La force de police auxiliaire : une historiographie sous influence ? Réponse de l’auteur aux critiques formulées contre son ouvrage Les calots bleus et la bataille de Paris. Une force de police auxiliaire pendant la guerre d’Algérie (1959-1962) |
Le 22 novembre 2007 paraissait aux éditions Michalon Les calots bleus et la
bataille de Paris. Une force de police auxiliaire pendant la guerre d’Algérie (1959-
1962). Ce livre se penche sur l’histoire d’une formation supplétive arabo-kabyle mise
sur pied pour contrer l’action du Front de libération nationale algérien (FLN) à Paris.
La publication, pourtant saluée pour son objectivité et sa rigueur scientifique 1, fait
l’objet un an après sa parution, de critiques portant essentiellement sur un prétendu
manque d’objectivité dans son écriture, reléguant cette contribution, selon les termes
du professeur britannique Neil Mac Master, à une « apologie » de Maurice Papon 2.
Sur le même ton, le docteur Emmanuel Blanchard estime que son développement
est sous « l’influence des vues du commandant 3 Montaner qui inspire la conception
de l’ensemble de l’ouvrage » 4. Paradoxalement, bon nombre des points analysés et
des observations, souvent dures à l’endroit de l’institution policière 5, sont passés
sous silence ou minimisés par ces détracteurs. Ces derniers préfèrent laisser planer
le doute sur l’intégrité de son auteur sans apporter d’arguments contradictoires solides.
Certes, mes fonctions d’archiviste 6 à la préfecture de police pourraient laisser à
penser que ma plume n’est pas libre. C’est oublier que le fonctionnaire français est
certes un « sujet », mais aussi et surtout, un « citoyen » 7. Les calots bleus et la
bataille de Paris ont, malgré ces sous-entendus, été écrits en toute indépendance
par un citoyen dont les convictions politiques ne sont pas philosophiquement favorables au fait colonial. En outre, cette situation administrative est explicitement
signalée au lecteur dans le paragraphe consacré à la méthodologie et aux sources
du livre 8. Il est exact, et connu des chercheurs travaillant sur cette thématique, que
l’intégralité des fonds du cabinet de Maurice Papon (sous-série HA) et du service de
coordination des affaires algériennes (sous-série H1B) 9 ont été classés par mes soins. En revanche, il ne fait aucun doute que mes fonctions ont largement facilité la
mise en relation, puis l’enquête orale entreprise auprès des anciens agents de la
force de police auxiliaire 13, jusqu’alors réticents à apporter leur témoignage, en raison
du dénigrement dont ils avaient auparavant fait l’objet 14. La guerre d’Algérie reste
encore un sujet polémique instrumentalisé par des enjeux d’opinion. Revenons
brièvement sur ces aspects pour mieux appréhender le fondement de ces attaques.
1. La « bataille de Paris » : une historiographie sous influence ? La guerre d’Algérie à Paris a pendant de longues années été placée sous les
auspices d’une vive polémique autour de la personnalité du préfet de police Maurice
Papon et des événements dramatiques d’octobre 1961. Dans ce contexte, la force
de police auxiliaire (FPA) a été précocement la cible de vives accusations portant
essentiellement sur les violences perpétrées par ses agents dans le cadre de leur
mission. Une brochure militante écrite et publiée en 1961 (et rééditée en 2000) 15,
intitulée les Harkis à Paris 16, fait état des exactions perpétrées par des policiers
auxiliaires en toute impunité à l’encontre d’Algériens 17 arrêtés arbitrairement et sans
motifs. Ces critiques, illustrées par une juxtaposition de plaintes communiquées à
leur auteur par le collectif des avocats du FLN en violation du secret de l’instruction,
s’intégraient dans une campagne de désinformation volontaire de la fédération de
France pour ternir l’image de l’unité supplétive auprès de l’opinion publique. Cette
action de propagande avait pour objectif d’en obtenir le retrait de la capitale, voire la
dissolution 18. Cette source a longtemps servi – en raison de l’inaccessibilité des
archives – de référence à tous les écrits relatifs à l’action de la force de police
auxiliaire en région parisienne. Ce sujet, comme tout ce qui touche de près ou de loin
aux souffrances endurées pendant la guerre d’Algérie, est fortement politisé et
repose sur une forte charge émotionnelle. Une légitime demande sociale existe, mais
celle-ci est souvent dévoyée par des intérêts partisans de chaque côté de l’échiquier
politique. Il est parfois troublant de constater que les interprétations d’une partie des
historiens reproduisent inconsciemment (ou non) les termes de la propagande des
anciens belligérants 19. Selon toute vraisemblance, ce serait de cela dont on
m’accuse. Les enjeux de mémoire, toujours empreints de subjectivité, commencent à
atteindre leurs limites grâce à une nouvelle génération de chercheurs qui se
penchent avec rigueur et méthode depuis une dizaine d’années sur la guerre d’Algérie dans le département de la Seine. L’ouverture des archives de la préfecture
de police, grâce à la légitime action du monde associatif et militant, a contribué à
faire basculer la polémique dans le champ de l’étude historique.
Le « sentiment de repentance », les « complexes du colonisé ou
du colonisateur », l’orientation politique, ne sont pas les seuls facteurs pesant sur
une écriture sereine de l’histoire de l’Histoire. Au-delà de ces facteurs
psychologiques et subjectifs, les rapports entre les gouvernements français et
algérien sont un cadre lointain, mais influant, sur ce chantier historique. Au tournant
des années 1990 paraissaient chez le même éditeur français les ouvrages de maître
Ali Haroun 20, sur la fédération de France du FLN 21 et de Jean-Luc Einaudi, sur les
événements d’octobre 1961 22. La guerre de libération restant probablement l’unique
source de légitimité du gouvernement dictatorial algérien, l’écriture de son histoire
est un enjeu de premier ordre et doit rester « officielle 23 ». * L ’exploitation des sources orales et écrites : des divergences sur la méthode ?
Les archives de la préfecture de police se placent au centre de l’étude des
aspects parisiens de la guerre d’Algérie. L’exploitation de ces archives est
controversée. Sur ce point, Neil Mac Master considère cette source avec une
méfiance exagérée. Dans le livre qu’il a co-écrit avec l’universitaire Jim House, celuici
affirme que les archives policières seraient « falsifiées » dès leur production 27. Ces
affirmations sont sujettes à caution. Sur ce point, je rejoins l’opinion de l’historien
Jean-Paul Brunet. Ce dernier a relevé la « partialité » et le « cynisme » de comptes
rendus d’enquêtes de l’inspection générale des services couvrant les exactions de
policiers contre des Algériens, mais il a également mis en avant l’utilité et
l’impartialité des dossiers de la police judiciaire, constitués selon une stricte
codification et sous le contrôle d’un juge d’instruction 28. Ces archives, comme toutes
les sources exploitées en histoire, doivent être analysées avec prudence, mais leur
recoupement avec des témoignages (principalement celui des policiers auxiliaires,
pour ce qui concerne mon travail) a démontré leur fiabilité 29. Les archives de la
préfecture de police contiennent de nombreux rapports permettant de déceler
l’ampleur des affrontements et des violences, et pour ce qui concerne la FPA, les
faiblesses d'une partie des agents de cette unité, mais aussi d'apprécier la dureté de
l’expérience vécue par ces acteurs au quotidien. Ces faits, je les ai observés et
replacés dans leur contexte afin d’en comprendre les mobiles sans souci de
justification. Les manifestations et la nature même des violences exigeaient une
approche interne 30. Dans un conflit de basse intensité, opposant des unités réduites
engagées dans un affrontement où les facteurs humain et psychologique sont
prépondérants, il aurait été absurde de s'émanciper d'une étude comportementale
des policiers auxiliaires 31. Cette approche met en relief la spirale des violences sans
pour autant « distribuer de bons ou de mauvais points » pour chacune des actions
des belligérants 32. C'est pour cela que l’apport testimonial des policiers auxiliaires a été prépondérant. Leurs témoignages étaient, comme tous les témoignages,
empreints de faiblesses, de lacunes ou de reconstructions que seul un travail
d’analyse et de recoupement a permis de mettre à jour et de rectifier 33.
Sur ce point, la correcte exploitation des sources orales n’est pas la vertu
première de la méthodologie du professeur Neil Mac Master3 4. Méthodologie qui
subordonne l’exploitation des sources à des thèses anticolonialistes préconçues.
Selon Jean-Paul Brunet, cet auteur (et Jim House) « considèrent des faits comme
établis, alors qu’ils ne reposent que sur une référence unique et fort douteuse » 35. Il
est vrai que la principale difficulté pour le chercheur est la mise en relation avec les
acteurs de ce conflit, celle-ci ne pouvant se faire sans cooptation en raison de la
persistance des traumatismes psychologiques de cette guerre.
2. Les aspects controversés de la « bataille de Paris »
Les historiens Emmanuel Blanchard et Neil Mac Master abordent la délicate
question de la torture par des agents de la force de police auxiliaire, et selon eux,
mon ouvrage minimiserait les violences commises sur les militants du FLN 36. Cette
critique hâtive fait abstraction des problèmes disciplinaires qu’a connue la FPA,
détaillés et remis dans leur contexte dans mon ouvrage sans être minorés 37.
Emmanuel Blanchard remarque, justement, que l’appellation de « bataille de Paris »
(au même titre que la « bataille d’Alger ») donnée aux opérations de police et aux
combats survenus dans les rues de Paris, résulte d’un choix politique des pouvoirs
publics pour édulcorer les violences policières. Cependant, dans les deux cas, il
convient selon moi, de conserver cette appellation, car elle est plus proche de la
réalité des faits. Certes, les attentats perpétrés par le FLN relèvent d’un symbolisme
politique, mais ces agressions n’en demeurent pas moins des actes de guerre, vécus
comme tels par les acteurs au quotidien. Les stratégies mises en place par les
belligérants, la série d’attaques menées par les groupes armés contre les forces de l’ordre, et la FPA en particulier, sont des actions militaires conduites dans le cadre
d’un conflit de basse intensité 38. La « bataille de Paris » déborde largement du cadre
commun des opérations de police, celles-ci n’étant qu’une des facettes de
l’affrontement. Au début des années 1960, la conception occidentale de la guerre
connaît une phase de transition s’émancipant du modèle des conflits conventionnels
pour connaître son caractère multiforme actuel, que l’on pourrait qualifier de « hors
limites 39 ».
Éluder les aspects militaires de cette lutte est une contre-vérité, visant peut-être à
marquer la disproportion qu’il y aurait eu entre la répression et les manifestations du
nationalisme algérien à Paris. Autre point sujet à controverse, le bilan militaire. Sur
ce point, la victoire appartient indéniablement aux forces de l’ordre 40. Comme sur le
sol algérien, l’intensité et l’adaptation des moyens humains et matériels mis en
oeuvre ne donnaient pratiquement aucune chance aux structures paramilitaires du
FLN. La disproportion des moyens était énorme : les moyens d’un État contre ceux
d’une organisation clandestine. La préfecture de police a déployé massivement les
effectifs de la police municipale, puis de la force de police auxiliaire pour tenir le
terrain 41. Cette présence a été renforcée, à compter du 5 octobre 1961, par un
couvre-feu dont la finalité était d’entraver les communications et surtout
l’acheminement des armes des dépôts clandestins vers les militants des groupes
armés. La reprise des attentats par le FLN au mois d’août 1961 engendre une série
d’opérations de police en milieu algérien, sous l’impulsion de la force de police
auxiliaire 42. L’effet dévastateur des arrestations résultant de ces investigations a été aggravé par quatre facteurs complémentaires : l’assignation à résidence
systématique des militants notoires, ou considérés comme tels, en Algérie, la mise
sous écrou des responsables de la fédération de France du FLN par la direction de
la sûreté du territoire (« opération Flore »), l’interpellation d’Abderrahmane Farès,
contrôleur financier général du FLN en métropole et l’arrestation des cadres
subalternes, préalablement connus des services de police, massivement interpellés
lors des manifestations d’octobre 1961 43. C’est la conjugaison et la convergence des
importants moyens policiers contre le FLN qui a entraîné sa défaite militaire. Par
ailleurs, les archives de l’organisation saisies par la DST 44, quinze jours après les
manifestations d’octobre 1961, donnent une vision depuis l’intérieur de la
désorganisation avancée et de la désagrégation des structures frontistes. Enfin,
dernier point et non des moindres, ces effets se traduisent par une diminution
sensible des attentats à l’encontre des opposants, des réfractaires et des policiers 45.
Au sujet de la torture, j’indique que celle-ci, selon la définition ratifiée par
l’assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984, était l’apanage des
deux camps et que ces moyens sont consubstantiels au terrorisme et au contret
errorisme 46. Les militants du FLN en usait pour obtenir des renseignements, mais
surtout pour le châtiment des traîtres à la cause indépendantiste avant leur
exécution. En revanche, les pressions physiques et morales, parfois très dures,
exercées par les supplétifs visaient exclusivement l’obtention de renseignements.
L’historien Neil Mac Master insiste particulièrement sur ce point en en minimisant le
contexte 47. Bon nombre de militants interrogés passaient rapidement aux aveux 48 et seule une fraction des hommes interpellés tentait de résister à la pression des
agents interrogateurs. Les moyens de coercition montaient en puissance en fonction
de la résistance de l’interrogé et des enjeux. La seule exception aurait été, selon le
témoignage du lieutenant-colonel Raymond Montaner, les collecteurs de fonds : ces
derniers étaient fréquemment rossés dans un but d’action psychologique. Le
message adressé à la population algérienne subissant la pression physique de ces
collecteurs (de la violence à l’exécution sommaire) visait à démontrer la réversibilité
des violences 49. Pour ce qui concerne les militants de l’organisation spéciale (OS)
arrêtés pendant l’hiver 1961, les chefs de section de la force de police auxiliaire ont
été confrontés à des patriotes courageux et opiniâtres. L’OS est une émanation de
l’armée de libération nationale (ALN) et ses membres sont des combattants plus
expérimentés que la moyenne des militants des groupes armés locaux.
L’engagement de cette formation paramilitaire atteste d’une part, de l’intérêt porté
par le FLN à l’action de la FPA dans Paris, et d’autre part, de la volonté de
l’organisation clandestine de lui porter atteinte militairement. Il ne fait aucun doute
que ces hommes ont subi des pressions physiques et morales particulièrement
dures, principalement en raison de leur mission, qui était, rappelons-le, d’affronter les
patrouilles ou les postes de la force de police auxiliaire. Ces violences étaient
ciblées, aucunement systématiques, s’intégrant dans un système institutionnalisé de
recherche du renseignement en profondeur. Les rapports médicaux produits à
l’époque par l’administration attestent de la dureté des coups reçus 50. J’ai pu
déterminer leur nature en confrontant les témoignages des militants violentés avec
les constatations médicales, avec l’appui d’un médecin professionnel en exercice 51.
Grâce à cette méthode, il m’a été permis d’exclure bon nombre de pratiques
inventées dans un but de propagande 52. En revanche, et malgré le caractère tardif
des examens, la nature des lésions confirment les passages à tabac, mais ne
permettent pas d’affirmer le recours à d’autres formes de violences (notamment le
supplice dit « du tourniquet 53 ») ou l’absorption de produits caustiques 54. Les dures conditions de détention, l’âpreté des interrogatoires sont des actes de torture, selon
les conventions internationales en vigueur. * Le drame d'octobre 1961 : une responsabilité partagée
Les circonstances et les enjeux de pouvoirs internes au FLN qui ont conduit au
déclenchement des manifestations du 17 octobre 1961 sont désormais connus,
grâce aux travaux de Neil Mac Master 57. Cette analyse minimise cependant les
aspects militaires : en effet, le couvre-feu 58 décrété par Maurice Papon coïncide avec
une amplification de l’action des services de police contre les groupes paramilitaires
du FLN en totale décomposition, notamment grâce à la série d’arrestations conduites
par la force de police auxiliaire 59. Privé progressivement de son appareil de combat,
le seul moyen disponible pour sensibiliser à sa cause l’opinion publique
métropolitaine et internationale passait par une démonstration collective publique
susceptible de dégénérer en violences. Il est important de rappeler que le
rayonnement politique du FLN se fonde sur sa représentation aux Nations unies et
par sa forte présence en métropole. Pour ne pas perdre le contrôle de sa base – notamment de ses groupes paramilitaires, le comite federal a ete mis en demeure
par l'executif parisien de precipiter les évenements et de suspendre ses attaques
contre les forces de l'ordre. Cette initiative, spontanée, prise sans l'assentiment du
Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), résulte aussi des
tensions internes et des intrigues pour le pouvoir qui dechirent le FLN en vue de la
prise de controle politique après l'obtention de l'indépendance 60. Le comité fédéral
aurait joué cette carte dans l'optique de rappeler au GPRA son poids politique et
mettre en évidence le soutien qu'il recoit des immigrés algériens de métropole. C'est
pourquoi, Mohamed Zouaoui et ses trois controleurs, decident en pleine
connaissance de cause, le 7 octobre 1961, de lancer 20 000 manifestants sur le
pavé parisien pour protester contre le couvre-feu décidé l'avant-veille par le préfet de
police 61. L'itinéraire des cortèges, qui vise des lieux symboliques de la capitale (dont
la préfecture de police et les Champs-Elysees en raison de leur proximité avec le
palais présidentiel) est prémédité de manière à susciter une réaction optimale des
forces de l'ordre. La fédération de France du FLN, sur les renseignements fournis
par le comité fédéral parisien, ne pouvait ignorer l'état d'exaspération des policiers et
sa base militante à l'automne 1961, et d'ailleurs " pressentait" la virulence de la
répression 62. Des rapports, consultés par l'historienne Linda Amiri à partir des
archives de cette organisation, l'attestent 63. Pourquoi alors persevérer sciemment
dans cette voie ? Par démarche martyrologique ? Pourquoi avoir programmé une
" manifestation des femmes contre la repression " en amont 64, avant que celle-ci
n'ait effectivement eu lieu ? Emmanuel Blanchard quant à lui nie cette hypothèse en
arguant de l'absence de document écrit. Cette observation, empreinte de
" naivete " 65, n'est pas acceptable, puisqu'elle ne prend pas en considération la nature clandestine du FLN. La clandestinité impose précisément l’usage de
consignes orales, sans consignation écrite, des décisions secrètes d’une portée
stratégique (et surtout dont les conséquences pourraient remettre en question la
survie de la fédération. Soulignons que les responsables de cet appareil ont choisi
de « médiatiser » l’événement 66 pour mettre en valeur l’ampleur de la mobilisation et
sensibiliser les membres de l’ONU sur le conflit en cours en montrant les violences
de la police coloniale 67. Dans son choix, la fédération de France s’est certainement
inspirée du modèle indépendantiste indien d’actions non violentes 68. Sans diminuer
l’ampleur des violences policières, il convient de constater qu’en dépit de leur
virulence et de leur gravité, aucune femme et aucun enfant, pourtant placés en tête
des cortèges, n’ont péri 69. Conclusion
La « Bataille de Paris » a été un affrontement de basse intensité, où s’opposaient
deux légitimités sur fond de guerre subversive : l’État français et l’État algérien
naissant, représenté par le FLN. La polémique autour de la force de police auxiliaire
ne peut être comprise sans une prise en considération du contexte. Face à un
terrorisme qui s’affranchit des lois conventionnelles de la guerre, l’État républicain
doit en toutes circonstances veiller à la sûreté de ses citoyens, même si la violence
est perpétrée contre une partie de la communauté nationale. Et pour remplir cette
mission défensive régalienne, l’État peut légitimement - lorsque ses intérêts vitaux et
sa population sont menacés - s’affranchir momentanément des considérations
morales susceptibles d’entraver son action. Si l’on jette notre regard sur d’autres
conflits coloniaux, nous constatons des similitudes dans la lutte contre les menées nationalistes, jugées subversives : création d’un statut juridique de la population
aspirant à s’émanciper, refus du statut de combattant aux militants nationalistes,
création de formations spécialisées de recrutement local. Les procédés de contreterrorisme
et de contre-guérilla sont immuables et les responsabilités françaises sur
ce point ont été clairement identifiées, mais pas totalement (par une écriture
objective, il va sans dire) concernant celles du FLN. L’histoire a démontré que
lorsqu’une structure clandestine et autoritaire prend le pouvoir sur un terreau
politique vierge de toute expérience de la démocratie, elle se mue en un appareil
étatique dictatorial. L’organisation des manifestations d’octobre 1961, au même titre
que le déclenchement de la guerre civile algérienne 70, est à considérer comme une
des responsabilités majeures de la fédération de France du FLN. Sur ce sujet, la
protection de la population qu’elle représentait – et volontairement mise sous les
coups de la « répression » - n’était pas la préoccupation principale des dirigeants
nationalistes. Cette mise au point est, selon moi, nécessaire pour une écriture
« apaisée » de la guerre d’Algérie, écriture de préférence à confier à des historiens
émancipés des « influences » précitées dans cet article.
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Mis en ligne le 27 février 2025
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