Cet institut de frères où il pénétrait, était originaire de Montpellier, et avait été fondé par un abbé Montels qui se préoccupait, comme beaucoup d'autres alors, des trop nombreux orphelins. A la mort du fondateur, le jeune institut fut confié à un ancien vicaire de Saint-Chinian, professeur d'histoire ecclésiastique au grand séminaire. Il s'appelait Louis-Théodore Abram, avait 38 ans, et eut l'idée en ces années qui suivirent la conquête de l'Algérie de transporter ses orphelins sur une terre ouverte à toutes sortes d'initiatives. A force de démarches tenaces, il obtint une concession de 30 hectares à Miserghin, village de colonisation à 21 kms au sud-ouest d'Oran. Il s'y installa en 1849 avec ses orphelins et ses petits frères de "l'Annonciation". Deux ans plus tard, on lui accordait en plus les 12 hectares d'une pépinière étatique. La ténacité du Père Abram, jointe à l'immense bonne volonté de ses petits frères, transforma le domaine en une grande exploitation agricole, doublée d'ateliers où se formaient les orphelins venus de France et d'Algérie. Relancée et développée, la pépinière de Miserghin devint célèbre grâce à l'imagination et au travail de plusieurs religieux aimant l'arboriculture et les activités en dérivant.
On planta beaucoup ? Des vignes et des agrumes surtout. La pépinière eut vite de nombreux clients : on y pouvait acquérir toutes sortes d'arbres. C'est à cette pépinière que travaillait, notamment, le Frère Marie-Clément Rodier. " On peut dire que rien n'a été planté sans lui dans les 20 hectares de la pépinière et les 35 hectares du vignoble. C'est lui qui a introduit dans le pays plusieurs centaines d'espèces d'arbres forestiers, fruitiers ou d'ornement, sans compter une merveilleuse collection de rosiers qui comprenaient près de 600 variétés des plus rares… L'origine ou l'hérédité de ce fruit désormais populaire, est assez mystérieuse. Les sociétés savantes et la tradition spiritaine hésitent en se contredisant ou en se complétant. Les botanistes l'ont découvert sur le tard alors que le Frère Marie-Clément en faisait déjà exploitation. Son invention reste floue. Elle remonterait à une époque située entre 1892 et 1900. La pierre tombale du Frère la situait en 1894, mais des auteurs, tous sérieux, sont loin d'être d'accord sur cette date.
La modalité est non moins mystérieuse (4). La tradition, spiritaine ou non, en fournit deux, généralement retenues. " Il y avait sur le terrain, au bord de l'oued Miserghin, un arbre non cultivé qui avait poussé là parmi les épines ; ce n'était pas un mandarinier, ni un oranger ; ses fruits plus rouges que les mandarines étaient d'une saveur délicieuse et de plus n'avaient pas de pépins ; c'est ce que devait apprendre au Frère Clément un jeune arabe qui en avait dégusté ; intéressé par ces fruits, notre arboriculteur prit sur lui la décision de faire des greffes avec des greffons de l'arbre miraculeux. L'opération réussit ; on multiplia alors les greffes et au nouvel arbre on donna le nom de clémentinier. "
Une autre version nous est donnée par le fils d'un employé qui vivait à la pépinière au temps du Frère Clément. Celui-ci aurait suivi le travail d'une abeille en train de butiner ; " l'abeille passe d'un bigaradier sur un mandarinier ; que peut-il sortir d'un tel mélange de pollen ? Le Frère attache un ruban rouge à la fleur du mandarinier et surveille la production ; il prélève le fruit à maturité, fait un semis et obtient la clémentine… "
Peu importe en somme, si notre curiosité scientifique ne peut être satisfaite ; la curiosité historique est unanime pour attribuer l'invention de la clémentine à Vital Rodier, devenu Frère Marie-Clément quand il entra chez les Frères de l'Annonciation.
Pourquoi alors le placer sur notre site spiritain ? Serait-ce de la récupération indue ? Pas totalement. Car après la mort du Père Abram en 1892, son institut connut de grandes difficultés d'ordre économique. Le diocèse d'Oran s'en émut et sur le conseil du Saint-Siège sollicita la Congrégation du Saint-Esprit pour examiner et soutenir l'institut chancelant. Mgr Le Roy, alors supérieur général des spiritains, proposa la réunion des petits frères avec les siens. Après des tractations à rebondissements, le projet fut entériné. Par un décret de 1901, Rome supprima l'Institut du Père Abram et autorisa ses membres à entrer dans la Congrégation du Saint-Esprit. Presque tous s'y décidèrent. Ils refirent un noviciat, sur place, à Miserghin, et devinrent spiritains en février 1902. L'inventeur de la clémentine devint donc spiritain. Il mourut en 1904.(5)
Lors du départ des religieux, après l'indépendance algérienne et la nationalisation de l'orphelinat, les tombes de tous les spiritains décédés à Miserghin ont été nivelées et recouvertes d'un gazon sous lequel ont disparu leurs noms et avec eux, la brève évocation de leur présence et de leur dévouement. La sœur trinitaire qui m'a communiqué en 1993 cette information a précisé que les restes du Père Abram et ceux du Frère Marie-Clément avaient alors été placés dans l'ossuaire de leur couvent.
C'était là l'histoire douce-amère de la clémentine et de son inventeur le Frère Marie-Clément, qui ne devint spiritain que sur le tard, après sa très féconde invention.
René Charrier
(d'après Les Frères Courage, Mémoire Spiritaine, Etudes et Documents 1, Paris 1994 p.62-69)
http://www.spiritains.org/qui/archives/carte/frclement.htm 1. Il est le seul Frère spiritain à se trouver dans le dictionnaire Larousse, et, pardonnez du peu, c'est dans les noms communs. " Clémentine : n.f. (du nom du F. Clément, qui obtint le fruit en 1902). Mandarine d'une variété à peau fine, fruit du clémentinier. " (Petit Larousse 1998, p.225). Pour le même fruit hybride du bigaradier et du mandarinier, le Petit Robert, lui, renvoie à un " Père Clément La Clémentine
Elle doit son nom au révérend père Clément (Vital Rodier 1829-1904) qui était directeur de culture de l'orphelinat de Misserghin (près d'Oran, en Algérie). En 1892, Louis Charles Trabut, botaniste et médecin français, avec le père Clément, aurait croisé volontairement un mandarinier avec un autre agrume. Quoi qu'il en soit, Louis Charles Trabut voulant rendre hommage à l'homme d'église, décida de le nommer "clémentine" en son honneur. La clémentine n'a pas de pépins contrairement à la mandarine, c'est un fruit vert à maturité qui ne devient orange que sous l'effet de la baisse de température hivernale.
Les premières descriptions du clémentinier sont dues au docteur Louis Charles Trabut (1853-1929) qui les publia en 1902 dans la Revue horticole française n° 10 et, en 1926, dans le Bulletin agricole de l'Algérie, Tunisie et Maroc1. À noter que le Traité pratique d'agriculture pour le nord de l'Afrique, paru en 1929, ne parle pas de clémentine mais seulement de " mandarine sans pépin ".
La clémentine a d'abord été considérée comme un hybride entre le mandarinier (Citrus deliciosa Ten.) et une variété de bigaradier à feuille de saule (Citrus salicifolia Raf. 'Granito'). Ce dernier avait été importé d'Espagne comme porte-greffe pour les cultures d'agrumes. Toutefois des études récentes menées par la station INRA de San-Giuliano en Corse consacrée à l'agrumiculture, ont montré à partir de l'analyse des chromosomes qu'il s'agissait en réalité d'un hybride entre le mandarinier et l'orange douce (Citrus sinensis). Elle doit son nom au révérend père Clément (Vital Rodier 1829-1904) qui était directeur de culture de l'orphelinat de Misserghin (près d'Oran, en Algérie). En 1892, Louis Charles Trabut, botaniste et médecin français, avec le père Clément, aurait croisé volontairement un mandarinier avec un autre agrume. Quoi qu'il en soit, Louis Charles Trabut voulant rendre hommage à l'homme d'église, décida de le nommer "clémentine" en son honneur. La clémentine n'a pas de pépins contrairement à la mandarine, c'est un fruit vert à maturité qui ne devient orange que sous l'effet de la baisse de température hivernale.
Un fin observateur de la nature
En 1892, le chef des pépinières de l'orphelinat agricole de Misserghin est intrigué par un arbuste qui ne ressemble pas aux mandariniers plantés autour. Les années passent et celui-ci se fait oublier. Jusqu'au jour où le même révérend père Clément (Vital Rodier) surprend ses élèves en train d'en déguster les fruits alors que les mandariniers communs ne seront pas mûrs avant un mois. Le fruit paraît banal mais il possède l'énorme avantage d'être dépourvu de pépins. Les enfants l'adorent. Il décide alors de s'y intéresser et réalise plusieurs greffes. Le religieux pense avoir découvert une variété hybride issue d'un croisement naturel entre la mandarine et la bigarade -l'orange amère- d'habitude immangeable. Le nouvel agrume acquiert rapidement une vraie notoriété, on l'appelle alors la "mandarine sans pépins" ou la "mandarine du père Clément". Mais il n'est pas encore reconnu officiellement.
D'une rive à l'autre de la Méditerranée
Il faut attendre 1902 pour voir apparaître la première description de la clémentine dans la revue horticole française. Le professeur Trabut de la société horticole d'Alger y consacre un article et lui donne le nom de son découvreur. La commercialisation peut commencer. En tant que pays d'origine, l'Algérie se lance dans la production de clémentines. D'autres pays méditerranéens lui emboitent le pas, les conditions climatiques de la région étant particulièrement favorables. Ainsi l'Espagne, l'Italie et la Turquie deviennent des fournisseurs importants pour les marchés européens. La première clémentine française est plantée en 1925 par Don Philippe Semidei, à Figaretto en Corse.
En 1962, l'accession à l'indépendance de l'Algérie sonne le glas de la production d'agrumes du pays : de nombreux pieds-noirs spécialisés dans la clémentine décident de délocaliser leur savoir-faire en Corse. L'île s'est déjà distinguée à l'occasion du centenaire de l'appellation "clémentine" : en 2002 les chercheurs sont parvenus à démontrer que ce fruit n'avait aucun lien de parenté avec la bigarade mais bien avec l'orange douce, contrairement à ce que pensait le père Clément.
La Corse, paradis des clémentines
Aujourd'hui on peut dire que 98% des clémentines françaises proviennent de Corse. La production ne peut pas être aussi importante qu'en Espagne mais elle est de qualité. L'essentiel des exploitations se trouvent dans la partie orientale de l'île, et c'est donc naturellement que l'INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) a installé sa station de recherche et d'expérimentation à San Giuliano, à 50 km au Sud de Bastia. L'endroit est remarquable car il permet de mener à bien des programmes de recherche mais il s'agit surtout d'un formidable réservoir de plus de 1000 variétés. Avec ses 5000 arbres, on peut donc dire que le lieu participe à la conservation du patrimoine de la région, désormais liée aux agrumes. La station joue également un rôle pédagogique et partage volontiers ses connaissances avec les chercheurs du monde entier comme avec les jeunes. On y compte environ 1000 visites par an, qui démontrent l'intérêt porté au secteur agrumicole dans la région. La plus grande réserve européenne de donnée génétiques concernant les agrumes est donc un lieu stratégique, et la vitrine d'une volonté affichée de miser sur la qualité des produits obtenus. |
Mis en ligne le 08 mar 2011