Le discours du Général de Gaulle du 16 septembre 1959 sur l'autodétermination constitue une étape essentielle dans le déroulement du conflit algérien. A partir de cette date, ou plutôt quelques jours plus tard, à partir de l'acceptation de cette procédure par le G.P.R.A., on peut espérer raisonnablement que les combats cesseront et que les négociations conduiront à la paix.
En 1960, l'échec de Melun vient montrer que les divergences restent profondes. Le Gouvernement français s'efforce de combler le fossé qui sépare les positions ; cet effort reste unilatéral, le G.P.R.A. estimant que c'est au colonisateur à réparer ses torts et que sa propre position est intangible. L'année 1961 est celle des échecs d'Evian et de Lugrin ; c'est celle où l'on commence à douter des chances d'une paix négociée, puisque les nationalistes algériens restent rigidement fidèles à une doctrine que pour des raisons très fortes la France estime ne pouvoir accepter. Au cours de cette année d'attente et faute d'avoir pu transformer l'affrontement en conversations constructives, il n'y a pas de modifications substantielles sur les plans diplomatique, militaire et politique (1).

(1) Cf. les précédents articles dont cette étude constitue la mise à jour, dans l'Annuairefrançais de droit international, 1959, p. 817 et I960, p. 973.
A l'Organisation des Nations Unies, en l'absence de la délégation française, l'Assemblée générale, inspirée par les représentants du F.L.N. vote sans difficulté une résolution. Sur le plan militaire, l'Armée française lutte toujours contre la rébellion, tandis que l'Armée de Libération nationale continue à mener une guerre internationale. Sur le plan de la politique internationale, le G.P.R.A. gagne quelques reconnaissances supplémentaires sans pour cela modifier l'attitude de la France et de ses alliés.
Mais la modération des débats à l'O.N.U., le ralentissement des opérations militaires, la routine de reconnaissances sans surprises, montrent que l'intérêt est désormais ailleurs. Il est du côté de ces négociations que l'on préconise de part et d'autre. Trois échecs commencent cependant à faire douter de la possibilité de cet accord. Faute de pouvoir amorcer un dialogue constructif avec les combattants nationalistes algériens, faute aussi de trouver un interlocuteur valable dans une troisième force qui ne se découvre pas, le Gouvernement français annonce les prémisses d'une opération de " dégagement " qu'il pourrait au besoin accomplir unilatéralement, laissant le nouvel Etat algérien naître seul, sans le concours de la France.

I. - LA QUESTION ALGERIENNE DEVANT L'O.N.U.

Par une lettre en date du 11 août 1961, 31 pays afro-asiatiques demandent l'inscription de la question algérienne à l'ordre du jour de la XVIe session de l'Assemblée générale des Nations Unies. Le mémoire explicatif, joint à cette demande indique que les négociations de Lugrin ont été interrompues le 28 juillet 1961 à la demande de la délégation algérienne, le Gouvernement français refusant de reconnaître les principes fondamentaux de l'intégrité territoriale de l'Algérie et de l'unité du peuple algérien; il rappelle en conclusion que dans la résolution adoptée à la XVe session de l'Assemblée générale, l'O.N.U. s'est reconnue la responsabilité de contribuer à ce que le droit de libre détermination soit mis en œuvre avec succès et avec justice sur la base de l'unité et de l'intégrité territoriale de l'Algérie. Cette session plus encore que les précédentes est placée sous le signe de la décolonisation. 51 pays afro-asiatiques hantés par ce problème font triompher sans difficulté toute position se rattachant à ce thème. C'est ainsi que, se référant à sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 sur l'octroi de l'indépendance aux peuples coloniaux (2), l'Assemblée vote le 27 novembre 1961, sans opposition, par 97 voix et 4 abstentions (Afrique du Sud, Espagne, Royaume-Uni, France) une nouvelle résolution destinée à accroître l'efficacité de la résolution 1514 :

L'Assemblée générale, Rappelant la déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples colonisés, contenue dans sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, Rappelant en particulier le § 5 de la déclaration, aux termes duquel " des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d'une indépendance et d'une liberté complètes ",
Constatant avec regret qu'à quelques exceptions près il n'a pas été donné suite aux dispositions contenues dans ledit paragraphe de la déclaration,
Prenant note du fait que, contrairement aux dispositions du § 4 de la déclaration, des actions armées et des mesures de répression continuent à être employées dans certaines régions d'une façon de plus en plus impitoyable, contre des populations dépendantes, les privant de leurs prérogatives d'exercer pacifiquement et librement leur droit à l'indépendance complète,
Constatant avec inquiétude que, contrairement aux dispositions du § 6 de la déclaration, des actes visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale sont encore perpétrés dans certains pays en voie de décolonisation,
Convaincue que tout nouveau retard dans l'application de la déclaration est une source continue de conflit et de discorde sur le plan international, entrave sérieusement la coopération internationale et crée, dans de nombreuses régions du monde, une situation de plus en plus dangereuse qui peut constituer une menace à la paix et à la sécurité internationales,
1. Réitère et affirme solennellement les objectifs et principes énoncés par la déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, contenue dans sa résolution 1514 (XV) ;
2. Demande aux Etats intéressés d'agir sans plus tarder afin d'assurer scrupuleusement l'application et la mise en œuvre de la déclaration ;
3. Décide de créer un Comité spécial de 17 membres qui seront désignés par le Président de l'Assemblée générale au cours de la présente session ;
4. Prie le Comité spécial d'étudier l'application de la déclaration, de formuler des suggestions et des recommandations quant aux progrès réalisés et à la mesure dans laquelle la déclaration est mise en œuvre, et de faire rapport à l'Assemblée générale lors de sa XVIIe session ;
5. Charge le Comité spécial d'accomplir sa tâche en se servant de tous les moyens dont il disposera dans le cadre des procédures et des modalités qu'il adoptera pour bien s'acquitter de ses fonctions ;
6. Autorise le Comité spécial à se réunir en tout autre lieu que le siège de l'O.N.U., lorsque cela pourra être nécessaire pour lui permettre de s'acquitter efficacement de ses fonctions, en consultation avec les autorités compétentes ;
7. Invite les autorités intéressées à assurer au Comité spécial leur coopération la plus complète dans l'accomplissement de ses tâches ;
8. Prie le Conseil de Tutelle, le Comité des renseignements relatifs aux territoires non autonomes et les institutions spécialisées intéressées d'apporter leur aide au Comité spécial pour ses travaux, dans leurs domaines d'activité respectifs ;
9. Prie le Secrétaire général de fournir au Comité spécial tous les services et le personnel qui lui seront nécessaires pour la mise en œuvre de la présente résolution.
(2) Lors de la XVe session, l'affaire algérienne a été discutée en commission avant l'adoption de la déclaration sur l'octroi de l'indépendance, ce qui explique qu'il n'y soit pas fait mention. A partir de la date de son adoption, cette déclaration va jouer le rôle de référence de base dans tous les débats touchant aux problèmes coloniaux.

Pendant que se débattait le problème général de la fin du colonialisme, l'Assemblée n'hésite pas à s'interrompre pour se saisir d'un aspect particulier du problème algérien, celui de la grève de la faim des détenus algériens déclenchée par Ben Bella. A la demande du délégué du Pakistan, M. Zafrullah Khan, l'Assemblée abandonne provisoirement le point 88 de son ordre du jour qu'elle était en train d'examiner et se saisit d'urgence d'une résolution présentée par 34 pays afro-asiatiques. Le représentant de la France fait remarquer que la question ainsi soulevée est totalement étrangère au point de l'ordre du jour en discussion et qu'une telle initiative n'est justifiée ni par le règlement intérieur, ni par la pratique de l'Assemblée générale. Le débat sur le statut des prisonniers algériens ne s'en poursuit pas moins pour aboutir très rapidement et sans opposition, par 62 voix (3) et 31 abstentions, au vote de la résolution suivante : L'Assemblée générale,
Profondément préoccupée par les graves répercussions internationales de la grève de la faim entreprise par des milliers d'Algériens prisonniers en France et par le sérieux danger que cette grève représente pour les perspectives d'un règlement pacifique et négocié de la question algérienne,
Rappelant sa résolution 1573 (XV) du 19 décembre 1960, par laquelle elle reconnaît sa responsabilité de contribuer à une juste solution de la question algérienne,
Rappelant en outre sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, où elle souligne au paragraphe 4 : " II sera mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu'elles soient, dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à ces peuples d'exercer pacifiquement et librement leur droit à l'indépendance complète... ",
Fait appel au Gouvernement français, conformément à la pratique internationale en usage et aux principes humanitaires, pour qu'il fasse droit aux légitimes revendications des prisonniers algériens en reconnaissant leur statut de prisonniers politiques, afin de rendre possible, sans délai, l'arrêt de la grève de la faim.

Au moment où se débat l'affaire algérienne en première commission, éclate l'affaire de Goa. Le veto soviétique permet le triomphe de la décolonisation par tous les moyens y compris la force. Se saisissant alors de toutes les occasions offertes par les derniers débats en commission ou en Assemblée générale, un grand nombre de délégués afro-asiatiques n'hésitent pas à féliciter publiquement l'Inde d'avoir porté un premier coup au colonialisme portugais. Peu s'en faut que M. Krishna Menon, ministre de la Guerre qui avait assumé personnellement la conduite des opérations militaires contre Goa et qui avait jugé bon d'arriver à New-York aussitôt l'opération terminée, ne vienne se faire acclamer à la tribune de l'Assemblée générale. Dans une telle ambiance, on peut s'attendre à ce que la question algérienne fasse l'objet en cette XVIe session de discours particulièrement violents et donne lieu à une résolution comminatoire pour la France. Les débats sont au contraire relativement modérés et donnent l'impression au bout de 7 ans d'en arriver à une sorte de routine. Il y a bien quelques orateurs violents; ils sont connus d'avance et cette violence même est routine, qu'il s'agisse de M. Zorine (U.R.S.S.) ou de M. Shukairy (Arabie séoudite) ; chacun défend avec plus ou moins de conviction la thèse que l'on pouvait attendre de lui. La France comme d'habitude, s'abstient de siéger. Les délégués du F.L.N. présents au débat " sur un strapontin " se conduisent en vieux habitués et en personnages quasi officiels, salués d'ailleurs en cours de séance par plusieurs orateurs de la première commission qui déplorent qu'ils n'aient pas encore un statut officiel au sein des Nations Unies (4). M. Chanderli et ses collaborateurs ne paraissent pas souhaiter voir le débat se durcir.
Comment le pourraient-ils d'ailleurs, alors que la thèse adoptée par la France, exprimée par le chef de l'Etat, et ratifiée par le peuple français est pour l'essentiel celle que préconise l'Organisation des Nations Unies sous l'influence du G.P.R.A. lui-même.

(3) Votent pour : Yemen, Yougoslavie, Afghanistan, Albanie, Autriche, Bolivie, Bulgarie, Birmanie, Biélorussie, Cambodge, Cameroun, Ceylan, Tchad, Congo (Brazza.), Congo (Leo.), Cuba, Chypre, Tchécoslovaquie, Dahomey, Ethiopie, Malaisie, Finlande, Gabon, Ghana, Guinée, Hongrie, Islande, Inde, Indonésie, Iran, Irak, Jordanie, Laos, Liban, Libéria, Libye, Madagascar, Mali, Mongolie, Maroc, Nepal, Nigeria, Norvège, Pakistan, Philippines, Pologne, Roumanie, Arabie Séoudite, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Suède, Syrie, Thaïlande, Togo, Tunisie, Turquie, Ukraine, U.R.S.S., R.A.U., Haute- Volta.
(4) Cf. notamment le discours de M. Shukairy le 15 déc. à la lere commission : " ... Tandis que je parle ici, les ministres du Gouvernement algérien qui sont présents m'entendent. Nous sommes heureux de leur présence bien qu'ils soient relégués aux derniers sièges de la salle... "

Le F.L.N. dans la situation actuelle paraît avoir obtenu de l'O.N.U. à peu près tout ce qu'il pouvait en attendre. Il ne s'agit plus pour lui que de maintenir l'opinion internationale en haleine et de consolider ses positions. Le débat après avoir été ajourné à la demande de la Libye ne commence que le 14 décembre, c'est-à-dire le plus tard possible dans la session, à un moment où la lassitude commence à s'emparer des délégués qui se préoccupent surtout de terminer l'ordre du jour avant les fêtes de Noël. Prévues pour durer deux jours en première commission, les interventions finalement assez nombreuses se prolongent jusqu'au 19 décembre et aboutissent, par 65 voix sans opposition et avec 34 abstentions, au vote d'un projet de résolution présenté par 34 pays du groupe afro-asiatique. Le 20 décembre, le pro jet est adopté en Assemblée générale sans opposition par 62 voix et 38 abstentions (5).
" L'Assemblée générale, ayant discuté la question algérienne, rappelant sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, dans laquelle elle a proclamé la nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations,
Rappelant en outre sa résolution 1573 (XV) du 19 décembre 1960, par laquelle elle a reconnu le droit du peuple algérien à la libre détermination et à l'indépendance, la nécessité impérieuse de garanties adéquates et efficaces pour assurer que le droit de libre détermination sera mis en œuvre avec succès et avec justice dans le respect de l'unité et de l'intégrité territoriale de l'Algérie, et le fait que l'O.N.U. a la responsabilité de contribuer à ce que ce droit soit mis en œuvre avec succès et avec justice,
Profondément préoccupée par la continuation de la guerre en Algérie, prenant note de ce que les deux parties en cause se sont déclarées disposées à rechercher une solution négociée et pacifique sur la base du droit du peuple algérien à la libre détermination et à l'indépendance,
Regrettant la suspension des négociations entamées par le Gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne, Invite les deux parties à reprendre les négociations en vue de mettre en œuvre les droits du peuple algérien à la libre détermination et à l'indépendance dans le respect de l'unité et de l'intégrité territoriale de l'Algérie. "

(5) Votent pour : Pologne, Roumanie, Arabie séoudite, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Suède, Syrie, Tanganyika, Thaïlande, Togo, Tunisie, Turquie Ukraine, U.R.S.S., R.A.U., Haute-Volta, Venezuela, Yemen, Yougoslavie, Afghanistan, Albanie, Autriche, Bolivie, Bul garie, Birmanie, Biélorussie, Cambodge, Ceylan, Congo (Leo.), Cuba, Chypre, Tchécoslovaquie, Danemark, Ethiopie, Malaisie, Finlande, Ghana, Guinée, Hongrie, Islande, Inde, Indonésie, Iran, Irak, Irlande, Japon, Jordanie, Laos, Liban, Libéria, Libye, Mali, Mauritanie, Mongolie, Maroc, Népal, Niger, Nigeria, Norvège, Pakistan.
A première vue cette résolution n'apporte rien de bien nouveau par rapport à celle de l'année précédente. Le F.L.N. paraît avoir abandonné l'idée exprimée dans le paragraphe 4, non adopté, du projet de résolution de 1960 qui cherchait à consacrer l'intervention des Nations Unies en préconisant un référendum organisé et contrôlé par l'O.N.U. (6). Plus modestement la résolution de 1961 se référant à la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (1514, XV) et à la résolution du 19 décembre1960, se contente de regretter la suspension des négociations et d'inviter les deux parties à les reprendre.
(6) Cf. Annuaire français, 1960, p. 977.
Cependant grâce à ce texte anodin, un résultat non négligeable est atteint.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne se trouve mentionné en toutes lettres au 4e paragraphe sur le même plan que le Gouvernement de la République française ; il acquiert ainsi de l'Organisation des Nations Unies une sorte de reconnaissance officieuse qu'il cherchait à obtenir depuis longtemps. Au surplus, si la résolution obtient une voix de moins que celle de l'année précédente, aucun Etat ne vote contre elle.

La XVIe session de l'Assemblée générale s'est donc déroulée sans surprise sur la question algérienne ; pourtant cette session n'est pas semblable aux autres. Pour le première fois le G.P.R.A. ne mène pas de combat diplomatique pour obtenir le vote d'une résolution aux Nations Unies ; sans doute estime-t-il qu'au point où en sont arrivées les choses, l'Organisation ne peut plus être d'un grand secours. Pour la première fois aucun Etat ne vote contre une résolution touchant à un problème colonial ; au cours de la XVIe session, trois résolutions intéressent le problème algérien : sur chacune d'entre elles des Etats s'abstiennent, aucun ne s'oppose. Pour la première fois la France ne juge pas nécessaire de faire combattre par les Etats amis les positions inspirées par le G.P.R.A. ; jamais elle n'a été aussi absente de ces débats. Une impression générale se dégage : par habitude et aussi par mesure conservatoire de la part du F.L.N., le débat algérien a eu lieu comme chaque année ; mais personne ne s'y intéresse véritablement. La France a toujours pensé que l'Organisation des Nations Unies est incompétente dans l'affaire algérienne ; elle estime en outre que son ingérence ne fait que compliquer et retarder la solution du problème algérien. Après avoir fait progresser ses thèses grâce à l'O.N.U., le G.P.R.A., dans le contexte actuel, semble douter à son tour de l'opportunité et de l'efficacité d'une intervention de l'Organisation internationale.

II - LA GUERRE D'ALGERIE

Ce chapitre de la guerre en Algérie ne subit en apparence aucun changement durant l'année 1961. Le F.L.N. prétend toujours que la guerre qu'il fait est une guerre de libération qui présente un caractère international. Le Gouvernement français officiellement continue à maintenir l'ordre dans les départements algériens sur lesquels la République française exerce toujours sa souveraineté.
L'antagonisme de ces deux positions crée le même malaise et les mêmes difficultés juridiques que les précédentes années. Ainsi la marine française a procédé à des arraisonnements de navires dans des conditions irrégulières en temps de paix, ce qui a provoqué, chaque fois, la protestation de l'Etat du pavillon. Les incidents de frontières avec le Maroc et la Tunisie ont été nombreux et ont donné lieu le 28 novembre 1961 à une note tunisienne attirant l'attention du Conseil de Sécurité " sur la gravité des attaques aux quelles sont constamment soumis les postes-frontières tunisiens de la part des forces françaises stationnées en Algérie ". Des prisonniers ont été faits de part et d'autre, ce qui pose chaque fois le problème de leur statut. 348 militaires français sont détenus par le F.L.N. (7) ; le Gouvernement français ignore le sort exact qui leur a été réservé car la Croix-Rouge internationale n'a jamais pu les visiter. Le problème du statut des combattants de l'A.L.N. capturés par les autorités militaires françaises a été posé par la Cour de Cassation qui, en cassant une condamnation d'un tribunal militaire, pose la question de savoir si les combattants de l'A.L.N. sont couverts par la convention de Genève du 12 août 1949 (8).

(7) D'après une information donnée par Le Monde - 19-20/11/61.
(8) L'arrêt Abdellah Berbaïs, non rapporté dans le Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation, a été succinctement analysé dans Le Monde du 10/3/61. Le tribunal militaire de l'Est-Constantinois ayant décidé que la Convention de Genève ne s'appliquait pas à l'accusé, " citoyen français et se réclamant d'une autorité de fait non reconnue par le Gouvernement français", la Cour de Cassation casse ce jugement en déclarant " que la réponse du tribunal militaire aux conclusions (déposées par la défense) ne permet pas à la Cour de Cassation de vérifier si ladite convention était étrangère aux faits de la cause ou s'il y avait lieu d'en demander au Gouvernement l'interprétation officielle ".
Aucun succès marquant n'intervient dans le domaine militaire. Sur le plan opérationnel, l'avantage continue d'appartenir à l'armée française ; l'A.L.N. semble de plus en plus loin de ce Dien Bien Phu annoncé deux ans auparavant par M. Yazid ; elle ne semble plus capable d'entreprendre la moindre action militaire d'envergure; l'état des forces militaires F.L.N. dressé par le commandement français en décembre 1961 paraît correspondre à cette situation : " Depuis 3 ans, les rebelles ont perdu les 2/3 de l'armement qui avait été introduit en Algérie. Des 120 Katibas qui existaient en 1958, il n'en reste aujourd'hui qu'une dizaine avec sept à huit douzaines de petites sections et une centaine de groupes. Quelque 4 000 hommes composent ces bandes, auxquels on peut ajouter quelques milliers de supplétifs plus ou moins armés. Aujourd'hui la rébellion dispose de moins de 6 000 armes de guerre et d'autant de fusils de chasse ou de pistolets. 65 % de cet armement se trouve dans le Constantinois, 25 % dans l'Algérois, 10 % dans l'Oranie et ce potentiel ne cesse de diminuer... " (9).
Impuissance de l'A.L.N. devant l'armée française, mais impuissance de l'armée française devant le terrorisme F.L.N. qui oblige la France à maintenir 500 000 hommes en Algérie. Après 7 années de lutte, on en arrive à cette sorte d'équilibre sinistre qui semble avoir enlevé aux parties en présence toute illusion sur le plan militaire. L'A.L.N. a renoncé à son Dien Bien Phu, l'armée française ne croit plus au dernier quart d'heure.
(9) Le Monde - 15/12/61 - Opération " portes ouvertes " à l'état-major de la Reghaïa où le commandement reçoit pour la première fois les journalistes. Bilan dressé par le commandant Bourgue, porte-parole du commandement interarmée.
L'A.L.N. paraît renoncer à se développer en Algérie; elle sait qu'elle n'obtiendra rien de vastes opérations militaires d'ailleurs fort risquées. Même son action de propagande dans ce domaine paraît se relâcher ; il n'est plus question d'une aviation F.L.N., ni du recrutement de volontaires étrangers dans les pays frères. L'armée française de son côté cesse les opérations de grande envergure, regroupe des forces en supprimant près d'un millier de petits postes et annonce la diminution progressive de ses effectifs ; 2 grandes unités ont déjà regagné la Métropole, réduisant ainsi de 7,5 % l'armée française d'Algérie. Pour que l'Algérie algérienne puisse se réaliser, le Général de Gaulle se déclare décidé à organiser " dès à présent une force publique purement algérienne dont disposera le pouvoir provisoire quand il assumera la responsabilité de conduire le pays à la décision " (10).
S'il y a un incontestable ralentissement des activités militaires, en revanche le terrorisme ne cesse pas. Le terrorisme F.L.N. a indiqué la marche à suivre à une population européenne que personne n'a su apaiser. Au lieu de s'internationaliser comme le souhaitait le F.L.N., la guerre d'Algérie entre dans la plus sombre des clandestinités, celle de deux organisations secrètes qui comptent les coups.
(10) Discours du Général de Gaulle du 2 octobre 1961.

III. - LA RECONNAISSANCE DU G.P.R.A.

A la fin de 1961 nous avions pu dénombrer 18 reconnaissances non ambiguës du G.P.R.A. qui sont dans l'ordre chronologique celles de l'Irak, du Maroc, de la Tunisie, de la Lybie, de la Jordanie, de l'Arabie, de la R.A.U., du Yemen, du Soudan, de la Chine, de la Corée du Nord, du Nord Viet-Nam, de l'Indonésie, de la Guinée, de la Mongolie extérieure, du Liban, du Ghana, du Libéria. A cette liste on pouvait ajouter avec quelques réserves dues à la forme de la reconnaissance la Yougoslavie et l'U.R.S.S. (11) . Nous arrivons donc au chiffre de 20 reconnaissances. Le G.P.R.A. ayant reconnu le Togo lors de son accession à l'indépendance a reçu en réponse le 17 juin 1960 un message peu explicite de M. Sylvanus Olympio que le F.L.N. considère comme une reconnaissance de jure (12) selon une procédure analogue à celle de la Guinée (13).

(11) Cf. Annuaire français, 1959, p. 835 et s., 1960, p. 984 et s. (12) Cf. Mohamed Bedjaoul, La révolution algérienne et le droit, Bruxelles, 1961, p. 123.
(13) Cf. Annuaire français, 1959, p. 840.

Au cours de l'année 1961, le G.P.R.A. bénéficie de nombreuses nouvelles reconnaissances, celle du Mali le 17 février 1961, du Congo (Léopoldville) le 19 février 1961, de Cuba le 28 juin 1961, du Pakistan le 3 août 1961. La conférence de Belgrade à laquelle participe le G.P.R.A. sur un pied d'égalité avec tous les gouvernements présents entraîne logiquement plusieurs reconnaissances : celles de l'Afghanistan le 1er septembre, du Cambodge et de Chypre le 4 septembre 1961. A ces 28 reconnaissances les juristes du G.P.R.A. ajoutent celles de la Tchécoslovaquie et de la Bulgarie qui résulteraient de traités bilatéraux signés entre le G.P.R.A. et la Tchécoslovaquie le 25 mars 1961 et entre le G.P.R.A. et la Bulgarie le 29 mars 1961 (14). Enfin à l'occasion de la conférence de Belgrade des informations de presse font état de promesses de reconnaissance faites au G.P.R.A. par Ceylan et la Birmanie ; il ne semble pas que ces promesses se soient concrétisées formellement.
Le G.P.R.A. bénéficie donc actuellement d'une trentaine de reconnaissances. Ce chiffre important lui a permis au moment de la conférence de Belgrade d'introduire un nouveau passeport qui permet aux administrés du F.L.N. de voyager dans une bonne partie du monde, limitée cependant à une catégorie bien particulière d'Etats.
La totalité de ces Etats, en effet, à une exception près, appartiennent soit au groupe afro-asiatique, soit au groupe communiste. Cuba constitue d'ailleurs à peine une exception ; en effet ce pays qui se prétend une démocratie populaire est très proche du groupe communiste et siège régulièrement aux réunions du groupe afro-asiatique de la quatrième commission à l'O.N.U. ; l'attitude de Cuba n'a donc rien de surprenant.
Si on retranche les 8 pays communistes, une vingtaine d'Etats afro-asiatiques seulement sur plus de 50 qui siègent à l'O.N.U. ont reconnu le G.P.R.A. ; ces Etats appartiennent au groupe qui s'est constitué à l'occasion des conférences de Casablanca et de Belgrade. Il est important de noter qu'aucun Etat latino-américain (en dehors de Cuba), qu'aucun Etat Européen non communiste, pas même les pays Scandinaves connus pour leur " anticolonialisme ", qu'aucun pays africain du groupe de l'Union Africaine et Malgache, n'ont reconnu le G.P.R.A. Cette constatation amène à situer d'une façon précise le F.L.N. sur la carte politique internationale et en même temps à prendre conscience de la fragilité juridique de reconnaissances aussi nettement orientées.

(14) Mohamed Bedjaoul, op. cit., p. 185.

Le G.P.R.A. appartient à une tendance politique bien déterminée. Il participe donc aux conférences internationales qui regroupent les Etats de cette tendance. En janvier 1961, à la conférence de Casablanca, M. Ferhat Abbas siège au sommet au milieu des leaders africains et asiatiques parmi lesquels le Président Nasser, M. Sekou Touré et M. N'Krumah et il obtient le vote d'une longue résolution sur l'Algérie (15).

(15) Cf. Annuaire fr., 1960, p. 986-87.

Le 14 février 1961 s'ouvre à Tunis la quatrième conférence non gouvernementale de " lutte contre le colonialisme en Méditerranée et au Moyen-Orient ". Le représentant des nationalistes algériens, M. Ben Yahia, l'un des négociateurs de Melun, est élu président du comité permanent de la conférence. Dans une résolution sur l'Algérie la conférence après avoir " salué toutes les victimes de la répression coloniale " demande " la libération des prisonniers et propose l'envoi d'avocats et de commissions de juristes des pays membres de la conférence pour les défendre devant les tribunaux militaires et les visiter dans les prisons et les camps en France et en Algérie ". La conférence proteste d'autre part " contre toutes les sentences de mort prononcées contre les Algériens en France et en Algérie " et envoie un télégramme dans ce sens au Général de Gaulle.
Il a été question de l'Algérie à la conférence de Monrovia (mai 1961) mais le G.P.R.A. n'y participe pas, car il n'appartient pas à ce groupe d'Etats africains jugés insuffisamment " désengagés ". En revanche il participe au Caire du 5 au 12 juin à la réunion préparatoire à la Conférence de Belgrade (16). Egalement au Caire, il assiste du 28 au 30 août à la conférence qui réunit les Etats membres du groupe de " l'Afrique révolutionnaire " plus couramment désignés sous le nom de groupe de Casablanca.
Quelques jours plus tard s'ouvre la conférence des " Etats non engagés" de Belgrade (17) où le G.P.R.A. siège au milieu de 23 gouvernements représentant environ un milliard d'hommes ; il obtient trois reconnaissances supplémentaires ainsi que des promesses de plusieurs Etats ; son comportement y est observé avec une attention d'autant plus grande que son leader vient de change ; M. Ben Khedda confirme solennellement l'adhésion de l'Etat algérien au camp du neutralisme.

(16) 21 Etats sont représentés : Afghanistan, Algérie, Arabie Séoudite, Birmanie, Camb odge, Ceylan, Cuba, Ethiopie, Ghana, Guinée, Inde, Indonésie, Irak, Mali, Maroc, Népal, R.A.U., Somalie, Soudan, Yemen, Yougoslavie.
(17) 1-6 septembre. 24 Etats sont représentés : Afghanistan, Algérie, Arabie Séoudite, Birmanie, Cambodge, Congo (Leo.). Chypre, Cuba, Ethiopie, Ghana, Guinée, Inde, Indonésie, Irak, Liban, Mali, Maroc, Népal, R.A.U., Soudan, Somalie, Tunisie, Yemen, Yougoslavie. Cf. notamment les art. de J. Lacoutuke dans le Monde dipl., sept, et oct. 1961.

Dans un cercle d'Etats bien déterminé la position du G.P.R.A. progresse régulièrement ainsi qu'en témoigne la part qu'il prend désormais à certaines conférences afro-asiatiques et le nombre de reconnaissances dont il bénéficie. Il est possible de prévoir encore une augmentation substantielle du nombre des reconnaissances du côté des pays du groupe de Belgrade et même plus généralement du groupe afro-asiatique. Certains pays expriment d'ailleurs clairement que leur attitude à l'égard des nationalistes algériens n'est nullement exclusive de leur sympathie à l'égard de la France. Le prince Sihanouk a ainsi souhaité à Belgrade qu'à l'exemple du Cambodge " une Algérie pleinement indépendante entretienne bientôt les relations les plus cordiales avec la France " ; il a ajouté que la reconnaissance du G.P.R.A. " ne saurait être considérée comme une condamnation de la France à laquelle nous maintenons toute notre amitié ".
La France ne paraît plus s'inquiéter de ces reconnaissances. Au lieu d'en " tirer les conséquences " c'est-à-dire de rompre les relations diplomatiques, le Gouvernement français semble admettre que dans un contexte afro-asiatique des Etats, même amis de la France, puissent être amenés à reconnaître le G.P.R.A. Cette attitude compréhensive s'explique d'autant mieux que le point de vue français sur ce qui n'était autrefois qu'une rébellion s'est sensiblement transformé.

IV. - LES TENTATIVES DE NEGOCIATIONS

Le bilan de l'année 1961 se soldant par une nouvelle impasse des négociations entreprises, on pourrait être tenté de penser que l'attitude de la France à l'égard du G.P.R.A. ne s'est pas modifiée et qu'Evian-Lugrin n'est que la répétition de Melun. Une étude plus attentive du comportement des négociateurs français et des discours du Général de Gaulle montre au contraire une nouvelle importante évolution avant, pendant et même encore après les négociations.

A. - EVIAN ET LUGRIN.
Après les entretiens de Melun, une autre année s'écoule avant que ne puissent être renoués les fils de la négociation. La chronologie de la reprise du dialogue s'étale sur près de six mois. Le 16 janvier 1961, dans une déclaration publiée à Tunis, le G.P.R.A. se déclare prêt à engager les négociations sans condition préalable.
Le 1er février, le Général de Gaulle adresse à M. Bourguiba une invitation à se rendre en France. Quelques jours plus tard, l'hebdomadaire tunisien Afrique -Action annonce que des contacts secrets sont pris en Suisse entre MM. Pompidou et Bruno de Leusse d'une part et MM. Boumendjel, Dalhab et Boulharouf de l'autre (19-22 février). Le voyage du Président Bourguiba en France et sa rencontre avec le Général de Gaulle (27 février) est sans que le mot soit officiellement employé une mission de bons offices ; le chef de l'Etat tunisien en donne lui même la définition : " Elle (la Tunisie) seule est en mesure de rapprocher les belligérants, de faire comprendre les positions des uns et des autres " (18) . A l'issue des entretiens un communiqué commun est publié : "... La question algérienne a été évoquée largement à la lumière des récents développements et dans la perspective de l'avenir de l'Afrique du Nord. Le Général de Gaulle et le Président Bourguiba ont été d'accord pour constater les possibilités et l'espoir qui existent désormais d'une évolution positive et rapide... Le Général de Gaulle et le Président Bourguiba ont constaté à quel point leurs conceptions étaient proches ". Les 15 et 18 mars des communiqués du Gouvernement français et du G.P.R.A. annoncent, chacun de leur côté, la confirmation officielle de l'ouverture des négociations. La date du 7 avril est fixée.

(18) Le Monde, 25/2/61.
De nombreux obstacles et incidents s'interposent encore : l'indisposition du principal négociateur algérien, M. Belkacem Krim, l'assassinat du Maire d'Evian par l'O.A.S. le 31 mars, la Conférence de presse de M. Joxe à Oran qui provoque un brusque retrait du G.P.R.A., le putsch des Généraux à Alger (22-26 avril). C'est finalement le 20 mai seulement que s'ouvre la conférence d'Evian ; elle est interrompue le 13 juin, reprend à Lugrin le 20 juillet jusqu'à la suspension sine die intervenue le 28 juillet. En tout, une vingtaine de séances de travail en deux mois pour aboutir, comme à Melun, à un échec.

A Melun, on pressentait déjà, à travers les conflits de préséance et de procédure, l'incompatibilité des doctrines en présence. A Evian et à Lugrin, les questions de forme ayant été préalablement résolues, le désaccord au fond est apparu en pleine lumière.
Officiellement, le G.P.R.A. avait invoqué des raisons de procédure pour justifier son départ de Melun. En réalité, derrière ces considérations de forme se dissimulaient intactes les doctrines du Gouvernement français et du F.L.N. ; mais la procédure avait constitué un isolant suffisamment hermétique pour que les thèses en présence n'aient pu s'affronter au fond. C'est précisément ce que de part et d'autre on a cherché à éviter pour la seconde rencontre. L'ambiance des débats apparaît d'emblée très différente. Pour écarter dès l'origine toute susceptibilité, deux communiqués similaires sont publiés simultanément à Paris et à Tunis le 30 mars 1961. Le Gouvernement français d'un côté, le G.P.R.A. de l'autre, font savoir que " les pourparlers relatifs aux conditions de l'autodétermination et aux problèmes qui s'y rattachent s'ouvriront à Evian le 7 avril ". Une seule différence peut être relevée dans la suite des deux communiqués : Les Algériens se désignent comme Gouvernement provisoire de la République algérienne, tandis que la France déclare que les pourparlers s'ouvriront avec " les représentants du F.L.N. ". Cette nuance, plus importante qu'elle ne paraît, n'a pas été relevée.

Mais, dès le lendemain, le F.L.N. affirmait son caractère représentatif et sa qualité de gouvernement provisoire en refusant la rencontre convenue tant que le Gouvernement français ne renoncerait pas à entrer en rapport dans les mêmes conditions avec le M.N.A. En effet, dans une conférence de presse, tenue à Oran le 30 mars, M. Joxe, répondant à une question d'un journaliste, avait déclaré : " Je rencontrerai le M.N.A. comme je rencontrerai le F.L.N. ", ce qui a entraîné le lendemain cette réplique inattendue : " Après la publication des deux communiqués officiels, la déclaration faite à Oran par le Ministre d'Etat français, M. Louis Joxe, et concernant une négociation avec des valets du colonialisme, remet en cause celle qui doit s'ouvrir le 7 avril à Evian... ". Le G.P.R.A. accepte d'être appelé F.L.N. dans le communiqué français, mais entend en fait être considéré comme le seul représentant du peuple algérien. Passant sur un détail de forme, il se révèle d'emblée intraitable sur le fond. Près de deux mois furent nécessaires pour rétablir la situation. Le 20 mai, la première réunion se déroule enfin dans une ambiance nouvelle ".

Le Gouvernement français s'est ingénié, après l'expérience de Melun, à trouver une formule qui lui permette, sans démentir son point de vue sur le G.P.R.A., de traiter ses envoyés de telle sorte qu'ils ne puissent se plaindre d'une inégalité quelconque. Il y est parvenu grâce à un choix judicieux du lieu de rencontre, grâce aussi au ton des débats qu'a su définir, dès la première rencontre, M. Joxe. Evian puis Lugrin ont été évidemment proposés puis acceptés d'un commun accord à cause de la proximité de la frontière suisse. Les délégués du G.P.R.A. reçoivent sur le sol français un accueil qui est sensiblement le même que celui de la Préfecture de Melun : arrivée en hélicoptère, absence de poignée de mains, pas de contacts avec la population française ni avec les journalistes. Mais, aussi souvent qu'ils le désirent, ils traversent la frontière ; sur le sol suisse, ils retrouvent une pleine liberté de manœuvre et peuvent donc rencontrer qui ils veulent et tenir des conférences de presse. En cours de débats, le ton paraît avoir été celui d'une correction froide et sèche, mais dénuée d'outrances et de violence. Les deux chefs de délégations s'appellent Monsieur le Président et parlent de leurs " collaborateurs " réciproques.

Le formalisme irritant de Melun a disparu, ou du moins est relégué au second plan ; sans faire de concession sur les principes, le Gouvernement français y est parvenu par un remarquable effort de compréhension et aussi d'imagination pour trouver chaque fois que nécessaire la solution qui permet au G.P.R.A. de considérer qu'il est traité en gouvernement sans qu'à aucun moment cette reconnaissance ne soit expressément formulée. Cette étonnante acrobatie du protocole était possible avec l'accord tacite des deux délégations ; mais si cette partie de cache-cache a pu se jouer sur le plan de la procédure, elle était impossible sur le fond du problème.
Les positions en présence sont en apparence très proches depuis l'acceptation de part et d'autre de l'autodétermination et l'option du Gouvernement français pour l'Algérie algérienne (19), En réalité, les entretiens de Melun découvrent des divergences graves qui peuvent se résumer comme suit :

(19) C'est le 14 juin 1960, juste avant les entretiens de Melun que le Général de Gaulle s'est prononcé en faveur de l'Algérie algérienne et c'est par son discours du 4 novembre qu'il décide d'en entreprendre la réalisation.

Alors que le G.P.R.A. se considère comme un gouvernement au sens international du mot et estime devoir traiter à égalité avec le Gouvernement français, ce dernier ne lui reconnaît que le caractère d'organisation extérieure de la rébellion. Le G.P.R.A. estime donc avoir vocation pour régler l'ensemble du problème algérien; au contraire, dans une première phase, le Gouvernement français ne veut discuter avec lui que le problème du cessez-le-feu et n'accepte de lui reconnaître une représentativité politique qu'en fonction des résultats du referendum sur l'autodétermination. Pour qu'une nouvelle rencontre ait quelque chance de réussir, il fallait évidemment que les positions respectives se transforment de façon à ménager des points de contact.
Du côté français, les concessions ne sont pas négligeables. D'abord, le Général de Gaulle précise la position française sur le sort futur de l'Algérie. Sans doute, depuis la définition de l'Algérie algérienne, rien n'excluait plus l'indépendance de l'Algérie ; le mot cependant n'avait jamais été prononcé.
Il le sera au cours des pourparlers le 28 juin 1961 dans un discours prononcé par le Chef de l'Etat à Verdun, puis le 12 juillet dans une allocution radio diffusée où il sera question d'" Etat entièrement indépendant ". En second lieu, le Gouvernement français ne limite plus la discussion au cessez-le-feu et aux questions militaires ; il accepte de traiter avec les émissaires du G.P.R.A. des problèmes politiques ; il consent à ce qu'aucun ordre du jour ne soit fixé pour qu'aucune priorité ne soit donnée aux discussions sur le cessez le-feu ; il accepte de causer sans que les couteaux aient été déposés au vestiaire puisque c'est unilatéralement que la France décide la trêve, espérant seulement que son exemple serait suivi. Dans une troisième concession, à la suite de la violente réaction nationaliste du 31 mars, le Gouvernement français admet de ne négocier qu'avec le seul G.P.R.A. Cédant une nouvelle fois aux instances du F.L.N., le Général de Gaulle annonce dans sa conférence de presse du 11 avril 1961 que dans le cas où les conférences s'engageraient effectivement, Ben Bella et ses compagnons verraient modifier le régime auquel ils sont actuellement soumis et auraient un régime considérablement plus libéral ; la promesse se réalise le jour de l'ouverture des pourparlers par le transfert des prisonniers au château de Turquant où ils peuvent recevoir des visites et communiquer avec l'extérieur par téléphone. Concrétisant son désir de paix, le Gouvernement français prend enfin deux mesures destinées à détendre l'atmosphère : la libération de 6 000 internés et une trêve militaire d'un mois. Durant toute cette période, l'attitude du Gouvernement français semble avoir été guidée par le souci de ne rien faire qui puisse bloquer les négociations. Il s'est efforcé au contraire d'assouplir ses positions par rapport à ce qu'elles paraissaient être précédemment.

Dans le même moment, le G.P.R.A. paraît avoir profité des dispositions conciliantes de la France pour tenter de marquer des points en affirmant ses positions chaque fois que la souplesse des négociateurs adverses lui en donnait l'occasion. Profitant de son caractère collégial, il lui est facile de lancer des ballons d'essai pour éprouver les lignes de résistance des positions françaises. C'est ainsi que l'un des émissaires, M. Boumendjel, avant même l'ouverture des pourparlers, déclare à un journal espagnol : " Si vous entendez par négocier quelque chose comme transiger, vous êtes dans l'erreur. Nous n'accepterons pas l'indépendance par étapes, ce que certains périodiques appellent le " Bourguibisme ". L'indépendance est un objectif immédiat. La formule par degré n'aboutit qu'à la dégradation de l'enthousiasme.
Indépendance progressive est synonyme d'indépendance incomplète. Nous ne légitimerons rien, rien, rien de l'œuvre du colonialisme. La légalité raciste, l'analphabétisme et la dégradation morale ne peuvent être compensés par aucune réalisation spectaculaire... La collaboration avec la France, ce sera toujours, ou du moins pendant longtemps, équivoque et dangereux... Je ne vois pas de collaboration possible
" (19 bis).

(19 bis) Cf. Le Monde, 20/5/1961

Profitant de la première suspension des pourparlers, M. Ferhat Abbas entreprend une tournée diplomatique au cours de laquelle il affirme solennellement le caractère global et intangible des revendications formulées par le G.P.R.A. Au cours d'un " meeting de solidarité avec le peuple algérien " organisé à Casablanca, le Président du Gouvernement provisoire s'écrie :
" En ce jour historique, nous prenons à Casablanca la résolution que jamais l'Algérie ne cédera sans la reconnaissance de son indépendance totale et de son intégrité territoriale ".

Et pour qu'il n'y ait aucun doute sur la signification de ce programme, le jurisconsulte du G.P.R.A., l'un des experts d'Evian, publie un ouvrage intitulé " La révolution algérienne et le droit " (20) qui énonce avec toutes les précisions souhaitables la construction juridique imaginée par le G.P.R.A. Aucun document issu du nationalisme algérien ne donne davantage le sentiment du dogmatisme. La construction est d'autant plus rigide qu'elle s'est durcie dans la souffrance.
La thèse monolithique n'est pas proposée, elle est imposée ; il n'est pas question que la France puisse en discuter une proposition. Comme s'il voulait renforcer à coups d'arguments juridiques les malheureuses déclarations de M. Boumendjel, l'auteur énumère avec une jubilation cruelle " les savoureuses contradictions " de l'impérialisme colonialiste français. Et pour que rien ne subsiste de la souillure, c'est en 1830 qu'il fait remonter l'analyse (21).

(20) Mohamed Bedjaoui, La révolution algérienne et le droit. Bruxelles, 1961.
(21) Cf. le compte rendu de cet ouvrage dans cet Annuaire français, infra.

Cette tactique d'intransigeance a permis - on le sait - l'élimination de contacts simultanés entre le Gouvernement français et le M.N.A. Encouragé par ce succès, le G.P.R.A. a cru pouvoir persévérer dans cette attitude et pas un instant n'a admis, même à titre provisoire, la concession qui devait permettre à la négociation de se nouer. C'est ainsi que ne voulant voir dans la trêve unilatérale qu'une habileté calculée et refusant de considérer qu'il pouvait s'agir aussi dans cette guerre de terrorisme d'un geste de courage et de bonne volonté, le G.P.R.A. a tourné en dérision la décision de la France.
Il ne l'a peut-être pas fait de gaieté de cœur, mais il n'a pas hésité à sacrifier des vies humaines pour affirmer qu'il ne saurait y avoir de cessez-le-feu sans son accord.
Avec le terrorisme, la démonstration était facile; elle a été conduite avec succès; pour le premier mois de trêve, elle a coûté la vie à 304 personnes et a fait 531 blessés (22).

(22) Déclaration de M. Jean Morin le 17 juin. Le Monde, 18-19/6/1961.

B. - Echec des pourparlers.
Ainsi peut s'expliquer la première suspension demandée par la France. En effet, après 13 séances et 40 heures d'exposés qui constituent ce qu'on appelle la phase exploratoire, les principaux points de friction sont mis en lumière. Pour éviter que l'intransigeance du G.P.R.A. ne bloque irrémédiablement les entretiens sur l'un des points litigieux, la délégation française décide un délai de réflexion qui est aussitôt présenté comme une rupture unilatérale par les délégués du F.L.N. (23).

(23) Cf. l'exposé de M. Redha Malek à Genève le 13 juin. Le Monde, 15/6/1961.

A la reprise des pourparlers, M. Louis Joxe propose une nouvelle méthode de travail dont le but est d'envisager simultanément tous les aspects des problèmes en suspens pour que toutes les préoccupations de l'un puissent être prises en considération par l'autre. Les séances plénières pourraient s'accompagner de commissions mixtes spécialisées et de rencontres en tête à tête. De son côté, le G.P.R.A. élabore un ordre du jour en 5 points présentés dans un ordre numéroté : 1) les garanties de l'autodétermination et son champ d'appli cation,
2) la période transitoire,
3) les garanties à offrir aux Européens d'Algérie,
4) les perspectives de coopération entre l'Algérie et la France,
5) les modalités techniques du cessez-le-feu.
M. Louis Joxe tente alors de rapprocher les deux méthodes proposées en suggérant de constituer cinq commissions correspondant aux cinq points du projet d'ordre du jour et en acceptant que l'on prévoie à la fois des séances plénières destinées à guider les travaux des experts et des réunions de commissions.
Le 25 juillet au soir, un accord de principe paraît être réalisé sur les méthodes de travail entre les deux délégations; on ne tarde pas à s'apercevoir qu'il repose sur un malentendu. Le principe des commissions ayant été admis par le F.L.N., les négociateurs français en ont conclu qu'il est d'accord sur l'examen simultané des problèmes afin de faire avancer toutes les questions à la fois, sans buter sur l'une d'entre elles. En réalité, le F.L.N. continue à penser que les questions relevant d'une rubrique ne pourraient être confiées à la commission que lorsque tous les points de cette rubrique auraient été examinés en séance plénière et qu'un accord global serait intervenu. C'était une fois de plus se refuser à toute concession.
Partant sur ce malentendu, M. Louis Joxe accepte qu'un débat préliminaire ait lieu sur le premier point de l'ordre du jour avant que les commissaires puissent s'en saisir. La discussion butte sur l'obstacle du Sahara, dès la première séance, le 27 juillet ; la délégation française exprime alors le vœu qu'on laisse provisoirement de côté ce sujet et qu'on aborde les autres questions. Le F.L.N., comprenant que la France se refuse dans l'état actuel des pourparlers à céder sur le problème saharien, ne veut pas aborder un autre point et préfère rompre. Malgré tous les efforts de la délégation française, le Sahara est ainsi devenu un " Préalable impératif " qu'il n'a pas été possible de dépasser. M. Joxe a résumé cette situation ainsi : " Sur tous ces sujets (ceux de l'ordre du jour proposé) les représentants du F.L.N. s'étaient déclarés prêts à discuter, à rechercher les formules d'entente, à essayer de réduire les difficultés. Or, dès la première séance de travail, ils se sont arrêtés au mot " Sahara ", ils ont refusé d'aller plus loin avant que satisfaction leur soit donnée, c'est-à-dire que leur soit reconnue immédiatement la souveraineté sur le Sahara " (24). Cette attitude est conforme à la rigidité que le G.P.R.A. manifeste depuis son existence dans la défense de ses thèses. Elle est aussi conforme à la technique du préalable qui jusqu'à présent lui a parfaitement réussi (25).

(24) Allocution radiodiffusée du 1er août 1961.
(25) Les renseignements sur les entretiens d'Evian et Lugrin proviennent des communiqués officiels des deux parties et de la presse. Signalons en outre une version, intéressante parce qu'inspirée, de ces négociations donnée par M. Shukairy dans son discours du 15 décembre à la lre commission de l'Assemblée générale des Nations Unies : « Ce qui s'est passé à la Conférence d'Evian n'a été connu de personne. Les Nations Unies n'ont nullement été informées. Le représentant de la France ne se trouve pas ici et son pays n'a pas présenté de rapport aux Nations Unies concernant les négociations que celles-ci avaient recommandées; nous considérons donc qu'il est de notre devoir d'informer l'Organisation sur ce qui s'est passé à la Conférence d'Evian... ».

C. - Le dégagement.
Depuis le 28 juillet et malgré le remplacement de Monsieur Ferhat Abbas par Monsieur Ben Khedda, le G.P.R.A. n'a en rien modifié ses positions et s'est contenté de rejeter l'échec des pourparlers sur le Gouvernement français. Si on laisse de côté le grave problème des minorités européennes qui n'a jamais encore fait l'objet de véritables discussions, le désaccord paraît porter essentiellement sur deux points. Le premier est le Sahara sur lequel le G.P.R.A. estime qu'il ne peut y avoir négociation puisqu'il fait partie intégrante de l'Algérie. Le second touche au statut du G.P.R.A. qui avant même l'autodétermination voudrait voir le Gouvernement français reconnaître sa représentativité.

Décidé à mettre un terme à la guerre d'Algérie, les derniers discours du Général de Gaulle apportent certaines précisions qui indiquent la volonté de sortir de l'immobilisme. Parlant du Sahara dans sa conférence de presse du 5 septembre 1961, le Chef de l'Etat a déclaré : " Les réalités, c'est qu'il n'y a pas un seul Algérien, je le sais, qui ne pense que le Sahara doive faire partie de l'Algérie, et qu'il n'y aurait pas un seul gouvernement algérien quelle que soit son orientation par rapport à la France qui ne doive revendiquer sans relâche la souveraineté algérienne sur le Sahara... ".
Cette reconnaissance du caractère algérien du Sahara paraît lever le premier obstacle. Le problème de la représentativité est certainement celui qui inquiète le plus le G.P.R.A. Dans l'impossibilité pratique de faire la démonstration de son caractère représentatif, le G.P.R.A., sous des affirmations et des certitudes, cache mal l'inquiétude qu'il ressent à l'idée d'un affrontement avec le peuple algérien. S'il sait comment réagiront certaines grandes agglomérations, il ignore largement l'attitude des populations rurales à son égard (26). Il cherche donc à obtenir que le Gouvernement français lui cède l'appareil politico-administratif et l'installe avec l'aide de la force publique française comme il l'a fait dans tous les autres territoires précédemment " décolonisés ".
Ainsi s'explique la déclaration de Monsieur Ben Khedda du 24 octobre 1961 : " On peut s'interroger si la procédure d'autodétermination n'est pas dépassée et s'il n'existe pas un chemin nouveau, plus court et plus aisé pour parvenir à la cessation des hostilités. Nous pensons, quant à nous, qu'il est possible aujourd'hui de promouvoir une solution rapide du conflit et qu'il existe pour y parvenir une méthode qui nous paraît aux uns et aux autres une économie de temps et de sacrifice et permettrait d'instaurer immédiatement la paix. Cette méthode consisterait à engager des négociations en vue de rechercher un accord sur le principe, les modalités et la date de la proclamation de l'indépendance ainsi que sur la conclusion d'un cessez-le-feu. Après quoi, de nouvelles négociations pourraient s'ouvrir qui auraient pour objet la définition de nouveaux rapports entre l'Algérie et la France et les garanties aux Français d'Algérie ".

(26) Cf. Annuaire français, 1959, p. 837 et 1960, p. 989 et s.

Trois jours plus tard, Monsieur Louis Joxe répond à cette proposition en confirmant la nécessité de la procédure d'autodétermination : "
Ce principe d'autodétermination est une application du principe de la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes qui peut vous permettre de régler les problèmes que nous avons devant nous y compris celui du Sahara... Ce principe est la seule méthode qui permette d'asseoir les fondements d'un Etat démocratique en permettant à tous de s'exprimer et en assurant un état de paix qui soit reconnu par les uns et par les autres... Le caractère original du problème algérien ne permet pas d'utiliser les méthodes qui ont servi pour les autres pays d'Afrique...
" (27).

(27) Dans sa conférence de presse du 5 septembre 1961, le Général de Gaulle avait répondu par avance aux propositions de Monsieur Ben Khedda : " Un Etat algérien d'où peut-il sortir ? Normalement, il ne peut sortir que de l'autodétermination, c'est-à-dire du suffrage des habitants, parce qu'il n'existe pas de légitimité, de souveraineté algérienne, antérieure à la conquête, à qui l'on puisse s'en remettre comme on l'a fait en Tunisie ou au Maroc. Cette autodétermination veut dire un référendum qui instituera l'Etat algérien et ensuite des élections d'où sortira le Gouvernement définitif... ".

Le Gouvernement français paraît donc maintenir sa position tant sur la procédure de l'autodétermination que sur le statut qu'il reconnaît au G.P.R.A. Sur ce dernier point, on peut par ailleurs relever l'expression employée par Monsieur Joxe à la tribune de l'Assemblée Nationale, le 30 novembre 1961. " Au surplus, je ne reconnais pas le G.P.R.A., si ce n'est comme combattant important et ma tâche est de faire la paix - pas n'importe laquelle - avec lui. Mais ma tâche est aussi de faire ensuite l'Algérie nouvelle, en consultant non pas le seul G.P.R.A., mais toutes les populations algériennes en vue d'une coopération franco-algérienne en pensant non seulement aux intérêts de la France, mais aussi à ceux de l'Algérie de demain associée avec elle ".

Cette attitude parfaitement légitime du Gouvernement français semble entraîner une sorte de crainte du G.P.R.A. qui l'incite à se dérober chaque fois que la négociation est sur le point de s'engager. Le Gouvernement français n'arrive donc pas à amorcer un dialogue sur les bases de l'autodétermination que finalement le G.P.R.A. redoute et par conséquent cherche à écarter. Le discours de Monsieur Ben Khedda semble l'indiquer. Faute d'arriver à négocier avec ce partenaire insaisissable, le Gouvernement français a essayé à maintes reprises de constituer avec les élus un organisme suffisamment représentatif pour être cet exécutif provisoire qui permettrait la réalisation de l'autodétermination : " Seul un pouvoir provisoire algérien peut mener le pays à l'autodétermination et aux élections ; encore faut-il, bien sûr, que ce pouvoir ait assez de consistance, assez d'audience, et aussi qu'il se soit mis en accord avec nous sur les conditions de l'opération. On avait pu imaginer - peut-être peut-on encore imaginer - que le F.L.N., pourvu que tous les combats et les attentats aient cessé, ferait partie d'un tel organisme... Faute que cela puisse se faire, la seule source concevable d'où puisse sortir un exécutif algérien, c'est l'ensemble des élus... " (28).
Les tentatives du côté des élus actuels se révèlent plus décevantes encore sans doute parce qu'ils sont eux-mêmes divisés, terrorisés et finalement peu représentatifs. Alors, comme il faut tout de même en sortir, comme " ce dont il s'agit c'est du dégagement " (29), le Général de Gaulle tente une nouvelle fois d'inciter le G.P.R.A. à prendre ses responsabilités. L'appréciation du G.P.R.A., faite par le Général de Gaulle à Ajaccio, le 8 novembre 1961, est en effet neuve : " Pour que cette autodétermination se produise, il est nécessaire qu'un accord soit conclu d'avance entre le gouvernement et les éléments politiques algériens et avant tout, bien sûr, avec les représentants de la rébellion, qui ont avec eux la majorité des sentiments du peuple algérien ".

(28) Conférence de presse du Général be Gaulle du 5 septembre 1961. (29) Ibid.

Que faut-il comprendre ? Sans doute que le Général de Gaulle admet que toute solution négociée avec les Algériens passe de toute façon par le G.P.R.A. et que celui-ci porte dès lors une lourde responsabilité sur la façon de mener cette ultime opération.

Faute d'avoir accepté de négocier à temps certains problèmes avec le Gouvernement français, le G.P.R.A. risque de se retrouver prochainement en face de ces problèmes, seul, sans l'appui de la force publique française qui aura " dégagé ", et avec l'opposition de la minorité européenne qui ne se contente pas de discours et de vagues promesses. Le terrorisme voulu et organisé par le F.L.N. est un procédé contagieux ; rien ne permet d'affirmer que le G.P.R.A. saura lui-même arrêter son propre terrorisme le jour où il le voudra ; tout permet de penser que l'O.A.S. qui a retenu la leçon du F.L.N. ne désarmera pas facilement. On en arrive à se demander dans ces conditions si une négociation est encore possible.
Un journaliste rappelait récemment le communiqué britannique du 2 février 1947 : " Le Gouvernement de Sa Majesté n'est pas disposé à continuer indéfiniment à gouverner la Palestine en raison du fait que Juifs et Arabes ne peuvent s'entendre " (30) . C'est là aussi une définition, et la pire, du " dégagement ".
Maurice FLORY. 10 janvier 1962. " Négociation ou dégagement en Algérie ".
In: Annuaire français de droit international, volume 7, 1961. pp. 836-855. doi : 10.3406/afdi.1961.1125
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1961_num_7_1_1125

Maurice FLORY. Professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques d'Aix-en-Provence, Le Statut international des Gouvernements réfugiés et le cas de la France Libre, Paris, 1952 ; " Vers une nouvelle conception du prisonnier de guerre ", R.G.D.I.P., 1954 ; " La notion de Protectorat et son évolution en Afrique du nord ", R.J.P.U.F., 1954 et 1955 ; " Les bases militaires à l'étranger ", A.F.D.I., 1955 ; " La notion de territoire arabe et son application au Sahara ", A.F.D.I., 1957.

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Mis en ligne le 12 juin 2013

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