1) Au début de l'année 1962, après sept ans de guerre, l'échec de sept gouvernements sous la IVe République et les laborieux efforts de la Ve, alors que le terrorisme de l'O.A.S. redouble de violence et que le pouvoir semble s'évanouir en Algérie, rien ne permet de penser que dans un délai de six mois le problème algérien va être réglé par deux consultations populaires à une écrasante majorité sur la base d'une solution préconisée conjointement par le Gouvernement français et le G.P.R.A. (1).
Depuis la fin des entretiens de Lugrin, il ne se passe pratiquement rien. Paris qui n'a pas modifié sa position de principe, continue à revendiquer l'exercice de ses responsabilités jusqu'à l'autodétermination et refuse toujours de reconnaître le G.P.R.A., non pas par entêtement mais parce que des raisons de droit international et de légitimité constitutionnelle militent très fortement en ce sens. Pourtant, le 8 novembre 1961, le général de Gaulle admet que pour rendre possible l'autodétermination, " il est nécessaire qu'un accord soit conclu d'avance entre le gouvernement et les éléments politiques algériens et, avant tout, bien sûr, avec les représentants de la rébellion qui ont avec eux la majorité des sentiments du peuple algérien ". Une explication de ses réticences a été donnée après coup par M. Saad Dahlab lui-même dans une déclaration au Monde. Le négociateur d'Evian, en avouant ses craintes et sa timidité, montre combien le G.P.R.A., à l'aise dans l'action militaire, clandestine et révolutionnaire, doute de lui-même au moment de prendre une responsabilité politique capitale : " J'avais la confiance de tout le G.P.R.A. et particulièrement du Président : c'était pour moi à la fois une force et une inquiétude. Je craignais de me tromper ou de ne pas répondre à ce qu'on attendait de moi. En face de Français terriblement ctompétents, je n'avais que ma volonté et un peu de bon sens..." (5). Après la vacance de pouvoir qui a suivi l'autodétermination, on peut légitimement se demander si la véritable explication de ces dérobades ne vient pas simplement de la crainte de quitter la situation relativement confortable de l'exil pour affronter les vraies responsabilités en Algérie. Etonnante construction de propagande internationale, le G.P.R.A. n'est pas certain d'être ce gouvernement écouté et déjà en place décrit par M. Bedjaoui (6). Né en exil et fait pour l'exil, il ne résistera pas, en effet, aux réalités algériennes. A posteriori se trouvent donc justifiées les réserves françaises sur le caractère gouvernemental de cet organe. 2) Pourtant, près de 6 mois après Lugrin, de nouveaux contacts s'amorcent. Le 10 janvier 1962, le G.P.R.A. réuni au complet à Mohammedia (Maroc) publie un communiqué qui constitue le premier indice de la relance attendue : " ... Le G.P.R.A. a noté l'évolution vers une solution pacifique et négociée du problème algérien. Il a réaffirmé sa volonté de hâter l'heure de la paix en Algérie et de réaliser un accord permettant une application sincère et loyale du droit du peuple algérien à l'autodétermination et à l'indépendance, application entourée de toutes les garanties nécessaires pour le peuple algérien, ainsi que celles concernant les intérêts légitimes de la France et des européens d'Algérie... ".
Du 11 au 18 février, des pourparlers secrets sont menés près de la frontière suisse. On l'apprend par un communiqué officieux diffusé par l'Agence France-Presse : " On déclare dans les milieux autorisés français que des conversations ont eu lieu entre le 11 et le 18 février en territoire français entre trois membres du Gouvernement de la République : MM. Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie, et des représentants du F.L.N. ". Le 21 février, à l'issue du Conseil des Ministres français, le communiqué officiel, publié à cette occasion, déclare : "... le Conseil a entendu le rapport du Ministre d'Etat chargé des affaires algériennes sur les conclusions des entretiens qu'il vient d'avoir en compagnie de deux de ses collègues avec les représentants du F.L.N. Le Conseil a approuvé ses conclusions tant pour ce qui concerne les conditions du cessez-le feu que celles de l'autodétermination et celles de la coopération franco-algérienne, y compris les garanties pour la minorité d'origine européenne ".
Le 22 février, de son côté, le Conseil National de la Révolution algérienne, instance suprême de la Révolution, se réunit à Tripoli pour examiner les propositions des négociateurs et publie le 28 février à Tunis le communiqué suivant : " Le Conseil National de la Révolution algérienne s'est réuni en session extraordinaire à Tripoli du 22 au 27 février 1962. Après discussions sur les négociations avec le Gouvernement de la République française, le C.N.R.A. mandate le G.P.R.A. pour poursuivre les négociations en cours ". La négociation paraît suffisamment en bonne voie pour que Paris en annonce officiellement la reprise à Evian le 7 mars. Enfin, le 18 mars à 20 heures, le général de Gaulle fait connaître la conclusion des accords et le cessez-le-feu ; il annonce aussi le référendum par lequel le peuple français doit exprimer son approbation. Le Journal Officiel du 20 mars publie l'ensemble des textes couramment désignés sous le nom d'Accords d'Evian (7). A cette ultime étape de l'évolution, une solution commune est donc adoptée pour mettre un terme à la crise. L'objectif est triple : le cessez-le-feu, l'indépendance, la coopération. Pour y parvenir il faut se mettre d'accord tant sur le fond que sur la procédure. Sur le fond, cet accord est en fait réalisé depuis plusieurs mois puisque satisfaction a été donnée au G.P.R.A. par la France sur toutes ses exigences, notamment l'intégrité du territoire algérien (Sahara) (8) et l'unité du peuple algérien (statut des Européens) (9). Reste l'accord sur la procédure, c'est-à-dire sur les mécanismes qui permettront de réaliser les objectifs fixés. Ici, ce sont les thèses françaises, très raisonnables d'ailleurs, qui vont finir par être acceptées.
Cela signifie que sur les problèmes de l'avenir de l'Algérie, le F.L.N. est certain de voir ses thèses triompher : l'Algérie sera indépendante ; le territoire algérien comprendra le Sahara ; la Nation algérienne sera une, c'est à-dire sans représentation ou statut politique particulier pour la minorité européenne. En revanche, le principe de l'autodétermination reste intact et constitue le pivot de la mutation. Jusqu'au jour où la population algérienne se sera prononcée, la France reste pleinement souveraine ; le G.P.R.A. ne peut bénéficier d'aucune reconnaissance de la France (10).
Et celle-ci persistera à considérer comme un geste inamical toute reconnaissance d'un pays étranger. Ainsi s'explique la réaction immédiate du Gouvernement français lors de la reconnaissance de jure du G.P.R.A. par l'U.R.S.S. le 19 mars; le jour même, l'Ambassadeur soviétique à Paris est convoqué pour explications par M. Couve de Murville; après un nouvel entretien le 23 mars, M. Vinogradov est invité à regagner Moscou. Quelques jours plus tard, une mise au point publiée par le Quai d'Orsay rappelle la doctrine officielle en ce domaine (11). La réaction du Gouvernement français n'est pas toujours aussi vive ; elle semble fonction du degré d'indépendance attribué au pays considéré en matière de politique étrangère. Ainsi, à la suite de la reconnaissance du G.P.R.A. par la Pologne le 2 mai, le nouvel ambassadeur de France à Varsovie n'a pas rejoint son poste. La reconnaissance accordée au lendemain d'Evian par la Roumanie, l'Albanie et la Hongrie, pays dont la liberté est jugée plus limitée encore, semble n'avoir entraîné aucune protestation. Les délégués du G.P.R.A. continuent à être désignés jusqu'à l'autodétermination par l'expression " représentants du F.L.N. " ; il n'est question, dans les textes d'Evian, de l'Etat algérien qu'au futur ; les négociateurs algériens reconnaissent la souveraineté exclusive de la France en Algérie jusqu'à la consultation prévue. Il en résulte nécessairement que les Accords du 19 mars ne peuvent être des traités internationaux au moment de leur signature. Ils constituent cependant un accord politique qui porte notamment sur un organisme transitoire bénéficiant de la confiance des deux interlocuteurs. L'Exécutif provisoire doté par Paris de pouvoirs d'autonomie interne exerce ses compétences dans le cadre de la souveraineté française, mais le G.P.R.A. lui fait confiance pour la préparation du référendum d'autodétermination.
I. - La fin des hostilités. Le premier texte reproduit par le J.O. de la R.F. du 20 mars 1962, est intitulé " Accord de cessez-le-feu en Algérie ". Sa présentation indique l'ambiguïté de sa nature juridique. Il est légitime d'en déduire que la France considère l'A.L.N. comme une armée régulière et donc qu'elle reconnaît la belligérance en Algérie. Ceci découle non seulement de l'existence même de cet accord mais encore de la terminologie employée : pour la première fois dans un texte souscrit par les autorités françaises, il est question sur le sol algérien " d'opérations militaires " s'appliquant aux activités des deux parties ; il est fait mention des " régions correspondant à l'implantation actuelle des Forces combattantes du F.L.N. ". L'A.L.N. apparaît dès lors comme une armée régulière avec sa structure et sa hiérarchie que reconnaît expressément l'article 8 en se référant au grade d'officier supérieur. Le caractère très clair de cette prise de position permet de rejeter toute autre sorte de reconnaissance du F.L.N. par la France contrairement à l'interprétation de certains auteurs (13). Non seulement il apparaît difficile de tirer des textes d'Evian l'indice d'une reconnaissance gouvernementale, mais il apparaît au contraire clairement que Paris a eu constamment le souci de ne pas reconnaître le G.P.R.A., voulant que la naissance de l'Etat algérien, et donc du Gouvernement algérien, ne puisse précéder l'autodétermination. Le champ d'application de cet accord est limité au territoire algérien ; la métropole a été touchée par la guerre subversive, mais elle ne l'a été qu'en fonction de l'Algérie et non pas en elle-même. Par ailleurs, il est impensable d'étendre les mécanismes prévus à Evian au territoire métropolitain ; on ne voit pas l'Exécutif provisoire se mêlant du retour à la paix sur le sol français. Ce problème a cependant sûrement été évoqué à Evian ; c'est sans doute tacitement qu'il a été convenu que le Gouvernement français assurerait le retour à la paix sur son territoire en bénéficiant de l'appui politique du F.L.N. C'est ainsi que le Ministre français de l'intérieur a pu demander aux Algériens de France de remettre leurs armes individuelles à la Préfecture de Police dans les vingt jours.
Etant donné la complexité de la situation, le cessez-le-feu revêt des modalités particulières. Doivent cesser le 19 mars à 12 heures non seulement les opérations militaires, mais tout recours aux actes de violence collective et individuelle. Il est également prévu que toute action clandestine et contraire à l'ordre public devra prendre fin. Il convient de remarquer ici que désormais il n'y a qu'un seul et même ordre public pour les deux parties. Les forces en présence sont stabilisées dans la région où elles se trouvent, tout contact devant être désormais évité. Il est convenu enfin que tous les prisonniers faits au combat seront libérés dans les 20 jours. Pour veiller à la stricte application des clauses militaires du cessez-le-feu, l'accord prévoit la création d'une Commission mixte de cessez-le-feu siégeant à Rocher Noir. Chacune des parties y est représentée par un officier supérieur et au maximum 10 membres, personnel du secrétariat compris (14). Il semble que les négociateurs aient longuement discuté le point de savoir de quelle autorité cet organisme dépendrait (15) ; du côté français, on souhaitait qu'il soit rattaché au Haut Commissaire responsable du " maintien de l'ordre en dernier ressort en accord avec l'Exécutif provisoire " (art. 9 D. 62.306 du 19 mars 1962) ; du côté F.L.N. on espérait un rattachement à l'Exécutif provisoire. (14) Le J.O. de la R.F. ne semble pas avoir publié la composition de cette commission. La nomination de ses membres, au moins du côté de l'A.L.N., ne paraît donc pas avoir été le fait d'une autorité française. Ceci confirme le caractère militaire du cessez-le-feu. La reconnaissance de belligérance donnant à l'A.L.N. une existence officielle reconnue par le Gouvernement français, il était possible aux deux parties de constituer une commission mixte. Aucun autre organe de cette période transitoire ne porte ce qualificatif (Exécutif provisoire, Tribunal de l'ordre public, Commission centrale de contrôle, Commission de révision des listes électorales, Commission d'amnistie). A défaut d'accord, il fut convenu que la Commission resterait autonome et en référerait, en cas de besoin, aux deux parties, Gouvernement français et F.L.N. : c'est d'ailleurs ce qui résulte très nettement de l'art. 7 de l'accord sur le cessez-le-feu : " La commission proposera les mesures à prendre aux instances des deux parties, notamment en ce qui concerne : II. - L'Exécutif provisoire. 1) Durant la période qui s'étend du cessez-le-feu au référendum d'auto détermination, la France continue à exercer sa souveraineté sur l'ensemble du territoire algérien. Si la structure provisoire a fait l'objet d'une négociation à Evian, seul le souverain du territoire peut la mettre en place. La formule politiquement négociée avec le F.L.N. aboutit donc à une décision juridique des autorités françaises. C'est un décret n° 62.306 du 19 mars qui met en place l'organisation provisoire des pouvoirs publics. Ces structures rappellent d'ailleurs beaucoup les étapes transitoires qu'ont connues d'autres pays en voie de décolonisation ; elles constituent pour l'Algérie la phase d'autonomie interne instaurée en Afrique Noire par la Loi-cadre, puis la Communauté de 1958. Mais cette période transitoire est destinée, dès le départ, à durer très peu de temps (3 à 6 mois) alors qu'on avait pensé, dans le cas de l'Afrique Noire, que la Loi-cadre marquerait un palier de longue durée ; d'autre part, il s'agit de mettre sur pied un organisme qui ait la confiance de deux parties qui se font une guerre impitoyable depuis sept années, ce qui constitue presque une gageure.
Le souverain reste donc la France et c'est le Parlement qui continue à légiférer pour l'Algérie. Un Haut-Commissaire, placé sous l'autorité du Ministre d'Etat chargé des affaires algériennes, et nommé par décret en Conseil des Ministres, est sur place dépositaire des pouvoirs de la République et a la charge des intérêts de l'Etat (art. 5). L'art. 11 énumère les affaires politiques pour lesquelles le Gouvernement conserve une compétence directe : la politique étrangère, la défense et la sécurité du territoire, la justice, la monnaie, les relations économiques entre l'Algérie et les autres pays, ainsi que le maintien de l'ordre en dernier ressort ; sous réserve des attributions données par décret à l'Exécutif provisoire, l'enseignement, les télécommunications, les ports et les aérodromes. Comme dans la Loi-cadre, il est prévu qu'il sera procédé à la répartition entre les services de l'Etat et ceux de l'Algérie (16).
En revanche, les responsabilités relatives à la gestion des affaires publiques propres à l'Algérie sont confiées à un Exécutif provisoire (art. 9) qui dirige l'administration et les services civils de l'Algérie sur lesquels il exerce l'autorité hiérarchique ; cet Exécutif détient le pouvoir réglementaire pour les affaires propres à l'Algérie (art. 14). Il assure le maintien de l'ordre et pour cela se voit doté d'une force armée et de services de police. Préfets et Sous-Préfets sont placés sous son contrôle pour ce qui relève de ses attributions. Pour que l'ordre puisse être pleinement rétabli, il ne suffit pas de donner à l'Exécutif provisoire des forces de police, il faut encore qu'existe en territoire algérien les moyens judiciaires de répression. Le décret n° 62.307 du 19 mars 1962 institue à cet effet un Tribunal de l'ordre public en Algérie, mesure que l'on ne peut dissocier des décrets d'amnistie n° 62.327 et 62.328 du 22 mars 1962. En effet, après sept années de guerre subversive, il convient de signifier de part et d'autre que la lutte étant terminée, les infractions commises au titre de l'insurrection algérienne (17) de même que les faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre sont amnistiés. Un nouvel ordre public régnant désormais en Algérie avec l'appui des deux parties en cause, il importe alors d'éviter que la subversion d'où qu'elle vienne ébranle l'édifice si difficilement mis en place. Une juridiction spéciale est nécessaire qui soit incontestable pour les deux parties, d'où la création de ce Tribunal de l'ordre public, compétent pour tous les crimes et délits commis en Algérie postérieurement au 19 mars 1962 et susceptibles de porter atteinte au rétablissement de la paix publique, à la concorde entre les communautés, au libre exercice de l'autodétermination ou à l'autorité des pouvoirs publics. Cette juridiction qui prévoit plusieurs chambres réparties sur le territoire algérien est une juridiction française, créée par une décision du Gouvernement français, se référant au droit français et dont les décisions dépendent en cassation de la Cour de Cassation française. Les nominations de magistrats sont faites par les autorités françaises mais, bien que le texte ne le dise pas, en accord avec l'Exécutif provisoire (18). Il est d'ailleurs prévu que le Tribunal est composé d'un nombre égal de juges de statut civil de droit commun et de juges de statut civil de droit local.
2. La nomination de l'Exécutif provisoire ne peut juridiquement appartenir qu'au Gouvernement français. Elle fait l'objet d'un décret du 6 avril 1962 publié au Journal Officiel. Mais la composition en est trop importante pour n'avoir pas fait l'objet de négociations avec le F.L.N. et d'un dosage très étudié. Le Président, M. Farès, bien connu de la France, rassure par sa formation politique dans les Assemblées françaises autant que par son caractère modéré ; sortant de prison où il était retenu pour activité nationaliste, il est aussi un candidat acceptable pour le F.L.N. Le Vice-Président, M. Roth, est un Français connu pour ses idées libérales et son attachement à la politique du Chef de l'Etat. Les 10 membres de l'Exécutif comprennent 5 représentants du F.L.N. ; parmi les 5 autres personnalités choisies au dehors du F.L.N., 2 sont françaises et 3 sont musulmanes, Me El Hasser, nationaliste libéral, le Cheikh Bayoud, notable mozabite qui s'est tenu à l'écart de la politique et M. Mohamed Cheikh, agriculteur oranais (19). La plupart des problèmes militaires ont reçu des solutions satisfaisantes. Il a fixé dans les deux mois, comme prévu, la date du référendum. Il s'est concerté en permanence avec le Haut Commissaire en vue de réunir les conditions nécessaires à la mise en œuvre de l'autodétermination. III. - L'Autodétermination. Pour séparer l'Algérie de la France, après des liens vieux de 130 ans et une intégration que longtemps on a cru faite avant de découvrir qu'il n'en était rien, il fallait une procédure qui tienne compte à la fois des revendications nationalistes et des exigences démocratiques de la France. L'autodétermination c'est pour les nationalistes, l'accès à l'indépendance et pour la France l'application des principes démocratiques et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Au niveau des principes, l'accord devait se faire ; le Général de Gaulle en proposant la formule savait qu'elle était réalisable. 1) II restait à l'organiser concrètement. Pour cela, il fallait d'abord se placer dans un contexte algérien et non français, puisque c'est l'Algérie qui s'autodétermine et non la République française ; ainsi convenait-il de poser le problème de l'autodétermination non pas à l'ensemble des Français de Dunkerque à Tamanrasset mais aux seules populations habitant le territoire algérien. Les Français de France sont pourtant directement intéressés ; l'autodétermination ne s'adresse pas à eux, car ce n'est pas à eux qu'on peut demander s'ils veulent devenir Algériens ou rester Français ; elle les concerne cependant très directement dans la mesure où elle risque d'amputer le territoire français de 15 départements et la nation française de 10 millions d'habitants. La constitution prévoit d'ailleurs dans son art. 53 al. 3 que " nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées ". Il est difficile de prétendre que la population de l'ensemble de la République française n'est pas intéressée par une éventuelle sécession de l'Algérie. Sans doute par le référendum du 8 janvier 1961, le peuple français avait-il déjà approuvé la politique de l'autodétermination par plus de 15 millions de voix contre à peine 5 millions. Mais, il ne s'agissait encore là que d'une position de principe. Après la signature des accords d'Evian, l'autodétermination entre dans la voie des réalisations ; on sait par des textes ce qu'elle doit être ; on sait aussi dans le cadre de cette procédure le choix suggéré conjointement par le Gouvernement français et le F.L.N., celui de l'indépendance dans la coopération. Après la signature de ces accords, il est politiquement et constitutionnellement nécessaire que la nation française soit consultée. Elle le sera donc au lendemain de la signature des Accords, le 8 mars 1962 (avril. NDLR). Le texte soumis au référendum est complexe ; il s'y mêle plusieurs problèmes, ce qui est bien dans le style du Chef de l'Etat. Retenons-en ce qui en constitue incontestablement l'enjeu principal : faire ratifier par le peuple français la solution d'Evian, c'est-à-dire le retour de la paix en Algérie par un moyen précis : l'indépendance algérienne dans la coopération volontaire avec la France. On peut se demander pourquoi, à la différence du référendum du 8 janvier 1961, celui du 8 mars 1962 (avril. NDLR) a exclu de la consultation les populations algériennes. Les Français d'Algérie s'en sont plaints amèrement, déclarant qu'on disposait de leur sort sans les consulter. Il n'était probablement pas possible de faire autrement et de toute façon le résultat aurait été le même. En effet, il est évident que l'Algérie n'était pas pratiquement en mesure de se rendre aux urnes trois semaines après Evian ; les combats militaires étaient trop proches et le terrorisme O.A.S. s'y serait opposé dans les villes. Etant donné la politique arrêtée à Evian, il était par ailleurs indispensable que les deux parties, ayant mis fin aux combats, puissent présenter, chacune de leur côté, la solution unique décidée conjointement, ce qui supposait le délai d'une campagne électorale. Il apparaît d'ailleurs logique, à partir de l'instant où l'on met en route les mécanismes prévus à Evian, de distinguer les deux populations et de les interroger séparément, puisque la question est précisément de savoir ce que souhaite l'une d'entre elle, celle qui habite l'Algérie. On peut faire remarquer enfin que si l'Algérie n'est pas consultée en même temps que la France, il n'en est pas moins certain qu'elle sera interrogée. Les résultats prouvent d'ailleurs à ceux qui resteraient rebelles à tous ces arguments de logique politique que, pratiquement, le vote de l'Algérie - s'il avait été possible - n'aurait rien changé aux résultats du référendum du 8 avril 1962.
2) L'autodétermination en Algérie posait des problèmes d'organisation
complexes sur lesquels il a fallu que les négociateurs d'Evian se mettent
d'accord : c'est ce qu'exprime le préambule de la Déclaration générale : " Les
garanties relatives à la mise en œuvre de l'autodétermination et l'organisation
des pouvoirs publics en Algérie, pendant la période provisoire, ont été définies d'un commun accord ".
De même les deux parties se sont-elles entendues pour préconiser une même solution en faveur de laquelle elles feront campagne : " La formation à l'issue de l'autodétermination d'un Etat indépendant et souverain paraissant conforme aux réalités algériennes et, dans ces conditions, la coopération de la France et de l'Algérie répondant aux intérêts des deux pays, le Gouvernement français estime avec le F.L.N. que la solution de l'indépendance de l'Algérie, en coopération avec la France, est celle qui correspond à cette situation. Peuvent voter " tous les citoyens ayant la capacité électorale et résidant en Algérie " à condition qu'ils soient inscrits sur les listes électorales. Il est important de noter que vont être ainsi consultés les Algériens, mais rien que les Algériens. Sont considérés comme tels tous les musulmans y compris les travailleurs algériens résidant en France, et tous les Français d'Algérie (21), excepté les militaires du contingent qui, au moment de leur incorporation, ne remplissent pas les conditions de résidence requises pour pouvoir être inscrits sur les listes électorales des départements d'Algérie. Cette large délimitation correspond à l'idée d'une nationalité algérienne en quelque sorte préfigurée qui comprendrait tous les habitants de l'Algérie, y compris ceux qui l'ont provisoirement quittée pour des raisons tenant au sous-emploi ou à la guerre et à l'exclusion de ceux qui n'y sont que de passage, les militaires métropolitains du contingent ou les fonctionnaires et techniciens venant de la métropole. Dans chaque commune est instituée une Commission de révision des listes électorales (art. 5) dont les décisions peuvent, en dernier ressort, être contestées devant la Commission centrale de contrôle (art. 7).
Le contrôle de toutes les opérations du référendum antérieures ou postérieures au vote appartient à la Commission centrale de contrôle chargée d'assurer, sous l'autorité de l'Exécutif provisoire, la liberté et la sincérité du vote. Cette commission, dont le rôle ne doit pouvoir être contesté, est choisie par l'Exécutif provisoire et nommée par le Gouvernement français; elle se compose d'un Président, de trois magistrats et de trois citoyens (art. 30) ; elle est aidée localement par des Commissions départementales directement désignées par l'Exécutif provisoire. Sa tâche est importante : elle donne son avis préalable à toutes les mesures de portée générale intéressant le scrutin d'autodétermination, elle fixe la liste des partis et groupements habilités à prendre part au scrutin d'autodétermination, elle est consultée sur le plan d'emploi de la force publique pendant la période électorale par les commissions départementales, elle contrôle la régularité de l'organisation du scrutin sur le plan local, enfin elle statue dans un délai de trois semaines sur le contentieux électoral. La Commission de contrôle semble avoir convenablement rempli sa tâche. Il faut reconnaître d'ailleurs que les précautions méticuleuses prises pour l'organisation du référendum, apparaissent moins utiles dès lors que les deux parties principales, préconisant la même solution, font campagne dans le même sens. La fraude étant exclue du côté du Gouvernement français comme de celui du F.L.N., elle ne peut alors venir que d'extrémistes dont les entreprises ont peu de chance de modifier sensiblement la physionomie générale du scrutin.
Un ultime problème reste à régler : la question à poser lors du référendum. L'autodétermination doit permettre le choix entre trois solutions : l'intégration, la coopération, la sécession. Le texte de la Déclaration générale paraît bien le confirmer : " La consultation d'autodétermination permettra aux électeurs de faire savoir s'ils veulent que l'Algérie soit indépendante et, dans ce cas, s'ils veulent que la France et l'Algérie coopèrent dans les conditions définies par les présentes déclarations ". Il semble que deux questions soient nécessaires pour répondre aux trois options possibles. L'Exécutif provisoire fournit au Gouvernement français le texte d'une question qui reçoit l'approbation de celui-ci et est publié au J.O. du 9 juin 1962 : " Voulez-vous que l'Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ? ". Pour répondre aux objections de ceux qui prétendaient que des trois options initiales, il n'en restait plus que deux, les " milieux autorisés " ont fait remarquer que cette unique question permet de répondre à la possibilité d'une coopération entre la France et l'Algérie indépendante et qu'elle permet aussi de répondre à la possibilité d'une francisation ou d'une sécession éventuelle. Il va de soi, en effet, est-il précisé par la même source " que dans le cas où un vote négatif se produirait sur la question posée, par conjonction des voix favorables à la francisation et à l'indépendance sans la coopération, le Gouvernement français et l'Exécutif provisoire procéderaient à une nouvelle consultation pour départager les partisans du Non " (22). Toutes les conditions sont réalisées pour que le scrutin ait lieu régulièrement, à la date fixée, dans le sens d'un Oui massif et sans donner lieu à contestation. Le 1er juillet, 6 017 800 votants sur 6 549 736 inscrits expriment 5 992 115 suffrages dont 5 975 581 Oui contre 16 537 Non. La solution d'Evian obtient donc 91,23 % des inscrits et 99,72% des suffrages exprimés. Les adversaires de cette solution n'obtenant que 0,25 % des suffrages exprimés. Il reste au Général de Gaulle à tirer la conséquence de ces chiffres. Il le fait dans la Déclaration du 3 juillet 1962 portant reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie (23) : (22) Le Monde, 10 novembre 1962. (23) J.O., 4 juillet 1962, p. 6483.
Cette déclaration, dans sa clarté et sa logique, met en valeur la ligne politique suivie par la France. Les étapes sont nettement marquées. Jusqu'au dernier moment, il n'aura pas été question du G.P.R.A. C'est par une déclaration unilatérale que le Chef de l'Etat reconnaît à l'Algérie sa souveraineté. C'est seulement à partir de cette date que des rapports d'Etat à Etat et de gouvernement à gouvernement, peuvent s'établir entre la France et l'Algérie. Rien ne s'oppose plus à ce que les bases d'une coopération s'organisent officiellement entre les autorités françaises et le Front de Libération Nationale. In: Annuaire français de droit international, volume 8, 1962. pp.905-919. doi : 10.3406/afdi.1962.1011 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1962_num_8_1_1011 |
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Mis en ligne le 12 juin 2013