Malaise et divisions des jeunes gaullistes durant la guerre d'Algérie

Après la mise en sommeil du RPF (Rassemblement du peuple français) en mai 1953, les jeunes gaullistes se dispersèrent en petits groupes informels aux effectifs réduits (1). Tous se retrouvaient dans un même combat pour la défense de l'Union française. Le 20 février 1954, ils firent ainsi échec dans le Quartier latin à une manifestation d'étudiants " anticolonialistes ". Le soutien aux soldats et permissionnaires d'Indochine et de Corée faisait partie du travail militant des adhérents qui organisaient des bals en faveur des blessés et distribuaient des friandises aux permissionnaires dans les trains. Très nationalistes, ils vécurent douloureusement la bataille de Dien-Bien-Phu. Le 19 mars, une délégation déposa une gerbe à l'Arc de Triomphe en communion avec les défenseurs du camp retranché. Certains se portèrent même volontaires pour rejoindre la garnison encerclée, à l'image de Jean-Michel Laurent parachuté le 12 avril sur " Isabelle ". Accusant le " système " d'avoir bradé l'Indochine, les jeunes gaullistes entrèrent dans le conflit algérien sur des positions nationalistes (même si certains évoluaient déjà vers l'autonomie). Avec l'espoir aussi que la crise politique et militaire permettrait le retour du Général. Si cette attente fut récompensée, la politique algérienne de De Gaulle allait bientôt troubler les cadets.

Des jeunes gaullistes favorables à l'Algérie française durant la " Traversée du désert " (1954-1958)

La structure des Jeunes républicains sociaux (JRS), section cadette du Centre national des républicains sociaux, remontait à janvier 1954 (2). Dirigé par Guy Ribeaud, le mouvement comptait un demi-millier de membres. Le secrétaire général était présent au comité directeur des Républicains sociaux ainsi que trois autres cadets, Claude-Gérard Marcus, Jean Kozec et René Couveihnes. De fait, le parti ne pouvait ignorer ces jeunes qui constituaient ses seuls véritables militants avec leur journal Salut public. L'appui affiché à Jacques Chaban-Delmas (que certains JRS comme Guy Ribeaud, François Lefebvre et Jean Kozek avaient suivi au ministère des Travaux publics puis à la Défense nationale) achevait de les rendre incontournables. Les JRS constituaient la frange progressiste des jeunes gaullistes, comme en témoignait leur attachement identitaire au thème de l'association capital-travail. Beaucoup d'entre eux restaient fidèles à l'Algérie française, à l'image de leur leader Guy Ribeaud lié à l'avocat activiste Biaggi. Mais une aile libérale commençait à se former, emmenée par Claude-Gérard Marcus et Jacques Milloux. Lors du congrès national de 1957, la majorité repoussa la motion du général Lanusse concernant la crise algérienne, la jugeant trop libérale, alors que C.-G. Marcus et J. Milloux l'avaient pourtant soutenue. Certains responsables comme Jacques Mer ou J. Kozek crurent dès le début à l'indépendance inéluctable de l'Algérie, cette dernière ne pouvant à leurs yeux aller à rebours d'un Maroc et d'une Tunisie déjà détachés de la France. Pour éviter que la question algérienne ne brise l'unité du mouvement, la direction décida à partir de la mi-1957 d'orienter sa propagande sur le thème exclusif du retour de De Gaulle.

Cette campagne prit un tour prophétique en janvier 1958, quand J. Milloux réalisa pour Salut public une photomontage présentant le président Coty serrant la main de De Gaulle avec comme sous-titre : " Devant la faillite du mauvais régime, le président Coty confie au général De Gaulle la formation d'un gouvernement de salut public. " Une action militante limitée par la médiocrité des effectifs. Selon un rapport interne, les JRS de la capitale étaient passés de l'automne 1957 à l'été 1958 de 95 à 135 membres seulement. Ni G. Ribeaud ni ses successeurs C.-G. Marcus, J. Milloux et J. Mer ne parvinrent à améliorer ce résultat.
Les jeunes de l'Union pour le salut et le renouveau de l'Algérie française (USRAF) constituaient la branche cadette du mouvement fondé en février 1955 par Jacques Soustelle, aidé de Roger Duchet, Georges Bidault et André Morice. Décidés à maintenir à tout prix la présence française en Algérie, ces jeunes représentaient la frange extrémiste des cadets gaullistes.
Certains avaient rejoint l'USRAF par souci d'efficacité et, dépourvus de conviction gaulliste, ne concevaient le recours au Général que comme une nécessité tactique.
En dépit d'un âge déjà avancé (48 ans en 1958), Bertrand Flornoy avait bénéficié de ses relations privilégiées avec Jacques Soustelle pour obtenir la direction des cadets (3). Ces derniers, peu nombreux, entretenaient des relations ambiguës avec des groupes marqués à droite (4) :

- Les jeunes du Parti patriote révolutionnaire formaient une petite organisation fondée au cours de l'hiver 1957-58 par J.-B. Biaggi. Ce dernier entendait rassembler " pétainistes " et " gaullistes " sous le signe de l'Algérie française. Les cadets du PPR, anciens de l'Indochine et étudiants de la corpo de droit, s'exprimaient dans l'organe du parti (La France au pouvoir) et perturbaient les meetings de gauche.
- Les Jeunes indépendants de Paris (JIP) étaient dirigés par Jean Bourdier, assisté de Pierre Durand, Jean- Claude Casanova, Alain et Dominique Jamet, Bernard Mamy et Jean de Brem. Cette formation, lancée au début des années 1950, rassemblait des jeunes nationalistes issus des facultés de Droit. Les JIP étaient également conduits par Jean-Marie Le Pen qui rejoignit la formation à son retour d'Indochine. En 1955, Roger Delpey, qui incarnait la tendance gaulliste au sein de l'ACUF (Association des combattants de l'Union française), présenta J.-M. Le Pen à Pierre Poujade qui cherchait des candidats UDCA pour les législatives. Élu député, J.-M. Le Pen prit la direction de la section cadette de l'UDCA, l'Union de défense de la jeunesse française (UDJF) jusqu'en octobre 1956.
- Les Jeunes indépendants et paysans rassemblaient les jeunes du CNIP. Beaucoup étaient issus de l'UDJF et avaient suivi J.-M. Le Pen dans sa dissidence de novembre 1956 sur la question de Suez. Ils s'acclimatèrent d'autant mieux au CNIP que la section cadette du parti de R. Duchet adoptait un ton extrémiste à la faveur de la guerre d'Algérie (5). En juillet 1957, le congrès des jeunes du CNIP (dirigés par Roland Puyoou) fut l'occasion de discours résolument Algérie française. Parmi ces transfuges UDJF figurait Guillaume du Couédic, un ancien de Sciences-Po qui travaillait pour le BEIPI de Georges Albertini. Il assurait le lien entre les Jeunes du CNIP et ceux de l'USRAF qu'il fréquentait par l'intermédiaire de Gérard Le Marec, bras droit de Bertrand Flornoy.

Dans les années 1956-58, certains jeunes gaullistes relevaient d'une autre mouvance indépendante de toute organisation adulte : le réseau Jacques Dauer (6). Jacques Dauer avait été un des chefs des jeunes RPF à Paris dès 1947. En juin 1951, Michel Maurice-Bokanowski lui offrit le poste de responsable de la région parisienne. Fin 1954, J. Dauer conserva en activité quelques groupes de jeunes qui continuèrent de militer aux côtés des JRS. Son père étant imprimeur, il disposait de facilités pour éditer à sa guise journaux, tracts et affiches. Il distribua de 1953 à 1955 près de 500 000 affiches, un million de tracts et fit paraître dès février 1953 un nouveau journal Paris-Jeunes. Très engagés à l'origine dans le combat pour l'Union française, les " jeunes de Dauer " concentrèrent ensuite leur militantisme autour de la question communautaire.

En 1955, le réseau alignait encore 300 jeunes, dynamiques et expérimentés. La résistance s'organisa durant les années 1955-57 autour d'un nouveau périodique Le Télégramme de Paris. Tiré à 25 000 exemplaires et vendu à la criée sur les boulevards parisiens, le journal rassemblait quelques plumes gaullistes comme le général Koenig, Jean Dutourd, Jacques Soustelle, André Fanton et Michel Debré. Les cadets se retrouvaient dans le club " Honneur et Patrie ", qui organisait des conférences à la salle Wagram, destinées à entretenir une flamme gaulliste vacillante. Illustration de la collusion entre jeunes gaullistes et nationalistes dans un même combat contre la IVe République et pour l'Algérie française, les cadets participèrent à la descente contre les locaux du PCF et de L'Humanité le 7 novembre 1956, organisée par J.-B. Biaggi avec le soutien de Jeune Nation.

La propagande s'intensifia fin 1957, quand l'aggravation de la crise algérienne rendit crédible l'hypothèse d'un retour du Général. Le 8 décembre 1957, Jacques Dauer lança un projet de pétitions destiné à inciter René Coty à se tourner vers De Gaulle. Cette opération, débutée le 19 janvier 1958, aboutit tardivement. Le 10 mai 1958, les cadets remirent les ballots de lettres à l'Élysée. Le 15 mars, les jeunes avaient déjà placardé en une nuit dans toute la France 175 000 exemplaires d'une affiche dessinée par M. Rodet représentant un travailleur, les bras en V, sur fond de croix de Lorraine, avec comme slogan : " Appelons De Gaulle ". Deux autres campagnes furent lancées les 18-19 avril et 15 mai avec 600 000 affiches.

Le 15 mai, profitant de la visite de la Foire de Paris par le président de la République, J. Dauer envoya ses cadets crier " Coty démission ! ". Du 17 au 19 mai, il dépêcha des émissaires en province pour prendre contact avec les responsables gaullistes locaux et monter des Comités de salut public. Le 26 mai, ses jeunes placardèrent La Marseillaise de Rude avec le slogan : " Appelons De Gaulle et la France sera la France. " Mobilisé pour la prise du pouvoir à Paris dans la nuit du 29 au 30 mai dans le cadre du plan " Résurrection ", le réseau Dauer n'eut pas à participer à cette opération ultime, le Général ayant opté pour un processus plus " régulier " (7).

En octobre 1958, les formations gaullistes se réunirent pour fonder l'Union pour la nouvelle République (UNR). Au même moment et dans une même dynamique fusionnelle, les " sections jeunes " de ces mouvements aînés décidèrent à l'initiative de leurs mentors adultes de se rassembler. Il en résulta en décembre 1958 une organisation dénommée les " Jeunes de l'UNR ".

La question algérienne divise les cadets gaullistes(1958-1962)

Plus nombreux et actifs que les jeunes de l'USRAF, bien implantés dans les cabinets ministériels, les JRS se trouvaient à l'automne 1958 en bonne position pour prendre le contrôle de la nouvelle organisation de jeunesse gaulliste alors en gestation. Mais R. Frey confia la direction de cette dernière à B. Flornoy pour des raisons d'équilibre interne à l'UNR. Les partisans de l'Algérie française, très influents à la direction du nouveau mouvement, manifestaient ouvertement leur défiance à l'égard des JRS. Ceux-ci constituaient à leurs yeux des " petits mendésistes " prêts à brader l'Algérie par opportunisme politique. Comme le résume J. Milloux, se rappelant les propos peu amènes que tenait Alexandre Sanguinetti à leur encontre, " on n'était pas les bienvenus chez les jeunes de l'UNR (8)… "

Dans cette atmosphère tendue, Bertrand Flornoy et Gérard Le Marec réunirent les leaders cadets au Cercle républicain début décembre 1958. Des jeunes gravitant autour du BEIPI et des anciens responsables de l'Action française dans le Quartier latin étaient aussi présents. Mis en minorité, J. Mer et J. Milloux refusèrent ce coup de force. À peine lancée, la formation cadette se voyait déchirée en tendances rivales.
Appuyé par R. Frey, B. Flornoy réussit à imposer son lieutenant, Gérard Le Marec, comme secrétaire administratif des jeunes de l'UNR. Les anciens JRS ne décrochaient que des lots de consolation. J. Milloux prit la direction du journal du mouvement, L'Espoir des jeunes, tandis que J. Mer fut nommé délégué à la région parisienne. Écartés des postes de commandement, les JRS furent débordés par les extrémistes. Alors qu'il était désormais favorable à l'autodétermination,
J. Milloux dut publier des numéros consacrés à l'Algérie française (9). G. Le Marec lui déroba même une partie des plombs servant à la reproduction du discours du 16 septembre 1959 du Général sur l'autodétermination…

Quelques mois auparavant, B. Flornoy avait dissipé les derniers doutes pesant sur l'orientation du mouvement, en rédigeant un article intitulé : " L'Algérie est notre destin ". " C'est notre devoir à nous, jeunes compagnons, de nous engager sans réserve pour que l'Algérie soit française non seulement dans les mots mais dans la vie de tous… La France a toujours sa chance en Algérie de la même façon que l'Algérie a sa chance avec la France (10). " G. Le Marec visita à plusieurs reprises les sections algéroises des jeunes de l'UNR, comme le 27 mars 1959. Ses articles dans le mensuel du mouvement glorifiaient l'œuvre civilisatrice de la métropole et présentaient la lutte contre le FLN comme le combat du monde libre contre le communisme.

Début 1959, après le discours de De Gaulle aux étudiants de l'université de Toulouse, B. Flornoy créa une délégation générale étudiante présidée par deux partisans de l'Algérie française, René Zimmermann et Richard Brunoy (dont le père avait été autrefois le bâtonnier d'Alger). Ces deux responsables déploraient les prises de positions du bureau de l'UNEF en faveur de la paix en Algérie. Dans L'Espoir des jeunes de mars 1959, R. Zimermann dénonçait " le phénomène d'osmose qui s'est établi entre l'actuelle direction de l'UNEF et les mouvements progressistes et communistes ". En novembre 1959, F. Lagel accusa l'UNEF d'encourager la fraude des sursis : " Sur 140 000 sursitaires, 65 000 sont des tricheurs… " Si les étudiants gaullistes affichaient globalement en 1959-60 des positions intégrationnistes, ceux qui n'avaient pas suivi d'études et étaient déjà engagés dans la vie active (ils étaient minoritaires au sein des jeunes de l'UNR) semblaient plus mesurés sur la question. Protégés des rigueurs du contingent par leur sursis, les étudiants évaluaient peut-être mal les réalités algériennes…

Finalement une nouvelle ligne de clivage se dessina au sein des tenants de l'Algérie française. Une frange radicale emmenée par G. Le Marec s'opposa à une majorité plus " réaliste " conduite par B. Flornoy. Depuis quelque temps, G. Le Marec manifestait son indépendance vis-à-vis de son ancien patron. Lors des assises de Bordeaux les 13-15 novembre 1959, il fit voter une motion contre B. Flornoy, qui répliqua en obtenant sa démission. Gérard Le Marec devait basculer dans l'OAS, suivant Joseph Ortiz dans sa fuite en Espagne. De son côté, J. Milloux, désabusé par ces querelles internes, quitta les jeunes de l'UNR en avril 1960.
B. Flornoy partagea la direction avec J. Mer, dernier représentant de l'aile modérée. Réalisant que les assises de Bordeaux de l'automne 1959 avaient sanctionné la défaite des partisans de l'Algérie française au sein de l'UNR, l'ancien soustellien opéra un prudent recentrage. Une modération motivée également par l'espoir d'obtenir un poste de haut-commissaire à la jeunesse… En imposant lors de ces mêmes assises à une base plutôt réticente la démission de son ancien adjoint G. Le Marec, B. Flornoy donnait un gage de fidélité à la rue de Lille.

Si la direction du parti enregistra avec satisfaction le retour de B. Flornoy à de meilleures intentions, elle ne nourrissait aucune illusion quant à l'extrémisme qui continuait d'animer la majorité des jeunes UNR. L'idéal intégrationniste restait d'actualité. Alors que l'UNR s'était séparée rapidement de ses éléments " Algérie française " au point d'apparaître après la démission de L. Delbecque le 14 octobre 1959 et surtout l'exclusion de J. Soustelle le 25 avril 1960 comme une formation globalement cohérente, ses cadets n'avaient pas suivi la même évolution et procédé aux mêmes " purges ".
Chez eux, les partisans de la " francisation " restaient majoritaires, d'autant qu'ils étaient " travaillés " discrètement par les ténors gaullistes de l'Algérie française (J. Soustelle, L. Delbecque, G. Ribeaud, R. Cathala, J.-B. Biaggi).

En réaction et pour se prémunir de toute contagion extrémiste, l'UNR prit ses distances. Le parti refusa à ses cadets les pages de ses journaux ou l'usage de ses locaux. Dans ces conditions, les jeunes ne purent développer leur recrutement, se contentant d'effectifs médiocres. En 1959, le mouvement ne comptait à Paris que quatre-vingts adhérents dont seulement vingt militaient réellement. La grande majorité poursuivaient encore leurs études et provenaient des facultés de droit et Sciences-Po, habituels bastions de la droite universitaire.

En dehors de la capitale, l'organisation disposait de maigres antennes à Lille, Marseille, Bordeaux, Lyon et Strasbourg. Dans un contexte d'hyper-politisation de la jeunesse marqué par l'action de l'UNEF contre la guerre d'Algérie, ces résultats témoignaient de l'échec des cadets gaullistes.
Cette crise jouait dans les deux sens. La défiance de la direction UNR exacerbait l'aigreur des cadets et renforçait leur extrémisme. Après les assises de Bordeaux, la base déborda B. Flornoy et imposa ses vues " intégrationnistes ". Le 11 octobre 1960, une motion émanant du Comité permanent de la jeunesse UNR, révéla l'étendue de cette dérive. Prenant acte d'une conférence d'étudiants européens en Suisse invitant à manifester contre la " politique colonialiste française en Algérie ", le Comité dénonçait le lien entre cette décision et l'initiative de l'UNEF d'organiser une journée pour la paix. Les responsables priaient le gouvernement d'interdire la manifestation de l'UNEF et de condamner " l'agitation anti-nationale de quelques meneurs qui prétendent engager l'ensemble de la jeunesse ". Créé en juillet 1960, ce comité réunissait une vingtaine de parlementaires UNR et une vingtaine de responsables jeunes, dont la fille du député Dronne, Colette Dronne. Une semaine auparavant, le bureau des jeunes UNR de la Seine avait exprimé sa colère face aux agissements " d'intellectuels dévoyés qui en faisant l'apologie de l'insoumission sapaient le moral de la jeunesse française au seul profit du FLN et de ses complices (11) ".

Les jeunes Parisiens, les plus nombreux, apparaissaient comme l'aile radicale du mouvement. Ils subissaient l'influence de l'extrême droite bien implantée dans les facultés de droit. Dans les villes universitaires de province (Lille, Toulouse, Aix, Grenoble, Strasbourg), les positions étaient plus mesurées. En 1961-1962 à Toulouse, Jacques Godfrain distribua des tracts pour la paix en Algérie et contre l'OAS (12). Loin de l'agitation parisienne et de son effet d'entraînement, le parti tenait mieux ses cadets. Au demeurant, en l'absence d'organisation fédérale véritable, il est difficile d'évoquer le mouvement cadet de manière globale. Ces " groupes de jeunes UNR " ne représentaient qu'une poignée d'adhérents agissant en leur nom propre.

Après les assises de Bordeaux, B. Flornoy privilégia l'action sociale au détriment d'un engagement partisan trop risqué. Il organisa ainsi une opération baptisée " Les étrennes fraternelles du bled " tout en lançant " une association destinée à faire connaître l'Algérie et le Sahara et à associer à la métropole les jeunes musulmans d'Algérie (13) ". Ces activités ne suscitèrent guère d'enthousiasme. Les jeunes UNR ne collectèrent en 1959 qu'une centaine de colis pour l'Algérie et suspendirent l'opération l'année suivante. L'association culturelle eut une durée de vie encore plus courte.
Quand les jeunes gaullistes se risquèrent dans le bidonville musulman de Nanterre, ils furent reçus à coups de pierres et décidèrent sagement de ne plus y retourner…

À la rentrée 1961, B. Flornoy dut constater son échec. La formation ne comptait qu'une centaine d'adhérents parisiens. Même à cette époque, la base restait encore intégrationniste, se situant plus que jamais à contre-courant du parti. Durant ces deux ans, l'UNR brida les cadets dans tous les domaines. Les jeunes n'intégrèrent le comité central du parti que le 22 octobre 1960 et les deux délégués n'y occupèrent que des postes consultatifs. L'UNR ne distribua jamais de subsides réguliers. B. Flornoy choisit donc de démissionner.

En dépit de ses efforts, il n'était pas parvenu à contrôler ses lieutenants, restés Algérie française. La démission de la plupart d'entre eux (Richard Brunoy, Colette Dronne, Guy Hazael-Massieux, Jean de Lamberterie et Alain de Charry) en janvier 1961, avait accentué la fracture entre le parti et ses cadets. Ayant rejoint le gaullisme en 1958-59 parce qu'ils avaient associé le Général au maintien de l'Algérie française, beaucoup quittèrent la formation après le référendum de janvier 1961 qui enterra définitivement l'hypothèse intégrationniste. Il fallait trouver un successeur à B. Flornoy. Roger Dusseaulx, secrétaire général de l'UNR, confia en novembre 1961 la délégation de la jeunesse UNR à Patrick Gilles, étudiant de l'IEP de Paris. Il ne parvint pas à relancer le mouvement.
Les jeunes de l'UDT apparurent en octobre 1959, peu de temps après la fondation de l'organisation dont ils dépendaient. Comme à l'UNR, un responsable aîné " parrainait " le lancement de la section. Il s'agissait de Roger Sauphar, secrétaire administratif du parti. Son autorité imposa Bernard Cahen, un jeune diplômé de l'IEP de Paris, tête de liste UNEF à la faculté de droit (14). Les deux hommes s'étaient déjà rencontrés alors que Roger Sauphar n'était que trésorier de l'UDT. " J'étais alors la tête de liste de l'opposition à la fac de droit. Je lui ai dit à un moment : moi, je suis contre la guerre d'Algérie, mais je pense que le seul qui puisse faire l'affaire, c'est De Gaulle. Il répond : c'est tout à fait notre position, venez avec nous. J'ai pas dit oui tout de suite. Il m'a relancé après. J'ai trouvé que c'était dans la logique de mon engagement syndical et j'ai accepté (15). "

Les jeunes de l'UDT privilégiaient la souplesse du réseau à la lourdeur administrative d'une formation politique. L'organisation recrutait surtout à Paris et ne débordait pas du milieu étudiant. Les adhérents venaient des facultés de droit et de Sciences-Po, on trouvait quelques scientifiques et littéraires. Deux professeurs de droit, R. Capitant et L. Hamon, les soutenaient. Les cadets avaient établi des antennes dans des villes universitaires comme Grenoble, Lille, Marseille et Montpellier. Le total s'élevait à une centaine de militants et sympathisants.
L'intégration des jeunes dans le mouvement adulte était parfaitement réalisée à l'UDT, parce que cadets et aînés communiaient dans un même credo autonomiste.

Sûre de ses jeunes, l'UDT leur ouvrit ses instances directives. Trois responsables siégeaient dans le comité directeur : Laurent, Yves Damna et Bernard Cahen (qui figurait à la délégation exécutive). Les cadets s'y trouvaient à parité avec les adultes et occupaient de véritables postes. Si les jeunes collèrent des affiches, distribuèrent des tracts et le journal Notre République dans le Quartier latin, ils privilégièrent l'entrisme au sein des syndicats universitaires. B. Cahen dirigeait l'UNEF à la faculté de droit tandis que Laurent était vice-président du groupe philo de la FGEL. L'UNEF constituait le principal terrain de recrutement. La plupart des adhérents en étaient issus et continuaient d'y militer. C'est d'ailleurs pour priver leurs concurrents de ce vivier que B. Flornoy réclama et obtint aux assises de l'UNR de Strasbourg la suppression de la subvention allouée par le ministre de l'Éducation à l'UNEF.

Les deux mouvements de jeunesse s'opposaient radicalement sur la question algérienne. Alors que la majorité des jeunes UNR défendaient la présence française, les jeunes UDT se battaient pour l'indépendance.
Ce faisant, ces derniers prolongeaient sur le plan politique la lutte de l'UNEF. Un tract distribué à Paris le 7 octobre 1960 illustrait cette relation privilégiée. " Le groupe des jeunesses UDT, gaullistes de gauche, après avoir pris connaissance de l'appel pressant de l'UNEF, se déclare prêt à participer à l'organisation de la manifestation nationale annoncée qui doit rassembler tous ceux qui sont favorables à une paix négociée en Algérie (16). " Cette communauté d'action se trouvait favorisée par la double appartenance UNEF " mino "-jeunes UDT de la plupart des militants.
Rapidement, les jeunes UDT ne se contentèrent plus de distributions de tracts et manifestations. À partir de juin 1960, ils entamèrent des rencontres avec les jeunes du FLN, réunions au demeurant illégales.

B. Cahen se souvient d'une rencontre organisée début 1960 avec des responsables FLN. " On leur a dit : c'est vous qui avez raison, la paix se fera avec De Gaulle. Si vous avez besoin d'aide, on est prêt à le faire 17. " Ces entrevues s'inscrivaient dans le cadre des relations UNEF-UGEMA, mais B. Cahen et ses amis y participèrent en tant que Jeunes UDT. Le responsable UDT qui servait d'intermédiaire entre les jeunes gaullistes et les étudiants algériens était Alain Dutaret (un docteur en droit qui siégeait au CD de l'UDT depuis octobre 1959).
Assurés du soutien officieux des aînés, les jeunes UDT organisèrent des réunions, firent passer des messages aux libéraux algériens et rencontrèrent quelques leaders.

La rivalité entre les deux organisations gaullistes était d'autant plus forte que les jeunes de l'UDT s'affirmaient " de gauche ", par sensibilité progressiste mais aussi en réaction contre l'extrémisme de leur adversaire.
Ce positionnement s'exprimait dans la géographie politique du Quartier latin. Sur la gauche la rue Soufflot en descendant du Panthéon, les étudiants " progressistes " se réunissaient dans le café Soufflot, tandis qu'en face, au Relais du Panthéon, se rassemblaient leurs adversaires de droite. Les amis de B. Cahen fréquentaient le Soufflot, où ils retrouvaient des communistes et libéraux d'Algérie (comme Jean-Pierre Elkabbach) avec lesquels ils sympathisaient.
La fin de la guerre d'Algérie tarit le recrutement déjà faible des jeunes UDT. Venus à la formation pour défendre la cause de l'indépendance, la plupart n'y restèrent pas, une fois l'objectif atteint.

L'organisation peina à remobiliser ses troupes autour des seules valeurs du gaullisme de gauche. Aussi, lorsque le parti opéra la fusion entre les deux mouvements de jeunesse en décembre 1962, les jeunes UDT ne furent pas assez nombreux pour s'opposer à ce diktat. Beaucoup démissionnèrent et abandonnèrent la politique. Les autres acceptèrent bon gré mal gré de voir P. Gilles prendre la tête de la Délégation à la jeunesse UNRUDT.
Seule consolation, B. Cahen rejoignait le comité central de l'UNR-UDT.

François AUDIGIER maître de conférence à l'Université de Nancy 2.

1. Sur les JRS (Jeunes républicains sociaux), Yann Tanguy, Les mouvements de jeunes gaullistes de 1947 à 1958, DEA, Université de Rennes, 1978, 149 p. Bernard Lachaise, " Étudiants et jeunes du RPF (1947-1955) " in Giovanni Orsina et Gaetano Quagliariello, La formazione della classe politica in Europa (1945-1956), Piero Lacaita Editore, 2000, pp. 97-111.
2. Interview de Jacques Milloux, le 6 décembre 1996.
3. Bernard Ulmann, Jacques Soustelle, Plon, 1995, 438 p.
4. Olivier Dard, " Jalons pour une histoire des étudiants nationalistes sous la IVe ", Historiens et Géographes, juillet-août 1997, pp. 249-263. Claude Guiblin, un étudiant RPF de Sciences-Po, est revenu sur ces contacts entre jeunes gaullistes et nationalistes entre 1954 et 1958 (Claude Guiblin, La passion d'agir, La Pensée universelle, 1993, 249 p).
5. François Audigier, " Les jeunes modérés et les jeunes radicaux de 1945 à 1955 ", in La formazione della classe politica in Europa (1945-1956), op. cit., pp. 133-155.
6. Jacques Dauer et Michel Rodet, Le 13 mai sans complot, Éd. Pensée moderne, 1959, 195 p. Jacques Dauer, Le hussard du Général, La table ronde, 1994, 174 p.
7. Christophe Nick, p. 735. J. Dauer et M. Rodet, Le 13 mai sans complot, op. cit., p. 85. Dans leur mémoire, Le gaullisme de gauche, IEP Paris, direction de J. Touchard, 1962, p. 173, Jean-François Carrez et Pierre-André Wiltzer évoquaient ces événements et le rôle des jeunes de J. Dauer.
8. Interview de J. Milloux, le 6 décembre 1996.
9. " L'Algérie est notre destin " en avril-mai 1959, " Grâce à De Gaulle, l'Algérie sera française " en novembre 1959.
10. L'Espoir des jeunes, n° 2, mai-juin 1959.
11. Courrier de la Nouvelle République, n° 29, 14-20 octobre 1960.
12. Jacques Frémontier, Les cadets de la droite, Paris, Le Seuil, 1984, p. 88.
13. L'Espoir des jeunes de novembre 1959.
14. Bernard Cahen, Les gaullistes de gauche (mai 1958-août 1962), Mémoire à la faculté de droit de Paris, octobre 1962, pp. 86-90.
15. Interview de B. Cahen, le 5 décembre 1996.
16. B. Cahen, Les gaullistes de gauche, op. cit., p. 125.
17. Interview de B. Cahen, le 5 décembre 1996.

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Mis en ligne le 08 mai 2012
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