A toi, enfant, petit-enfant, héritier des Pieds-Noirs… Je suis née à Sidi Bel Abbès, en janvier 1960 à la période des barricades à Alger. Du haut de mes deux ans et demi, je fais mon premier pas à Marseille en France métropolitaine, le 11 Juin 1962. Je suis attachée par un lien à mon frère aîné âgé de quatre ans afin de ne pas me perdre dans la panique générale ; ma mère arrive seule par avion, mon plus jeune frère d'un an assis sur une petite chaise lacée autour de sa taille. Elle est la première à quitter son village laissant mon père là-bas ; elle reviendra quand les choses s'arrangeront !
Elle est effrayée par les exactions quotidiennes à l'égard de la population civile et du sort atroce, barbare, réservé à tous ceux qui tombent aux mains des bourreaux, car depuis le 19 mars 1962, la population ne bénéficie plus de la protection de l'armée et de la gendarmerie parties subrepticement en pleine nuit de leur cantonnement dans notre village. Dix jours après, suite à son refus de payer le racket qui a pour nom " impôt révolutionnaire " Papa quitte l'Algérie le 18 Juin 1962 ; son frère venait d'être égorgé le 5 mai 1962, date anniversaire de la naissance de mon plus jeune frère un an plus tôt. Le 5 mai reste depuis pour notre famille une date où se mêle à la fois le bonheur et l'horreur. Dans la famille, tout le monde arrive en métropole, entre Juin et tout début Juillet, dans des conditions dramatiques et dans le plus grand désarroi. Ma sœur naît en 1963. Maman est institutrice au camp de harkis de Rivesaltes, vaste espace de détresse où ont été parqués, jusque dans les années 90, dans des conditions insoutenables et parfaitement inhumaines, de valeureux soldats avec leurs familles qui avaient fait le choix de servir la France et qui ont réussi à fuir les atrocités des vainqueurs et celles d'une population conditionnée aux délires meurtriers. 300 000 d'entre eux abandonnés par l'armée française et qui n'ont pu quitter le territoire algérien, ont été torturés et massacrés dans des conditions épouvantables. Voilà, nous avons tout perdu, des êtres chers à nos cœurs, nos maisons, nos villages. J'ai grandi avec cette histoire, petit à petit mes parents ont parlé, ont raconté, tout, le bonheur et la douleur : " la belle histoire de l'Algérie, leur pays à tout jamais " J'ai 53 ans aujourd'hui, je suis fière de mes origines et les ai toujours défendues car j'ai été souvent agressée par les idées préconçues, par la stigmatisation de notre communauté en particulier par les profs au lycée. Beaucoup de gens ne savent pas de quoi ils parlent quand ils parlent de l'Algérie. Ils répètent tout simplement ce qu'on leur a dit. Il existe encore à ce jour une méconnaissance totale de la population, entretenue et falsifiée par une intelligentsia historiquement correcte. Le terme " colons " m'a toujours fait mal, mes ancêtres étaient des " péones " (pionniers en français) et comme la majorité des gens là-bas, avaient un mode de vie simple et en parfaite harmonie avec l'ensemble des communautés.
Nous avons grandi victimes de la propagande " anti-colonialiste " faisant de nous et de nos familles des coupables. Nous n'étions coupables que de notre innocence envers nos dirigeants auxquels nous faisions confiance pour présider à notre avenir. Cette propagande a posé pendant de longues années une chape de plomb sur notre histoire. Aujourd'hui, pourtant, j'ai mal à mes ancêtres… Je pense à eux, à leur combat pour survivre, à leurs sacrifices pour une nation qui les trahit encore, à tous leurs enfants morts pour libérer la France, à la confiance qu'ils avaient dans leur patrie, dans ses valeurs. S'ils savaient !!!! A mes grands oncles tombés à Fleurus et aux Chemins des Dames entre 1914 et 1918. A mon oncle qui participa à la libération du premier département français " la Corse ". A la quinzaine de membres de notre famille qui n'ont pas hésité à donner leur jeunesse à Monte Cassino, Garigliano… Au fait pourquoi je vous raconte tout ça ? A quelques détails près vous avez certainement la même histoire. C'est l'Histoire de France tellement présente parce que tellement récente. Nous ne pouvons échapper à la loi génétique car le rapport aux ancêtres définit, qu'on le veuille ou non pour une large part les liens, les droits, les devoirs et les identités qui structurent l'être humain. Comment peut-on gérer consciemment ou inconsciemment, nous, les descendants face à une identité bafouée qui nous pousse au déni de nos ancêtres, de leurs vies, de leurs engagements, de leurs souffrances, de leurs valeurs ? Non, on ne justifie pas la justice quelle qu'elle soit, par l'injustice ! " Entre la justice et ma mère, je choisirais ma mère (1) " A. Camus. N'en déplaise aux intellos, aux politiques, notre démarche s'inscrit au delà de tous ces clivages qui barrent la route au bon sens humain, c'est la démarche des " justes ". Voilà pourquoi je vous engage à venir partager ce week-end du 29 et 30 JUIN à MASSEUBE (32) où la convivialité sera aussi au rendez-vous. Bien sûr il faut s'organiser, peut-être même modifier ce qui avait été prévu, mais je suis convaincue que vous serez heureux d'avoir pris la décision de venir nous rejoindre avec vos parents ou grand parents qui eux j'en suis sûre seront comblés. http://www.networkvisio.com/cercle-algerianiste-du-gers/article-lettre-au-enfants-petits-enfants-et-heritiers-des-pieds-noi.html?id=4745 |
(1) Je me permets d'apporter une précision à cette lettre admirable.
Nous avons coutume d'entendre résumer la conférence de presse d'Albert Camus à Stockholm, le 12 décembre 1957 (deux jours après la réception de son Prix Nobel), par la phrase :
Cette phrase est déformée et sortie de son contexte. En réalité, l'écrivain répondait à un jeune Kabyle, Saïd Kessal, qui lui reprochait sa tiédeur et sa distance sur la situation en Algérie. Camus lui répondit :
Cette phrase prise dans son intégralité prend un tout autre sens.
Elle fut déformée, ce qui valut à Camus de vives critiques de la part des intellectuels et des commentaires acerbes des journalistes.
Mis en ligne le 15 janvier 2013