'armée ? La minceur de ses effectifs interdit de le prétendre sérieusement 29. Néanmoins, l'O.A.S. entretient avec l'armée des relations complexes faites de fascination, de compréhension, de malaise, ou encore de rejet. L'armée ne peut pas être indifférente devant l'O.A.S. qui comprend certains de ses chefs historiques et qui propose une réponse (ou un exutoire) à son malaise. Au surplus, l'armée est constamment prise à partie par l'O.A.S. qui, espérant d'elle un " basculement ", mène en conséquence une propagande active et spécifique dans sa direction. D'un autre côté, la menace que représenterait l'O.A.S. pour la République fait peser sur l'armée une certaine suspicion et amène des militaires à affirmer leur différence de vues et leur refus de l'O.A.S.

- 28 Arnaud Déroulède, op. cit., p. 501.
- 29 Certains historiens la réduisent même à « une poignée d’officiers en rupture de ban » (Bernard Droz, Evelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, 1954-1962, Seuil [réédition de 1984], p. 314).

Les réactions de l'armée française face à l'O.A.S.

Même si en théorie " l'O.A.S. frappe où elle veut et quand elle veut ", l'Organisation pour se développer manque cruellement de cadres et surtout, dans l'esprit de bien de ses dirigeants, lie son succès à l'attitude du reste de l'armée. " Basculera ? Ne basculera pas ? ", toute la question est là.

Les démarches de l'O.A.S. en direction de l'armée : la carotte et le bâton

On soigne dans ces conditions la propagande en direction de l'armée en mettant notamment sur pied une revue, Les Centurions, (tirant entre cinq mille et huit mille exemplaires) et destinée principalement aux officiers de réserve et d'active. Par ailleurs, de nombreux tracts et autres " lettres " reprennent constamment au cours des années 1961-1962 des thèmes d'appel à la mobilisation. On s'efforce de ne négliger aucune occasion marquante de diffuser cette propagande. Ainsi, lorsque les officiers et les sous-officiers de la région parisienne prennent des trains spéciaux le 22 novembre 1961 afin de se rendre à Strasbourg pour y entendre le général de Gaulle exposer le lendemain ses nouveaux objectifs pour l'armée, sur chaque banquette on peut trouver un tract O.A.S. intitulé " Mémorandum pour les officiers se rendant à Strasbourg " 30

- 30 Le thème général en est que « de Gaulle a toujours menti ». Edmond Ruby « Le soliloque de Strasbourg », Écrits de Paris, janvier 1962, p. 31, déplore l’insuffisance de ce tract « mal présenté, confus ».

Le contenu de cette propagande est tout à fait intéressant car on constate que les arguments privilégiés sont les " grands sentiments ", l'appel au patriotisme, au respect de la parole donnée, à l'honneur. Ce sont de véritables appels à la conscience que lance l'O.A.S. en utilisant en priorité les militaires qui sont passés dans ses rangs et dont l'exemple, croit-on, doit en entraîner d'autres. Ainsi, chaque départ de l'armée est l'occasion d'une action de propagande, à travers notamment la publication sous formes de tracts des lettres de démission souvent soigneusement rédigées. Les militaires qui les lisent peuvent se sentir sinon solidaires, du moins concernés car ils y retrouvent exposés un peu de leurs propres itinéraires, de leurs états d'âmes et de leurs interrogations. Au surplus, ces témoignages de militaires sont aussi l'occasion pour l'O.A.S. de faire de la contre-propagande et de rejeter notamment l'étiquette de " fasciste " qu'on lui accole en métropole. Les nouvelles recrues se prêtent au jeu à l'image du capitaine Michel Glasser qui, après avoir expliqué qu'il rejoignait l'O.A.S. parce qu'il " pense être sur la voie de l'honneur et de la fidélité ", souligne qu'il n'est ni un " extrémiste " et " encore moins un fasciste " et que si " l'O.A.S. [lui] avait paru extrémiste ou fasciste ", il ne l'" aurai [t] pas rejointe " 31

- 31 Cette lettre est citée in Arnaud Déroulède, op. cit., p. 487.

La propagande et l'appel à la conscience ne résument pas les démarches faites par l'O.A.S. en direction de l'armée car au lendemain des accords d'Évian leurs relations deviennent dramatiques. " Le cessez-le feu de M. De Gaulle [n'étant] pas celui de l'O.A.S. ", les officiers ont reçu un ultimatum expirant le 22 mars leur enjoignant de se rallier à l'O.A.S. au risque d'être considérés comme " au service d'un état étranger " 32. Le 23 est un jour décisif à Alger. Installés à Bab el-Oued, les commandos O.A.S. entendent contrôler les camions militaires et les désarmer. Une première opération se passe bien mais une seconde se transforme en bain de sang qui débouche sur la mort de sept jeunes conscrits 33. L'armée régulière dirigée par le général Ailleret déclenche alors avec vingt mille hommes le bouclage du quartier de Bab el-Oued et de ses soixante mille habitants dont le siège dure trois jours 34. C'est dans la foulée que le 26 se déroule la manifestation au monument aux morts (interdite par le préfet de police) qui débouche sur la fusillade de la rue d'Isly qui fait quarante-six morts et deux cents blessés (dont vingt mourront plus tard de leurs blessures 35).

- 32 Bernard Droz, Evelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, op. cit., p. 332.
- 33 Alistair Home, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1987, p. 542-543 explique que l’équipe de Jacques Achard se met à tirer lorsqu’un jeune musulman commença à armer son fusil-mitrailleur.
- 34 Il coûte 15 morts et 77 blessés à l’armée et fait 20 morts et 60 blessés chez les « assiégés » (Alistair Home, Histoire de la guerre d’Algérie, op. cit., p. 543).
- 35 Alistair Home, Histoire de la guerre d’Algérie, op. cit., p. 544.

Le fossé entre l'O.A.S. et l'armée se creuse alors de plus en plus et l'O.A.S., y compris en Métropole, durcit sa propagande contre l'armée régulière. Jouant sur le ressort de la mauvaise conscience, de la culpabilisation et accusant ses collègues de lâcheté, Pierre Sergent fait diffuser le 27 mars un texte destiné aux officiers subalternes dont le ton est sans aménité : " C'est un fait : le lundi 26 mars 1962, des soldats français, commandés par des officiers français, ont ouvert le feu sur une foule qui n'avait pour armes que des drapeaux français. Voilà où vos chefs vous ont menés... Je dis "vos" chefs car nous, les soldats de la Résistance, nous les avons rejetés définitivement. Nous savions très bien jusqu'où les conduirait leur veulerie. Vous aussi, vous le savez, mes camarades capitaines et lieutenants, ne le niez pas... Vous savez très bien qu'il n'y a plus un général en activité capable de s'opposer à cette dégradation de l'Armée française. Avez vous fait Saint-Cyr pour apprendre à tuer des civils, des Français sans défense ? Je sais que vous êtes écœurés. Croyez moi, votre nausée ne sera pas dissipée aussi longtemps que vous n'aurez pas choisi entre l'honneur et le conformisme. Choisissez l'honneur. 36 "

- 36 Pierre Sergent, La bataille, op. cit., p. 230.

Malgré le ton percutant de la propagande et les craintes qu'elle suscite à l'époque 37, l'armée ne bascule pas et l'O.A.S. n'enregistre que des recrues individuelles. Beaucoup de raisons expliquent l'échec de cette mobilisation.

- 37 Le général Ailleret dans une directive du 26 décembre 1961 demandait aux forces armées « d’éliminer de leurs rangs tous éléments appartenant à l’O.A.S. ou manifestant en sa faveur une sympathie agissante » (Cité in Anne-Marie Duranton-Cabrol, Le temps de l’O.A.S., op. cit., p. 90).

L'échec des démarches de l'O.A.S.

Certaines tiennent à l'Organisation elle-même qui n'a pas su proposer des perspectives jugées crédibles. " Cassée par l'échec du putsch 38 ", la plus grande partie de l'armée assimile le combat de l'O.A.S. à un baroud d'honneur. Faute de plate-forme, l'O.A.S. se condamnerait-elle irrémédiablement à l'inefficacité ? C'est le sentiment du capitaine Le Pivain qui ne manque pas de le souligner dans une lettre à Jean Gardes : " les officiers ne seront acquis à 100 % que lorsqu'une doctrine leur aura été présentée. Le dernier échec (le putsch) leur fait craindre l'action pour l'action. En plus de "l'anti", ils veulent du constructif englobant la Métropole dans une réforme totale de l'État. 39 " Cette alternative n'est cependant pas aussi simple car outre le fait que les dirigeants de l'O.A.S. sont eux-mêmes en désaccord sur les perspectives d'avenir, leurs soutiens potentiels, véritable " peau de chagrin " 40, ne sont pas moins divisés. Dans ces conditions, quel programme proposer ? En étant précise, l'Organisation se privait de soutiens et en se cantonnant dans le vague (la défense de l'Algérie française) elle prêtait le flan aux critiques. La seule chance de l'O.A.S. résidait pour ses dirigeants " dans un rassemblement de tous les partis antigaullistes, de la S.F.I.O. à l'O.A.S. ", qui était selon leurs propres termes une " ultime chance, infime " 41. En réalité, les dirigeants de l'Organisation acculés à la défensive cherchaient le moment de reprendre l'initiative politique. L'automne 1961, qualifié par Benjamin Stora de " saison de l'espérance " 42 pour l'O.A.S., à cause de résultats positifs en matière de propagande, (émissions pirates, mobilisations réussies, interviews de Salan par des télévisions étrangères, notamment américaine 43) ou du succès de " l'amendement Salan " (qui a obtenu 80 voix à l'Assemblée nationale le 9 novembre 1961), laisse la place à des mois beaucoup plus difficiles.

- 38 Jean Planchais, « Ce que voulaient les militaires pendant la guerre d’Algérie », in Mémoires de la colonisation, relations colonisateurs-colonisés, Régine Goutalier (dir.), Paris, I.H.P.O.M., L’Harmattan, 1994, p. 90.
- 39 Lettre du capitaine Le Pivain à Jean Gardes, 21 août 1961, citée in O.A.S. parle, Paris, Julliard, collection archives, 1964, p. 140.
- 40 L’expression est de Serge Berstein, in Jean-Pierre Rioux (dir.), La guerre d’Algérie et les Français, op. cit., p. 202.
- 41 Jean-Jacques Susini, Histoire de l’O.A.S., Paris, La Table ronde, 1963, p. 315.
- 42 Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli, Paris, La Découverte, 1991, p. 89.
- 43 Le 6 novembre 1961, C.B.S. a diffusé une interview du général réalisée par son correspondant à Alger Richard Kallsen. Ce même entretien fut diffusé le 27 novembre suivant à la télévision belge. Sur ces points, voir Fabrice Laroche (Alain de Benoist), Salan devant l’opinion, Paris, Éditions Saint-Just, 1963, p. 104-106 et p. 110.

L'échec des démarches de l'O.A.S.

Fin 1961, début 1962, le vent tourne irrémédiablement devant l'accélération des négociations de paix et les succès de la lutte anti-O.A.S. qui débouchent sur des arrestations marquantes 44. Il faut y ajouter les déchirements qui affectent l'organisation et qui prennent un tour dramatique lorsque le 20 janvier 1962 à Alger le capitaine Le Pivain, au nom de l'O.A.S., se charge de l'exécution de Michel Leroy (patron du Front nationaliste et adjoint de Gardes) ainsi que de son lieutenant, René Villard, (ancien de France-Résurrection) auxquels on reproche non seulement d'être des partisans de la partition (perspective catégoriquement refusée par l'état-major de l'O.A.S.) mais surtout, d'avoir pris des contacts avec Matignon à ce sujet. Dans les milieux nationalistes métropolitains, c'est la stupeur et la consternation 45. L'image de l'Organisation est indélébilement ternie en métropole quand le 8 février 1962, l'O.A.S., ou plus précisément l'une de ses branches, (Mission III dirigée par l'industriel André Canal) y lance une nouvelle vague d'attentats. L'un d'entre eux vise André Malraux mais atteint Delphine Renard, une enfant de quatre ans défigurée par l'explosion. Le choc dans l'opinion est immense et la gauche organise dans la foulée une manifestation imposante qui se termine dans le sang au métro Charonne.
Dès lors, la réussite finale de l'entreprise paraît de moins en moins crédible et l'O.A.S. en métropole se voit assimilée à une entreprise de violence et de destruction.

- 44 Voir notamment le témoignage de l’ancien commissaire Jacques Delarue, L’O.A.S. contre de Gaulle, Paris, Fayard, 1981.
- 45 La presse « d’extrême-droite » fustige à l’époque avec virulence « cette purge d’une rigueur toute stalinienne » (Gilles Mermoz, « Connaissance de l’O.A.S. », Les Écrits de Paris, novembre 1962, p. 63, qui rend d’ailleurs un hommage appuyé à Michel Leroy et à René Villard) et aujourd’hui encore, Dominique Venner, ancien dirigeant de Jeune nation dénonce cette exécution (Dominique Venner, Le cœur rebelle, Paris, Les Belles lettres, 1994, p. 68-71).

Dans l'armée elle-même, cette violence est un facteur répulsif. Sur un plan général, d'abord, le principe du terrorisme suscite bien des préventions. Il faut y ajouter la répugnance que génère chez elle l'exécution de certains militaires par l'O.A.S. On peut évoquer à titre d'exemple l'émotion suscitée par la mort du lieutenant-colonel Rançon dans la nuit du 16 au 17 décembre 1961 à Oran. Présenté par l'O.A.S. comme une " barbouze de la Sécurité militaire ", Pierre Rançon est en fait un officier " libéral " et un catholique pratiquant lié aux groupes Rencontres et à la C.F.T.C. Au surplus, s'il est responsable du deuxième bureau du corps d'Armée d'Oran, il ne participe pas directement à la lutte anti-O.A.S. Son exécution crée donc un malaise important et conduit de nombreux officiers à se rendre aux Invalides aux funérailles de Rançon. Faut-il y voir un acte de " résistance " de l'Armée face à l'O.A.S.? La réponse est délicate 46. Au lendemain des accords d'Évian, les tensions sont de plus en plus fortes et c'est une véritable " guerre civile " qui oppose dans Alger les hommes de l'O.A.S. à l'armée régulière. Le 22 mars 1962, dix-huit gendarmes tombent dans une embuscade tendue par les commandos Z à la sortie du tunnel des facultés et le 23, sept conscrits meurent sous les balles du commando A., ce qui débouche sur le bouclage de Bab-el-Oued et ses suites. Dorénavant, le " comportement de l'armée jusqu'alors passivement neutre, à l'égard de l'O.A.S. " changeait profondément : elle " serait désormais déterminée à venger ses camarades " 47.
Ce refus de la violence de l'O.A.S. ne saurait masquer la caractéristique principale de l'armée et le fondement même de son refus de se joindre à l'O.A.S. : son légalisme.

- 46 Sur l’affaire Rançon, voir en particulier Rémi Kauffer, O.A.S., Fayard, 1986, p. 219- 220 et Anne-Marie Duranton-Cabrol, Le temps de l’O.A.S., op. cit., p. 85, 91.
- 47 Alistair Home, Histoire de la guerre d’Algérie, op. cit., p. 543.

Il peut être parfois le paravent de considérations de carrière qui ne doivent pas être occultées et comme l'a justement souligné Arnaud Déroulède, " la présence dans l'armée de l'époque basée en Algérie, d'un nombre significatif de sous-officiers supérieurs proches de la retraite, et donc de leur pension militaire, ne va pas être sans freiner quelques intentions de sympathisants ayant cependant une famille à nourrir " 48. Le légalisme est cependant souvent douloureux car de très nombreux militaires ont été traversés par la tentation de rejoindre l'O.A.S. Comme l'a expliqué Francis R. officier de tirailleurs algériens, " 95 % des officiers de l'armée française qui étaient en Algérie à ce moment là se sont posé la question " 49 et " chaque officier se trouva divisé contre lui-même " 50. Cela explique d'ailleurs que même s'il l'a emporté, le légalisme a pu générer un malaise chez ses tenants. C'est ce qu'illustre la déposition du général de Pouilly, général " loyaliste " et ancien commandant du corps d'armée d'Oran au procès de Raoul Salan : " J'ai choisi une direction tout à fait différente de celle du général Salan ; j'ai choisi la discipline ; mais choisissant la discipline j'ai également choisi de partager avec mes concitoyens la honte d'un abandon. Ceux qui comme moi ont vécu, combattu en Afrique du Nord ressentent davantage cette honte, mais j'espère que beaucoup de Français qui se renseignent la ressentent également, et je pense que ceux-là garderont quelque indulgence pour celui et pour ceux qui n'ont pas pu supporter cette honte, se sont révoltés contre elle. L'Histoire dira peut-être que leur crime est moins grave que le nôtre. 51 "

- 48 Arnaud Déroulède, op. cit., p. 490.
- 49 Andrew Orr, Ceux d’Algérie, Le silence et la honte, Paris, Payot, 1990, p. 186.
- 50 Jérôme Bodin, Les officiers français, grandeur et misères, 1936-1981, Paris, Perrin, 1992, p. 355.
- 51 Le procès de Raoul Salan, compte rendu sténographique, Paris, Albin Michel, 1962, p. 224 (audience du 18 mai 1962).

Pour une dernière catégorie de militaires, le choix du légalisme est non seulement une question de principe mais aussi une opportunité : ils sont des opposants résolus à l'O.A.S. Ce dernier aspect est difficile à analyser car cette opposition à l'O.A.S. se confond en principe avec le respect de la légalité et l'application des ordres gouvernementaux contre des éléments factieux. Cependant, si certains légalistes se contentent d'exécuter les ordres, pour d'autres, la lutte contre l'O.A.S. est en adéquation avec leurs sentiments personnels et ils s'y emploient avec une vigueur toute particulière. Le cas le plus classique mais sans doute le plus controversé est celui du général Katz, dont l'action à Oran a déchaîné la polémique. S'est-il contenté d'appliquer avec la plus extrême rigueur les ordres donnés ce qui ferait de lui selon le mot de Charles-Robert Ageron un " homme qui par son action a bien mérité de la République ? 52 " Ou a-t-il fait preuve d'une forme d'excès de zèle qui expliquerait la violence des injures dont l'accablent ses détracteurs qui le qualifient notamment de " boucher d'Oran " et de " gauleiter ".

- 52 Charles-Robert Ageron, préface aux Mémoires du général Katz intitulés L'honneur d'un général, Paris, L'Harmattan, 1993, p. 3.

Cette brève communication a pu mettre en lumière la complexité de l'O.A.S., organisation à dominante militaire mais engagée dans un combat politique pour lequel beaucoup de ses cadres militaires étaient très mal préparés. Cela s'est traduit par un malaise sérieux face aux questions politiques et à leur appréhension qui explique au moins pour partie leur impuissance et leur échec dans ce domaine.

Il faut également souligner le rapport ambigu que l'O.A.S. entretient avec l'Armée. Si l'O.A.S. n'est pas représentative de celle-ci et si elle a échoué dans sa volonté de faire " basculer " cette dernière, il n'en demeure pas moins que l'Organisation a exprimé brutalement un malaise et des sentiments qui étaient ceux des militaires, ce qui lui a permis de bénéficier sinon d'appuis directs, du moins d'une forme de compréhension, car la révolte de l'O.A.S. est aussi un peu la leur

Cependant, l'examen du rapport des militaires à l'O.A.S. fait ressortir le poids du légalisme de l'armée qui a été douloureux mais profond, démentant par là-même l'image d'une armée factieuse. Ce légalisme est une donnée essentielle car il a privé l'Organisation de cadres indispensables pour son développement et sur lesquels ses dirigeants pensaient pouvoir un jour s'appuyer après les avoir ralliés à leur cause. Ce légalisme a été aussi l'une des conditions de la réussite de la politique algérienne du général de Gaulle tant il est clair qu'un basculement significatif de l'armée dans l'Organisation aurait singulièrement compliqué sa tâche.

Olivier Dard
Éditions de la Sorbonne
https://books.openedition.org/psorbonne/62087

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Mis en ligne le 22 mai 2022

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