L'exode

Sur plus d'un million de Français vivant en Algérie en 1954, il en restera encore environ huit cent mille à la date du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, et, après avoir quitté massivement le pays, ils ne seront plus que quelques milliers à la fin de l'été 1962. Selon une étude menée par l'historien Jean Monneret (1), ce mouvement s'est opéré principalement en deux vagues.

La première vague touche essentiellement les habitants de l'intérieur du pays qui, à la suite du départ des troupes françaises, abandonnent leurs villes, leurs villages, leurs terres et leurs biens ; ils fuient devant les enlèvements et les massacres perpétrés par le F.L.N., mais aussi par des délinquants et des résistants de la dernière heure (les marsiens, les ralliés du 19 mars 1962, date du cessez-le-feu) ; beaucoup qui désirent continuer à vivre en Algérie, s'ils ne sont pas assassinés, sont chassés de chez eux et contraints au départ.

En chemin vers les ports et les aérodromes, les fugitifs se heurtent, souvent sous l'œil impuissant de l'armée française, à des barrages où, s'ils ne laissent pas leur vie, ils sont dépouillés des biens qu'il leur reste. Parqués sur les aéroports et dans les ports, sous la garde des gendarmes mobiles qui - O.A.S. oblige - veillent pistolet-mitrailleur à la ceinture, ils attendent parfois plusieurs jours le moment de leur embarquement, dormant sur place et obligés d'abandonner une valise s'ils en possèdent deux.

Beaucoup parmi ces gens sont des rescapés des massacres : des femmes et des enfants qui ont été violés, des veuves, des orphelins qui ont abandonné le corps d'un mari, d'un père ou d'un frère assassiné sous leurs yeux. L'encombrement des ports et des aérodromes est tel que les autorités françaises vont parfois jusqu'à envoyer des troupes et des chars en bloquer les accès, ordonnant aux réfugiés de " rentrer chez eux ".

La deuxième vague, qui se déclenche dans les jours qui suivent la sécession (2 juillet 1962), touche essentiellement les habitants des grandes villes et, fait marquant, tous les Européens sans distinction : les fonctionnaires, les cadres et techniciens (certains arrivés récemment de métropole), les membres du clergé restés en Algérie dans le cadre de leurs missions humanitaires, des libéraux convaincus qui avaient joué le jeu du F.L.N., tous ceux qui, de par leurs fonctions, leurs idées progressistes ou leurs amitiés, avaient cru pouvoir continuer à vivre au milieu d'un peuple algérien dont ils avaient la confiance et qui leur demandait de rester…; l'ampleur des désordres est telle, que même des militaires français en uniforme et des membres des corps diplomatiques étrangers sont enlevés et assassinés, ce qui constitue une violation flagrante des accords d'Évian.

L'Algérie se vidant du personnel administratif et des habitants qui, tant bien que mal à la suite des purges et des départs, continuaient à assurer la conduite et la vie économique du pays, le marasme s'installe sous toutes ses formes : chômage, misère, loi du plus fort…
Le peuple qui a faim manque de tout et les agressions se multiplient : pillages, viols, sodomies, tortures…
Tous les biens des Français sont à prendre : logements, mobilier, voitures, argent…

Selon l'ancien fellagha Rémy Madoui : (2)
" L'exode des pieds-noirs continua à raison de 8 000 à 10 000 personnes par jour. Avec ces départs de Pieds-Noirs et d'Algériens, administrateurs, fonctionnaires, officiers, l'Algérie se vidait de ses forces vives, de son encadrement et de ses techniciens. […]
" C'était l'anarchie totale. Paris accepta l'ouverture des frontières [des barrages*] pour laisser l'armée F.L.N. stationnée au Maroc entrer en Algérie, ce qui causa une panique chez les Pieds-Noirs et intensifia encore le nombre de leurs départs. Des milliers de gens hagards, désorientés et complètement démunis attendaient les bateaux qui devaient les emmener loin de leur pays, ce pays auquel ils resteraient à jamais attachés par toutes les fibres de leur être. "

Au fil des semaines, les techniques des enlèvements, des assassinats et du rançonnement se perfectionnent; relevant de méthodes propres au crime organisé, elles deviennent le fait de deux pouvoirs montants: celui de l'armée de libération nationale (A.L.N.), seul organisme ayant conservé des structures hiérarchiques cohérentes et celui de la rue où des bandes, également structurées, règnent par la terreur.
Lieutenant-colonel Armand Bénésis de Rotrou

1. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d' Algérie, op. cit., pages 120 à 123, 222, 223 et 309.
2. Rémy Madoui, J' ai été fellagha, officier français et déserteur - Du FLN à l' OAS, Paris, Seuil, 2004, page 313

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Mis en ligne le 04 juillet 2011

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