Le 5 juin 1962, le " Saint Antoine " et le " Saint Joseph " décident de partir ensemble avec leur équipage habituel. Ils n'ont pas de compas, pas de cartes marines. Les familles de ces deux équipages sont déjà parties d'Alger après une harassante attente sur les quais et ensuite dans les bâtiments des compagnies de navigation. Après la sortie de la petite anse, les deux chalutiers exécutent deux tours d'honneur. La sirène du " Saint Joseph " fait les signaux d'adieux au village dont tous les habitants les regardent partir du haut de la falaise. Le moment est émouvant, les larmes coulent, des enfants pleurent.

Un dernier regard sur le cimetière commun aux trois villages de Tefeschoun, Chiffalo et Bou-Haroun. Ceux qui dorment de leur dernier sommeil sont toujours présents dans le cœur et la mémoire de ceux qui partent. Puis c'est cap au Nord.

Alors que le village se fond dans l'horizon, le Chenoua encore visible disparaît de leurs regards. Grâce aux souvenirs de Jean-Baptiste PILATO, nous savons qu'ils ont embarqué dans la cale et sur le pont des filets et tout le matériel de pêche, ainsi que quelques valises de linge et de souvenirs familiaux. De bien pauvres choses en somme, tout le reste et notamment les meubles sont abandonnés. Dans la journée, ils se repèrent sur le soleil et la nuit sur les étoiles. Ils dorment peu, toujours en alerte, leur vitesse est réduite à neuf nœuds. Sous l'effet des courants, ils dérivent vers l'ouest. Croyant arriver à Palma de Majorque, ils sont très surpris de se trouver à Ibiza. L'équipage d'un remorqueur qui tirait des chalands remplis de sel, leur indique un chenal qui leur permet d'éviter les hauts fonds entre les îles de Majorque et de Minorque.

A Barcelone où ils arrivent pour se ravitailler, ils sont reçus armes aux poings par la police catalane qui les prend pour des terroristes. Un navire de guerre français est en escale à Barcelone. Son Commandant compréhensif les ravitaille généreusement en eau, mazout et vivres. Merci la Royale ! Appareillage pour la France en longeant la côte.

Au large du Cap Creus, la tempête se lève avec des vents d'Est de 30 à 40 nœuds. La mer est blanche, aux abords de la côte des lames déferlantes menacent les chalutiers. Comme beaucoup d'autres, ils tournent en rond, se croient perdus et après une harassante navigation dans les embruns humides, abordent à Arenys de Mar à 30 kilomètres au nord de Barcelone. Le calme revenu, ils reprennent la mer et arrivent à Port la Nouvelle. Puis gagnent La Ciotat. Enfin se souvenant d'un certain 15 août 1944, ils arrivent vers la mi-juin à Sanary pour s'y fixer

Le récit de ce départ peut s'appliquer aussi aux grands chalutiers des armements LAURORA, SALEM, ESPOSITO, STELLA du port de Bône, de ceux des ports de Philippeville, Bougie, Cataldo, Fortune et bien d'autres, de ceux des ports de Ténés, Cherchell, Alger, déjà précédés du chalutier " l'Aiglon ", des frères GIORDANO de Cherchell et du " Sainte Marie " d'Alger. Suivent bientôt pèle-mêle les bateaux des armements DAMERDJI, RIVECCIO, LOFFREDO, Di PIZZO, PILATO, Patania, MERCATELLO, CUCINELLO d'Alger, de LIGUORI, Di MAIO, MONCASSI, de Cherchell, sans oublier ceux de la grande flotte de l'Oranie, de Nemours à Mostaganem en passant par Oran. Oui, exode de courage mais de danger, mais exode qui marquera à jamais le cœur de ces hommes.

Un livre entier ne suffirait pas à retracer l'arrivée de ces bateaux dans les divers ports français de la Méditerranée. Sans oublier, sauf à de très rares exceptions, l'accueil moins que fraternel de la part des pêcheurs locaux. Signalons aussi que les impératifs de la réglementation de la pêche au chalut, feront que ces chalutiers se retrouveront principalement vers les ports de la côte ouest, entre Marseille et Port Vendres.
Edgar Scotti : "Bou-Haroun d'autrefois "
Edgar SCOTTI et Joseph PALOMBA Yves BANDET novembre 2008

http://yves.bandet.free.fr/Galerie/Exode/Exode.html

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Mis en ligne le 28 oct 2010

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