I. — Les conditions de la pêche

II existe en Algérie de petits groupements de pêcheurs dont l'originalité indiscutable tient tout autant aux coutumes et aux quartiers qu'ils habitent qu'au métier qu'ils pratiquent. Tels ceux d'Oran et de Mers el Kebir dont limportance économique est pourtant assez faible : 400 pêcheurs entre les deux ports auxquels il faut ajouter les activités qui en dépendent : mandataires, mareyeurs, marchands de poissons, fonctionnaires de l'inscription maritime, personnel et ouvriers des usines de conserves.

L'originalité des pêcheurs d'Oran et de Mers el Kebir tient aux conditions historiques de leur établissement. Après la conquête, l'ancienne ville espagnole d'Oran ne retint pas aussitôt les pêcheurs espagnols ou italiens qui venaient pêcher dans sa baie, « population flottante qui prenait sans rien donner en échange » (Aug. Bernard) .

Mais dès 1846 on compte une nombreuse colonie de pêcheurs espagnols (99), napolitains (129), sardes (91) et toscans et, semble-t-il des aides indigènes. Les Espagnols se fixent à Oran ce qui est logique. Plus curieux est l'établissement d'une importante colonie italienne à Mers el-Kebir. La plupart de ces Italiens sont originaires de l'île de Procida dans le golfe de Naples. A cette époque ces pêcheurs vivent encore sur leurs embarcations, mais certains ont déjà fondé Saint André de Mers el-Kebir. Les colonies de pêcheurs d'Oran et de Mers el-Kebir sont alors les plus importantes d'Algérie.

Jusqu'en 1880, la réglementation en vigueur ne les soumet à aucune contrainte et leur permet même de ne demander leur naturalisation qu'à 50 ans... pour obtenir une retraite. Mais la tension économique franco-italienne amènera le gouvernement, en 1888, à réserver la pêche côtière à nos nationaux. Les pêcheurs italiens et espagnols se firent alors naturaliser en masse. C'est donc au début du siècle une population de pêcheurs exclusivement ou presque d'origine espagnole à Oran et d'origine italienne à Mers el-Kebir, car les métropolitains sont en nombre infime et les indigènes encore peu nombreux 1 et 2.

(1) Lacoste. La Colonisation Maritime en Algérie. 1931. Larose, Paris. Chap. II à VIII.
(2) Lespes. Oran. Etude de géographie et d'histoire urbaine. 1938. Alcan 114-120. 131-132. 384-399.

La côte oranaise est élevée et assez découpée. Elle correspond au relief côtier des « montagnettes » des Sahels d'Oran et d'Arzew formés d'anticlinaux de terrains secondaires (Santon - Santa Cruz) séparés par des synclinaux (Mers el-Kebir - Andalouses) et à des dômes de terrains permiens. Les deux Sahels sont séparés par le plateau d'Oran constitué de calcaires gréseux karstifié. Quelques intrusions volcaniques complètent ce tableau sommaire 3. Le tout est coupé obliquement par la côte qui prend l'allure d'une succession de falaises (anticlinaux) se terminant par des caps, puis des baies (synclinaux) dissymétriques. Les indentations peu profondes de ce rivage sont médiocrement favorables à la vie portuaire. La baie d'Oran est divisée par des caps en trois parties : les ports s'abritent difficilement derrière les petits caps. Celui de Mers el-Kebir est le plus favorisé. Celui d'Oran, très peu protégé par la presqu'île du Fort Lamoune, a une longue digue.

(3) Tinthouin. Les aspects physiques du Tell Oranais. 1948. Fouque éditeur. Thèse, P. 229-271 et 553-555.

Les fonds sont peu favorables à la pêche. La plate-forme littorale est étroite surtout en face des caps : les fonds de 50 mètres sont atteints à un mille du rivage, ceux de 100 mètres à trois milles. Ce fait limite les possibilités de pêche sédentaire (poisson blanc), donc en particulier le chalutage. Les marées sont insensibles. Les vents sont surtout d'ouest ; ceux du nord-ouest sont les plus dangereux à cause de la forme des baies. Mais c'est la soudaineté des tempêtes l'hiver qui fait le plus hésiter les pêcheurs à s'éloigner des ports, d'autant plus que les abris provisoires sont rares. Le principal courant vient de l'Atlantique : eaux peu salées et fraîches. Riche en plankton, il frappe le revers des caps : d'où son importance pour la pêche. Un contre-courant en sens inverse aux eaux chaudes et salées se glisse entre la côte et le courant atlantique qu'il repousse à deux milles.

La température et la luminosité favorisent le séjour et la multiplication des espèces migratrices (poisson bleu). On pêche les espèces sédentaires ou poissons blancs (bogue, anguille, congre, grondin, merlan, rouget, mulet, loup, sole, daurade, murène, raie, rascasse, vieille) ou aventurières (mérou, pageau) et les crustacés (crevettes, crabes, langoustes, homards) par chalutage ou aux « petits métiers ». Les espèces migratrices ou poissons bleus (sardine, allache, anchois, maquereau) sont péchés avec divers filets (lamparo, sardinal, ring-net). Le thon et la bonite sont capturés dans quelques madragues 4.

(4) Dieuzeiixe - Novella - Roland. Catalogue des poissons des côtes algériennes. 1945-1955, 3 vol.

Le chalutage n'est pas pratiqué à Mers el-Kebir. A Oran même 4 chalutiers seulement ont été armés en 1960 (79 tonneaux). C'est un déclin rapide (9 chalutiers en 1954) ; alors que le nombre des chalut iers augmente en Algérie, ayant doublé depuis 1939 (de 76 à 152). Les 4 chalutiers d'Oran emploient 28 pêcheurs sur les 195 du quartier. Ce sont, comme tous les chalutiers d'Algérie, des embarcations de trop faible importance (de 20 à 25 tonneaux environ, l'un d'eux ne jauge même que huit tonneaux), vétustés le plus souvent, sans cale frigorifique, ce qui leur interdit les longs déplacements. Les filets sont traînants, utilisant les plateaux (otter-trawl) qui écartent les deux ailes grâce à la pression exercée sur eux par l'eau. La traction ferme les mailles et interdit toute issue au poisson capturé. La ralingue inférieure plombée racle le fond, ce qui rend ce type de pêche destructeur. Les flotteurs de la ralingue supérieure et le cerf volant maintiennent l'ouverture vers le haut 5. La réglementation en vigueur s'efforce d'imposer un tonnage minimum (30 tonneaux), interdit le chalutage par fonds inférieurs à 50 mètres et à l'intérieur de certains alignements et à moins de 300 mètres d'autres filets, fixe les heures et dates de pêche, autorisée seulement de jour et du 1er octobre au 31 mai et en juin et juillet avec une autorisation spéciale que les chalutiers d'Oran ne demandent pas. Toutes ces mesures ont pour but de protéger la reproduction des espèces. Mais elles sont souvent enfreintes, moins par les chalutiers d'Oran que par ceux des autres ports. La pêche se pratique de jour et le bateau rentre chaque soir ce qui interdit la pêche hauturière. Le maître de pêche, vieux pêcheur expérimenté, dirige les opérations sans utiliser les procédés modernes de détection 6.

5) Dieuzeide - Novella. Le matériel de pêche maritime utilisé en Algérie. Documents et renseignements agricoles. N° 179. 1953. Règlement des pêches maritimes en Algérie. 1955.
(6) Huetz de Lemps. Pêcheurs d'Algérie. Cahiers d'Outre-Mer, n° 30, avril-juin 1955, p. 161 à 195.

Les petits métiers tiennent une place plus importante dans les effectifs : 52 pêcheurs à Oran (43 embarcations). Encore ce chiffre est-il en net déclin depuis dix ans (de moitié à Oran).

Ce type de pêche utilise les embarcations de type sardinal, de trémail ou les petits palangriers à forte quille. Les filets les plus employés sont le trémail (une nappe à mailles fines intérieure ou voile et deux nappes extérieures à larges mailles ou tables) et parfois la bouliche. Les palangriers utilisent beaucoup le palangre, longue ligne (300 mètres) avec des lignes transversales où sont logés 80 hameçons en tout. Ils utilisent également beaucoup les nasses en roseaux, jonc ou osier pour la pêche aux crustacés et aux poissons. Signalons pour mémoire les lignes, harpons et foënes.

La pêche aux petits métiers est une pêche de type familial (un ou deux pêcheurs par embarcation le plus souvent) correspondant bien au tempérament méditerranéen et individualiste des pêcheurs et sur tout des pêcheurs âgés. Les embarcations sortent souvent 24 heures ou plus et les engins sont alors calés et relevés plusieurs fois. Les palangres et nasses utilisent l'allache comme appât. Celle-ci est chère (2 NF le kilogramme) et manque souvent. C'est le type de pêche le plus misérable et le plus artisanal, d'où son déclin rapide. Il semble qu'il ne subsistera que comme pêche d'appoint une fois l'actuelle génération éteinte.

La pêche sardinière est aujourd'hui la plus importante. Elle représente à Oran 10 embarcations (115 pêcheurs) et 19 à Mers-el- Kebir (142 pêcheurs). Elle est ici en léger déclin ; mais en fait c'est ce type de pêche qui se développe aujourd'hui le plus en Algérie (Nemours et Béni Saf).

Les embarcations sont : l'ancien sardinal demi-ponté (3 à 4 tonneaux) à Mers el-Kebir ; le lamparo (5 à 6 tonneaux), demi-ponté, utilisé surtout à Oran avec sa plate-forme arrière, la « popa mona », introduite par les réfugiés espagnols après 1936 ; la bonitière, type intermédiaire. L'embarcation d'avenir est le « ring-net » de 10 à 15 tonneaux, avec un moteur à mazout de 100 cv, pouvant transporter plus de 100 quintaux de poisson. Les filets qui ont donné leurs noms aux embarcations sont le sardinal, flottant et dérivant au courant, dont on choisit la taille des mailles pour que le poisson vienne s'y « mailled », pris par les ouïes; le lamparo flottant mais tournant qui encercle le banc ; surtout le ring-net qui ajoute à un vaste lamparo un cable coulissant à la partie inférieure qui, tiré rapidement, forme une poche d'où le poisson ne peut sortir. Ce filet, venu des Etats-Unis, est le plus efficace, mais son autorisation définitive a été longue à obtenir à cause des querelles suscitées par le conservatisme de certains (crainte d'effondrement des cours) et les intérêts particuliers de quelques-uns 7.

(7) Dieuzeide. .. Le ring-net et son utilisation à Chiffalo en 1930. 2eme fascicule de la « Station d'Agriculture et de pêche » de Castiglione

Le premier problème de la pêche sardinière est la recherche des bancs. Il est le plus mal résolu. Les bateaux rentrent souvent à vide. On se contente d'habitudes, ou de retourner là où on a trouvé un banc la veille. La pêche se pratique de nuit, au feu, la lumière attirant le banc. On cale ensuite le filet pour le capturer. Le poisson est vendu à la criée ou aux usines. L'utilisation du ring-net a permis, après des années de stagnation, d'augmenter la production et d'envisager son essor. Il améliore les gains des pêcheurs et l'alimentation des habitants et permet de faire tourner, au moins partiellement, les usines de conserve.

Enfin les thonidés, surtout la bonite, sont péchés dans les madragues, immenses filets fixés en forme de labyrinthe qui utilisent l'habitude de ces espèces de suivre le rivage : elles suivent la queue de la madrague et pénètrent dans le piège jusqu'à la chambre de mort où les pêcheurs, embarqués sur des barques, les assomment et vident le filet. Ces filets sont calés après autorisation individuelle. Il y en a actuellement (1960) une à Kristel (propriétaires oranais) , une à Canastel (propriétaires d'Arzeu) , une à la Pointe de L'Aiguille appartenant aux pêcheurs de Mers el-Kébir. Les pêcheurs sont des salariés intéressés à la pêche qui habitent au voisinage de la madrague, non des professionnels. Le rendement des madragues est très irrégulier. On pêche également les thonidés à la bonitière, filet piège moins important.

II — Aspects économiques.

Il convient avant d'aborder des questions touchant l'importance économique des pêcheries algériennes de ne pas oublier le milieu humain : un pays sous-alimenté, sous-employé, sous-financé. Nous voyons aussitôt qu'une activité marginale peut néanmoins présenter un intérêt sur deux plans au moins : le plan alimentaire et celui de l'emploi 8.

(8) Huetz de Lemps. Article cité, 1955. — Simonnet. Essai sur l'Economie des pêches maritimes en Algérie. Thèse économique. — Rapport sur l'activité des pêches maritimes dans le département d'Oran. 1959.

A) Le système de commercialisation.

Sur le plan économique se pose d'abord un problème de marché. Le poisson blanc et les crustacés se vendent frais, soit directement à la consommation, soit, et c'est là la voie normale, dans les halles à poisson dites criées et en particulier dans celle d'Oran qui attire le poisson frais de toute l'Oranie et même du Maroc.

On y trouve en effet un vaste marché de consommation urbain et un réseau commercial et routier permettant la distribution dans l'intérieur. Ainsi la criée d'Oran a traité environ 6 290 tonnes de poisson alors que la production des pêcheurs d'Oran n'était que de 1263 tonnes et celle de Mers el-Kebir de 771 tonnes. Il y a eu, en 1959, 1 114 tonnes importées du Maroc vendues à la criée d'Oran.

Le produit total de ces échanges a été de 12 millions 8 20 000 NF, soit un cours moyen du kilo vendu en gros ou à l'entrée dans les usines de conserve de 204 anciens francs. Sur ce produit 3 millions de nouveaux francs environ seulement venaient de la pêche à Oran et Mers el-Kébir. Le reste venait surtout de l'Oranie occidentale (Bou Zadjar, Nemours, Beni-Saf) et du Maroc, dans une moindre mesure d'Arzeu et de Mostaganem qui ont leurs criées municipales. Une fraction importante du poisson bleu (sardines surtout) était vendue hors pêcheries directement aux usines : 397 tonnes à Oran, soit un peu plus de 50 % de la production du poisson bleu, et environ 100 à Mers el-Kébir (15 % du poisson bleu).

La criée a lieu chaque matin à Oran de 5 h 45 à 7 h 15, laps de temps trop court ; mais les événements politiques ont interdit de la faire débuter dès 5 h comme cela serait souhaitable. Tous les quarts d'heure retentit une sonnerie, signal autorisant la vente d'une nouvelle catégorie de poisson. Cette réglementation est nécessaire pour que la criée puisse jouer son rôle de régulateur des prix. Le poisson est vendu par l'intermédiaire des mandataires dont les employés proposent le poisson qu'ils ont charge de vendre en criant les prix qu'ils désirent obtenir, en les faisant croître ou baisser selon le nombre et l'enthousiasme, ou le manque d'intérêt des acheteurs, dans une langue qui rappelle étrangement celle d'un commissaire-priseur.

Les mandataires (11 européens en majorité d'origine espagnole et 1 musulman) reçoivent un bénéfice forfaitaire de 5 % sur le prix de vente. La municipalité qui est propriétaire de la halle reçoit également 5 %. Les mandataires sont très souvent des armateurs qui possèdent plusieurs embarcations et vendent surtout le poisson péché par celles-ci.

Les acheteurs à la criée sont des mareyeurs ou des marchands. Parmi les mareyeurs, il convient de distinguer les grossistes qui achètent à Oran pour revendre aux marchands des villes à l'intérieur (Sidi Bel-Abbès par exemple). D'autres grossistes viennent d'un autre port, en général Nemours ou Beni-Saf en camionnette, espérant vendre mieux à Oran. Des demi-grossistes achètent à Oran et vont revendre eux-mêmes dans l'intérieur. Des marchands d'Oran viennent eux-mêmes acheter à la criée et revendent soit en boutiques (ils ont alors des frigos), soit sur les marchés (ce sont alors des glacières) fixes ou volants.

Le mareyeur qui revend en gros est libre de fixer lui-même son bénéfice. Celui qui revend au détail dans l'intérieur a droit à une prime de 5 centimes le kilo, à partir de 20 km, en plus du bénéfice autorisé pour les détaillants. Pour ceux-ci, la marge est fixée et varie de 30 centimes le kilo pour les poissons de la quatrième catégorie (sardines, allaches, bogues) à 1,20 NF le kilo pour ceux de la première catégorie. Elle est libre pour les espèces hors catégorie (lan gouste, sole, mérou, gros rouget de luxe). Les mareyeurs sont équipés de camionnettes ; les simples revendeurs, suivant leurs moyens, ont des camionnettes, des voitures à cheval... ou des petites carrioles à âne, qu'on voit attendre sur le quai Sainte-Marie à l'heure de la criée.

Quant au poisson vendu directement aux usines par les embarcations équipées de ring-net, le contrat passé avec les usines fixe son prix à 50 centimes le kilo ou 55 centimes s'il est livré en casiers. Ce taux est le plus souvent inférieur aux cours de la criée. Mais si les conserveries ne s'approvisionnaient qu'à la criée, les prix seraient beaucoup plus irréguliers selon la pêche. On les voyait ainsi, ces dernières années, monter, pour la sardine, jusqu'à plus de 3 NF le kilo l'hiver, puis descendre brusquement à 10, voire 5 centimes certains jours.

Les ring-nets peuvent vendre en frais un quart de leur pêche, plus le poisson refusé par les usines. Les embarcations munies d'autres types de filet sont libres de vendre à la criée ou aux usines. Les cours de la criée sont plus réguliers : environ 1 NF le kilo l'été, le double environ l'hiver.

B) Problèmes particuliers au poisson blanc.
L'appauvrissement des fonds

La production du poisson blanc et des crustacés avait sans cesse baissé depuis 20 ans : de plus de 10 000 tonnes (pour toute l'Algérie) à 7 000 tonnes en 1957. Elle a cependant augmenté à nouveau : 8 500 tonnes en 1958 et 9 500 tonnes en 1959.
Pendant le même temps le nombre des chalutiers, qui sont les gros fournisseurs, passait de 76 en 1939, 72 en 1940, à 152 en 1960. On se trouve donc en face d'une diminution très nette des rendements qui semble due à un appauvrissement des fonds déjà très réduits.

Ce sont en effet les mêmes zones qui sont exploitées chaque année. Le repos estival n'est pas suffisamment respecté, trop de cha lutiers, ceux d'Arzeu en particulier, profitant de l'autorisation de pêche en eaux internationales, qui devait les amener à pêcher la crevette par fonds supérieurs à 500m (grosse crevette rouge), mais qui n'hésitent pas à se rapprocher des côtes, détruisant le fretin.

Par ailleurs les méthodes de recherche du poisson n'ont pas varié. Le maître de pêches connaît « ses » fonds vers lesquels il dirige son chalutier, sans se soucier d'utiliser les méthodes modernes offertes par une technique en grand progrès Ceux qui essaient ces méthodes le font isolément et sans résultat appréciable. En janvier 1960, le « Théodore Tissier », de l'Institut scientifique technique des Pêches maritimes a mené une campagne d'tudes qui a conclu que la pêche chalutière ne devait pas être développée mais améliorée et orientée vers des fonds plus importants.

Le professeur Furras estime de même que l'avenir de la pêche au chalut est limité et que son rôle doit se borner à rechercher à approvisionner le marché local qui demande environ 18 000 tonnes de poisson blanc et est actuellement obligé d'importer du Maroc et de Tunisie.

Mais la difficulté est d'orienter les chalutiers vers les fonds profonds, donc la pêche à la crevette rouge. Or ceci nécessite une modernisation des méthodes de navigation et d'estime, donc une formation de marins ouverts aux techniques modernes. C'est le rôle des écoles d'apprentissage maritime. Or si celle ouverte à Nemours fournit des élèves à la pêche, celle d'Oran les dirige essentiellement vers le commerce.

De plus, pour pouvoir « chaluter » par grands fonds, il faut des chalutiers de fort tonnage, à moteurs puissants ce qui n'est pas du tout le cas pour ceux d'Oran. Il faut que tout nouveau chalutier armé soit d'un tonnage nettement supérieur à celui des chalutiers oranais : on doit contrôler cet armement futur.

Mais les armateurs et les pêcheurs ne verront l'intérêt de cette modernisation de la pêche par fonds profonds l'été que si la réglementation en vigueur est strictement appliquée. Ce n'est pas le cas du tout actuellement : les amendes sont faibles et beaucoup trop rares. Quelques casiers de beau poisson suffisent à les payer. On a trop besoin de poisson pour la consommation pour être trop sévère, prétend-on. C'est là une erreur qui est à la base de la rigidité de la production tandis que la demande croît et devient inélastique par rapport aux prix : un kilo de beau rouget se vend 10 NF ; la rascasse, 12 NF ; le mérou, 15 NF.

Mais la consommation des poissons est devenue nécessaire aux ménages et croît avec la population urbaine qui fait appel à la production étrangère. De plus, les armateurs qui sont trop nombreux pour une production constante se font concurrence et se placent dans une situation marginale, assurant des revenus modestes mais risquant d'être éliminés par suite d'importations à des cours nettement inférieurs à ceux qu'ils pratiquent.

Enfin on envisage la création de réserves où il serait interdit de pêcher pendant 4 ou 5 ans. Les pêcheurs prétendent que c'est impossible étant donnée l'exiguïté des fonds exploitables. Une telle mesure radicale, si elle est strictement appliquée, ne pourrait qu'avoir des effets bénéfiques, mais doit être accompagnée de mesures visant à contrôler l'armement, à réprimer les infractions, à encourager tout pas en avant.

C) Problèmes particuliers aux poissons bleus :
Les méthodes et leur influence sur les prix et l'approvisionnement des usines de conserve

Les problèmes économiques posés par la pêche des espèces migratrices sont tout autres. Il n'y a pas de risque d'appauvrissement des espèces. La production dépend donc des méthodes de capture utilisées. Celles qui sont préférables sont donc celles qui capturent la plus grande quantité car le poisson qui n'est pas péché est définitivement perdu.

Si on tombe sur un banc de 100 quintaux, un ring-net capturera 80 ou 90 quintaux, un lamparo 30 quintaux seulement. Les pêcheurs raisonnent trop souvent d'un autre point de vue, celui de leurs gains, et accusent les méthodes trop efficaces et en particulier le ring-net de jeter de trop grandes quantités de poisson sur le marché et de faire baisser les cours, mettant dans une situation défavorable les pêcheurs qui utilisent d'autres procédés.

La réglementation sur le ring-net leur donne pourtant satisfaction, semble-t-il, puisque l'arrêté du 16 janvier 1960 précise que ce filet est autorisé à titre expérimental à condition de fournir du poisson aux conserveries, sauf s'il n'est pas usinable ou si les apports en frais sont insuffisants. Mais les usines doivent accepter le poisson péché par d'autres méthodes à prix au moins égal et en quantité au moins égale à la moyenne des années 1952-1954.

Cette réglementation permet donc aux anciens lamparos et autres de vendre leur production à la criée où ils trouvent une moins forte concurrence, comme aux usines où ils trouvent des cours supérieurs à ceux offerts par contrat aux ring-nets.

En ce qui concerne les usines de conserve, un problème capital est la régularité de ces apports. Or la pêche sardinière est saisonnière et l'hiver les usines sont le plus souvent obligées de fermer. Il convient d'attendre pour savoir si le ring-net sera à même de régler ce problème.

Mais l'adoption du ring-net et la généralisation de son emploi ne constituent pas la complète solution des problèmes de la sardine. L'abondance de celle-ci varie, en effet, avec les conditions naturelles. Les crises temporaires n'impliquent nullement qu'elle se raréfie mais qu'elle apparaît en d'autres points. D'où l'intérêt de l'adoption de nouvelles méthodes de détection : (sondeur, phona). La sardine étant un poisson métérothermique, elle recherche des eaux à température convenable et il faut aller la chercher où elle se trouve. Il est donc nécessaire de généraliser les procédés les plus modernes et ceci suppose un effort de financement pour la reconversion des navires.

Ce n'est que sous ces conditions que la pêche sardinière augmentera de façon importante alors qu'elle est inférieure à 13 000 tonnes en 1959 (contre 150 000 tonnes en Italie et 100 000 tonnes en Espagne méditerranéenne). Elle pourrait subir un rapide essor en Algérie et prendre la même place que dans les autres pays méditerranéens, avec une production de plus de 50 000 tonnes et des usines qui travailleraient alors à un régime beaucoup plus rapide.

Reste le problème de la régularité des apports, qui varient avec la saison et la date (pêche au feu impossible par pleine lune). Il faut également que les embarcations s'équipent de moyens frigorifiques à bord.

Le ring-net a été autorisé à titre provisoire pour alimenter les usines de conserve et son développement appelle un accroissement corrélatif de la capacité d'absorption de celles-ci.

Les problèmes économiques des usines apparaissent donc directement liés à ceux de la pêche maritime. Celles-ci se trouvaient lors de la publication de l'arrêté de janvier 1960, réglementant les contrats à passer entre les armateurs de « ring-nets » et les usines, dans une situation catastrophique.

La production totale des usines était tombée de 550 000 caisses en 1952 à 55 000 en 1959. Les usines oranaise (Mers el-Kebir compris) ont toujours représenté la plus grande partie de ce chiffre : 60 % en 1959. Par contre, Oran n'a qu'un atelier de salaison ; encore celui-ci ne travaille-t-il pratiquement plus. La grosse production de produits de salaison vient de l'Ouest oranais (Nemours, Beni-Saf, Bou-Zadjar) mais est également ralentie par la raréfaction de l'anchois. La conserve de thon ne tient pas non plus une place très importante. Encore Oran est-elle la seule ville où elle soit pratiquée.

L'unique activité importante à Oran et Mers el-Kebir est donc la conserve de sardines qui a traité environ 750 tonnes en 1959 sur un peu plus de 1 200 tonnes pour toute l'Algérie. La production oranaise représente 34 000 caisses de 22,5 kg valant 5 500 f pièce.

Elle a été fournie par 6 usines dont les principales sont : les établissements Erbe (197 t en 1959) ; Honnorat (192 t en 1959) ; Cador (148 t en 1959) ; l'usine Blondelle (143 t) et les établissements Réassis (48 t en 1959). Une seule usine (Blondelle) est installée à Mers el- Kebir, les autres sont à Oran. Les établissements Honnorat se sont transportés de Mers el-Kebir à Oran. L'usine installée à Bou-Zadjar est venue à Oran en 1956.

Cette production tombée à un niveau très bas est liée à un problème de prix de revient. Les prix des usines oranaises sont compétitifs à l'échelle française, non par rapport aux conserves marocaines. Elles ont donc besoin d'être protégées en Algérie, où l'entrée des sardines marocaines est limitée. Mais elles sont bloquées en France par la concurrence marocaine et portugaise. Il semble que de gros progrès puissent être faits sur le marché algérien, surtout si une augmentation importante de la production permet une baisse corrélative des prix.
Mais cette augmentation de la production est liée aux problèmes d'approvisionnement.

La baisse de 1952 à 1959 est due à une baisse de production et à l'impossibilité dans laquelle se trouvaient les usines d'acheter la sardine à un prix pas trop élevé. Ainsi, en 1959, l'usine Honnorat a dû importer du Maroc la moitié de la matière première employée sous forme de congelé.

L'adoption de contrats passés avec les ring-nets a augmenté ces appâts en 1960 et a permis de régulariser les cours à 50, 55 centimes le kilo. On compte sur une production au moins doublée dans l'avenir, peut-être de 150 000 caisses. Mais ce chiffre est loin de correspondre à ce qui serait désirable. Il faudrait atteindre une production de l'ordre de celle de 1952 : (plus de 500 000 caisses) , ce qui nécessiterait une généralisation de l'emploi du ring-net et une amélioration des techniques de la pêche. L'été impose un impératif aux usines : être capables d'absorber les apports quels qu'ils soient. Sinon l'emploi du ring-net et la modernisation des méthodes de la pêche sardinière ne serviraient à rien. La conserverie ne doit pas se contenter de demander à cor et à cri la modernisation de la pêche si elle-même est incapable de se transformer. Mais actuellement les usines ne font aucun investissement, faute de disponibilités financières. Si le sertissage automatique et l'autoclave sont adoptés partout, seule l'usine Cador utilise les nouvelles machines automatiques IMC pour la cuisson des sardines.

Ce développement de la conserverie, outre ses conséquences sur celui de la pêche et son intérêt alimentaire, présente un intérêt certain sur le plan de l'emploi qui est capital en Algérie. Actuellement, les usines emploient 600 ou 700 ouvriers à Oran et Mers el-Kebir (sur 1 000 environ en Algérie) ; mais ce personnel est embauché au jour le jour et ne travaille qu'à 25 % à peine, soit 10 à 12 semaines par an. Etant donné le caractère de la pêche on ne peut atteindre un temps d'emploi à 100 %, mais une proportion de 60 % apparaît possible et souhaitable. Dans chaque usine quelques ouvriers seulement sont conservés toute l'année.

Les usines oranaises ont versé, en 1959, près de 1 million NF de salaires et de charges sociales (33 % environ), ce qui représente pour beaucoup de familles sinon des ressources principales puisqu'il s'agit d'un travail épisodique, du moins un appoint intéressant. De ce point de vue, il est infiniment souhaitable que les apports nouveaux de sardines permettent de donner à ces emplois une plus grande stabilité.

Le problème qui se pose aux usines de sardines oranaises est donc le même que celui des techniques de pêche : un effort de modernisation, une nécessité de voir grand. Actuellement elles ont plus un aspect d'ateliers artisanaux que de véritables établissements industriels.

III. — La vie des pêcheurs 9.

(9) Huetz de Lemps. Article cité. 1955. — Lacoste. Ouvrage cité. 1931. — Charpentier. De la reconstitution d'une marine indigène en Algérie, 1834.

A) Mentalité des pêcheurs.

Le premier aspect caractéristique de cette mentalité est le sentiment d'appartenir à un groupement humain qui, dans une grande mesure, ne s'est pas mêlé depuis plus d'un siècle.

Le pêcheur napolitain de Kebir ou espagnol d'Oran a conscience de faire partie d'un petit noyau qu'il considère comme une élite, et auquel il essaie de conserver toute sa pureté originelle.

C'est la raison pour laquelle il n'y eut longtemps aucun mariage mixte. On ne saurait affirmer qu'il n'y a que des pêcheurs d'origine espagnole à Oran ou napolitaine à Mers el-Kébir, bien que cette impression soit celle que donne un premier examen. Impression confirmée par les pêcheurs eux-mêmes qui prétendent avoir tous la même origine. Un pêcheur de Kébir nie la présence de collègues d'origine espagnole dans son port et l'inverse à Oran.

En fait, une grande majorité a dissout une petite minorité dans chacun de ces deux ports et l'usage de la langue du groupe majoritaire donne aujourd'hui cette impression d'unicité. Car ces pêcheurs, installés en Algérie depuis plus de cent ans continuent à parler entre eux italien ou espagnol. Et on est surpris au début, s'adressant à un pêcheur d'origine européenne dans le port d'Oran, de le voir se tourner vers un collègue musulman pour lui demander — en espagnol — s'il parle français et s'il peut répondre à sa place.
Ce simple fait, plusieurs fois remarqué, suffit à montrer combien ces noyaux de pêcheurs restent compacts et séparés du reste de la population — qui à Oran au moins a en grande majorité la même origine espagnole.

Ce sentiment de former un groupe à part est particulièrement net chez les pêcheurs de Kebir, d'origine napolitaine, qui se sentent davantage isolés au milieu d'une Oranie où les noms espagnols dominent largement. Il entraîne même une rivalité très nette et assez amusante parfois entre les pêcheurs d'Oran et de Mers el-Kébir. Les seconds se prétendent les seuls vrais pêcheurs ayant un sens inné de la pêche en mer, tandis que les premiers accusent les seconds d'être des paresseux et de manquer de courage. Une moue de mépris traverse le visage d'un pêcheur de l'une de ces communautés quand on lui parle de l'autre.

Au reste les pêcheurs d'Oran et de Mers el-Kebir ne réagissent pas du tout de la même façon vis-à-vis des méthodes nouvelles.

Les pêcheurs oranais sont beaucoup plus accessibles au progrès. Après 1936, ils ont adopté la popa mona, plate-forme construite à l'arrière des lamparos et facilitant le halage des filets. Ensuite ils ont été les premiers à expérimenter le ring-net en 1949 puis en 1957 et se sont maintenant presque tous lancés dans cette méthode comme dans l'emploi de la pêche au feu. C'est en grande partie grâce à eux, et dans une moindre mesure aux autres groupements de pêcheurs d'origine espagnole (Arzeu, Mostaganem) que l'Oranie doit d'être en avance dans ce domaine, d'avoir des embarcations qui sont capables d'aller pêcher plus loin.

Au contraire, les pêcheurs napolitains de Mers el-Kebir sont très routiniers et refusèrent longtemps toute nouveauté. Ils n'adoptèrent pas la popa mona, ou seulement avec vingt ans de retard. Ils luttèrent contre la pêche au feu, puis avec acharnement contre le ring-net. Heureusement, devant les succès remportés par ce dernier, quelques armateurs se sont lancés dans l'armement d'embarcations spéciales plus importantes (le Marc-Francis, puis l'Alain-Marcelle, le plus important sardinier d'Algérie en 1959 ; le Sainte-Marie et le France en 1960). Cette mentalité routinière des pêcheurs de Mers el-Kebir n'a pas que des caractéristiques négatives, en ce qui concerne la pêche : car les pêcheurs de Kebir sont les seuls à pratiquer toutes les méthodes choisissant au jour le jour, selon les conditions du moment. La bonitière, le sardinal en particulier ne sont plus guère utilisés que par eux. Et cette tendance à employer toujours les mêmes méthodes fait d'eux un groupement de pêcheurs qui ont le sens inné de la pêche, beaucoup plus que ceux d'Oran et certains n'hésitent pas à prédire un temps où les pêcheurs de Mers el-Kebir auront été délogés par l'Amirauté et réinstallés à Oran, constitueront avec leurs collègues de Chiffalo, également d'origine napolitaine, un des principaux groupes de pêcheurs européens d'Algérie pour la pêche à la sardine.

Pourtant les pêcheurs de Mers-el-Kebir ont la réputation d'être moins courageux face aux éléments que ceux d'Oran et il semble que cette réputation soit justifiée.

B) Comportement social et familial.

Si on note beaucoup de différence entre les pêcheurs d'Oran et de Mers el-Kebir dans le comportement professionnel, leurs habitudes sont beaucoup plus voisines sur le plan social et familial.

La vie en famille est devenue beaucoup plus importante qu'à l'origine où les pêcheurs ne vivaient qu'entre eux et ne rentraient chez eux qu'une fois par semaine. Mais aujourd'hui encore le pêcheur ne passe qu'une faible partie de sa journée en famille.

Ce phénomène est en grande partie dû au faible temps de sommeil qu'il prend. La pêche est en effet un métier accaparant. Le pêcheur qui sort le soir (vers 18 h) et rentre à l'aube (vers 6 h) doit alors s'occuper de décharger le poisson, de l'acheminer pour la vente, éventuellement de faire sécher ses filets (moins pour le ring-net que pour les anciens lamparos), de nettoyer le bateau. Ces activités lui prennent une grande partie de sa journée et il ne faut pas oublier celle qui demande le plus de temps : la réparation des filets.

De plus le pêcheur aime venir flâner au port, il discute avec des collègues, donne de temps à autre un coup de main pour hâler une embarcation à terre... et souvent se retrouve dans un de ces cafés qui bordent les ports de pêche et ont nom : Bar de la Douane, café du Sénégal, bar des navigateurs, etc.

Dans ces conditions, il ne reste que quelques heures à passer en famille : le temps de dormir et de prendre le repas de midi. Il semble qu'à Oran les pêcheurs préfèrent dormir dans la matinée et se livrer dans l'après-midi aux différents travaux d'entretien des bateaux et des filets ; et qu'à Mers el-Kebir ce soit plutôt l'inverse.

Le sens familial est pourtant très développé. Il faut voir avec quelle fierté un garçon de 10 ans parle de son père pêcheur ou de son oncle propriétaire d'une embarcation de travail. Les familles qui autrefois étaient très nombreuses sont revenues à des proportions plus modestes et voisines de la moyenne de la communauté européenne d'Algérie.

Les goûts de ces hommes qui mènent une vie rude sont restés modestes. En famille l'alimentation est toujours à base de poisson et on cherche à masquer l'uniformité de ce régime alimentaire par la diversité des modes de préparation: poisson bouilli, salé, frit, soupes de poisson, soufflés de poisson... De la viande deux fois par semaine seulement, des oignons, des pâtes, pas mal de fruits.

Leurs distractions sont modestes elles aussi : le tabac et le farniente au soleil. Pour les enfants, la plus grande distraction est une promenade en mer, mais l'Inscription maritime est féroce et interdit la présence à bord de toute personne non inscrite maritime et non portée sur le rôle.

Les pêcheurs et leurs familles ont aussi des habitudes, auxquelles ils sont très attachés, sur le plan social et religieux. Ils ont gardé un respect quasi-religieux pour les anciens. Chaque famille de pêcheurs de Mers el-Kébir a sa concession à perpétuité au cimetière. Ils sont également très chrétiens, ce qui n'est pas pour surprendre, étant donnée leur origine. Beaucoup d'embarcations ne pèchent pas le samedi soir. A Kebir la procession de la Fête-Dieu et la fête de Saint-Michel (19 septembre) sont de grandes cérémonies collectives où ils exhibent la statue achetée en 1884. Ils ont organisé une active confrérie de Saint-Michel.

Sur le plan syndical et corporatif, les syndicats ont été mis en veilleuse depuis les événements politiques. Il y a actuellement des comités régionaux des pêches maritimes composés d'armateurs, de membres de l'état-major et de l'équipage des bateaux désignés par les syndicats professionnels des catégories correspondantes représentant les différents genres de pêche pratiqués, ou par élection. Ils ont un rôle social, de gestion des coopératives, criée...

Il y a un comité régional à Mers el-Kebir et un à Oran qui a en outre la charge de Bou-Zadjar, composés de deux armateurs de chalutiers, de deux de pêche sardinière, deux membres d'équipage des chalutiers, deux des sardiniers et deux des petits métiers. Un comité interprofessionnel des pêches maritimes d'Algérie, composé en outre de représentants des usines de conserve et des mandataires et mareyeurs s'occupe de problèmes économiques et sociaux plus importants.

C) Niveau de vie.

Bien que d'évidence le mode de vie et les plaisirs des familles de pêcheurs soient modestes, il est difficile de se faire une idée précise de leur niveau de vie . Les pêcheurs sont très discrets, quand on les interroge sur ce sujet, et se contentent de répondre évasivement ou en affirmant que la pêche est le métier qui rapporte le moins. Les pêcheurs indigènes paraissent beaucoup plus contents de leur sort, surtout si on les interroge en été, époque où les gains sont les plus importants.

Car les gains des pêcheurs leur sont distribués à intervalles variables : quelques semaines ou seulement quelques jours sous forme de part des bénéfices réalisés sans aucune rémunération fixe. Il s'agit là d'une vieille coutume qui ne s'est pas du tout transformée à Oran ni à Mers-el-Kébir. Seuls les hommes travaillant sur les madragues perçoivent un fixe de l'ordre de 10 à 12 NF par jour, mais il s'agit d'indigènes recrutés sur place au jour le jour et dont beaucoup ne sont que des pêcheurs d'occasion pour la durée de la calaison de la madrague. Certains cherchent à s'embarquer, le reste de l'année sur les bateaux péchant la sardine. Dans d'autres ports, Arzeu entre autres, les pêcheurs de chalutiers reçoivent un fixe en plus d'une participation au bénéfice, mais cette méthode ne s'est pas développée à Oran.

Le système général est donc de déduire du produit de la pêche les frais généraux : mazout ou essence, réparations des filets, rôles, cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales. Ces frais généraux représentent une partie variable du produit de la pêche, qui pour un bateau sardinier, est peu importante en été mais dépasse parfois en hiver le produit de la pêche.

Le mazout coûte environ 250 NF par semaine pour un chalutier, 100 à 160 NF pour un lamparo, 200 à 250 NF pour un ring-net, selon la puissance du moteur. L'essence coûte 20 NF par semaine à un tramail, 10 NF à un palangrier environ.

Le rôle représente 13,75 % d'un salaire forfaitaire et sert à la constitution d'une provision pour le paiement de la retraite. Ce rôle est actuellement fixé, si le propriétaire n'est pas embarqué, à 2,30 NF par jour pour le capitaine, et 2,26 NF pour le mécanicien. Si le propriétaire est embarqué, son coût est nettement supérieur. Le coût des rôles représente donc environ 150 NF par semaine pour un lamparo, 200 à 250 pour un ring-net, 120 pour un chalutier. Les cotisations pour la sécurité sociale sont faites à un taux supérieur à celui des ouvriers d'industrie, car il s'agit d'un système analogue à celui de la « cotisation volontaire » des non salariés, et représentent environ 10 NF par semaine et par pêcheur. Enfin les allocations coûtent environ 10 NF par mois et par pêcheur.

Le bénéfice de la pêche ainsi calculé est réparti en deux parties. L'une revient au propriétaire qui est le plus souvent un embarqué. C'est en général un armateur bourgeois en contact étroit avec les milieux de la pêche mais non pêcheur lui-même, souvent mandataire à la criée d'Oran ou mareyeur. Ils possèdent souvent plusieurs bateaux. Ainsi à Mers el-Kebir les deux premiers ring-nets, le « Marc-Francis » et l' « Alain-Marcelle » appartenaient au même armateur. A Oran, le président du Comité social des Pêches, mandataire à la criée d'Oran, possède un des quatre chalutiers et deux lamparos péchant au ring-net. L'autre partie des bénéfices est distribuée entre les pêcheurs.

Les modalités de détail de la répartition des parts varient d'un type de pêche à un autre, d'un port à un autre, parfois d'un armateur à un autre.

Pour les chalutiers, on en est resté à la répartition par moitié du bénéfice entre le propriétaire et les pêcheurs. Ce taux semble très avantageux au propriétaire, puisque tous ses frais sont déduits et qu'il n'a que son capital à amortir, ce qui est généralement fait sur une longue période. Ce mode de répartition est sans doute à la base de la regrettable prolifération du nombre des chalutiers en Algérie entre 1940 et 1960. La seconde moitié est répartie entre les pêcheurs à égalité sauf le patron de pêche et le mécanicien qui perçoivent une demi part supplémentaire. L'armateur redistribue souvent une ou deux parts qu'il donne au patron de pêche (total deux parts et demi) et à son adjoint. Il lui reste donc environ 40 % du bénéfice.

Pour les lamparos, et les ring-nets, le partage est moins favorable au propriétaire qui ne recueille en général que 40 % (à Oran) ou 45 % (à Mers el-Kébir), ce qui révèle une lente évolution. Le propriétaire redistribue en général deux ou trois parts au capitaine (1/2), au patron de pêche (une part), au mécanicien (1/2 part) aux pêcheurs les plus méritants (1/2 part ou une part). Finalement la distribution laisse donc 30 % (à Oran), 35% (Mers el-Kébir) au propriétaire, et le reste (donc environ les 2/3) aux pêcheurs.

Le montant des parts est très variable selon les bateaux et les époques de l'année. La part hebdomadaire dépasse souvent 200 NF l'été, atteignant parfois 500 NF sur les ring-nets. Mais souvent elle est très faible, parfois nulle l'hiver pendant quatre semaines ou des mois. C'est ce qu'expliquent les pêcheurs quand on les questionne à ce sujet et il est très difficile de se faire une idée de la « part annuelle ». Il semble qu'elle était de l'ordre de 3 500 N F sur les anciens lamparos et qu'elle doive être de l'ordre de 6 000 NF sur les ring-nets en 1960 en légère augmentation sur les anciens lamparos, les cours moyens ayant augmenté à la criée où les ring-nets ne fournissent qu'1/4 de leur pêche.

La pêche sardinière fournit donc au simple pêcheur un salaire mensuel moyen de 300 à 500 NF par mois, semble-t-il, à Oran et Mers el-Kebir, nettement supérieur à celui des ports situés plus à l'ouest : Nemours, Béni Saf , Bou Zadjar, et très irrégulièrement réparti entre les saisons et même entre les années, ce qui oblige les pêcheurs à être prudents et économes.

Pour les petits métiers, le mode de répartition est variable. Les modes de répartition sont souvent simplifiés du fait qu'il s'agit souvent d'embarcation familiale, ou même d'un seul pêcheur. Le bateau reçoit en général deux parts, le patron et ses marins une part chacun, le novice 3/4 de part, le mousse 1/2 part. Ces dernières distinctions ne sont pas faites toujours, en particulier à Mers el-Kébir.

Il semble que ce type de pêche soit le plus misérable, bien que ce soit celui pour lequel les renseignements sont les plus difficiles à obtenir, car on se heurte à l'absence de statistiques et à la discrétion des pêcheurs. Mais cette pêche, si elle rapporte du poisson cher (souvent plus de 10 NF le kilogramme), le rapporte par petites quantités De plus les pêcheurs subissent souvent la concurrence des plaisanciers, qui pèchent au palangre, à la palangrote, sont plus nombreux et parfois mieux outillés (bien que cet outillage leur soit réglementé) que les professionnels, fréquentent les coins qu'ils connaissent ou ceux des professionnels, troquent le produit de leur pêche qu'ils n'ont pas le droit de vendre. Elle est souvent pratiquée par de vieux pêcheurs retraités.

La retraite est versée au pêcheur ayant atteint 55 ans et ayant 20 ans de pratique de la pêche. Ils peuvent encore exercer leur activité après cet âge. Ils peuvent percevoir leur retraite à 50 ans mais dans ce cas, ne peuvent embarquer pendant une période de cinq ans. Le montant de la retraite varie selon la catégorie. Celle-ci dépend elle-même du temps de pratique et de la qualification professionnelle du pêcheur. Elle est, par exemple, environ de 7 NF par jour pour la troisième catégorie (simple pêcheur), 12 NF pour la sixième catégorie (pêcheur ayant acquis une spécialisation), mécanicien ou maît re de pêche), 18 NF par jour pour la neuvième catégorie (pêcheurs très qualifiés).

Les revenus des pêcheurs sont donc modestes. Ils sont souvent complétés par ceux de leurs femmes qui exercent une activité salariée au moins à temps partiel. Elles s'embauchent peu dans les usines de conserve dont les ouvrières n'ont en général aucun rapport avec la pêche, mais font plutôt des métiers assez pénibles : domestiques, blanchissage, le plus souvent nettoyage de bureaux ou d'écoles, le matin ou le soir : soit environ 2 heures par jour, pour un salaire de 1,20 à 1,50 NF l'heure, ce qui rapporte environ 60 ou 70 NF par mois.

Dans la mesure où les chiffres obtenus sont valables, on peut conclure que le niveau de vie actuel des pêcheurs d'Oran et de Mers-el-Kebir est faible, mais non misérable et que les modes de pêche les plus rémunérateurs pour le pêcheur sont le chalutage et le ring-net ; le lamparo vient ensuite ; enfin les petits métiers.

Les Européens se détournent souvent de la pêche, travaillant au port de commerce ou aux travaux de construction de la base de Mers el-Kebir ou se plaçant comme fonctionnaires. La pêche perd ainsi des éléments parmi les meilleurs.

Du point de vue de l'armateur, le ring-net sur les grosses embarcations nouvelles, malgré un capital investi de 50 à 100.000 NF semble le plus rémunérateur. Le chalutage qui laisse pourtant une grosse part à l'armateur, l'est moins, étant donnée l'importance du capital investi, environ vingt millions.

C) Les pêcheurs indigènes.

Lorsque nous avons décrit la mentalité et les coutumes des pêcheurs, nous n'avons mentionné que les pêcheurs d'origine européenne, italienne ou espagnole.

Nous savons qu'il n'y a pratiquement pas de pêcheurs d'origine métropolitaine. Mais l'élément indigène tient une place de plus en plus grande. Sans qu'il soit possible de fournir une statistique précise, on peut dire que la proportion des pêcheurs musulmans a considéra blement augmenté : de 420 en 1930, ils sont plus de 2 000 en 1960, sur un total presque constant de 5 000 pêcheurs.

S'ils sont particulièrement nombreux dans l'Ouest Oranais, et dans une moindre mesure dans les Kabylies, ils sont en nombre croissant à Oran et Mers el-Kebir. Pour 1954, M. Huetz de Lemps ne les évaluait qu'à 5 % des pêcheurs d'Oran et 10 % de ceux de Mers-el-Kebir, chiffres qui paraissent très faibles et qu'on aimerait pouvoir vérifier.

Aujourd'hui les pêcheurs musulmans sont très peu nombreux sur les chalutiers oranais (peut-être 10 % du personnel) qui cherchent à éviter de les embaucher, comme dans les petits métiers, genre de pêche qui demande une expérience particulière et ne peut être pratiquée d'emblée avec succès. Par contre sur les lamparos et les ring-nets, ils sont devenus la majorité, les pêcheurs européens ne conservant que les postes de commande (capitaines, maîtres de pêche...) .

Encore y a-t-il dans les eaux du port d'Oran, plusieurs lamparos venus de Nemours ou de Béni Saf qui viennent « tâter » la sardine avant ou après la saison à l'anchois, exclusivement équipés par des musulmans. La proportion des musulmans sur les lamparos et sur les ring-nets atteint 75 % environ à Oran et Mers el-Kebir.

Enfin, nous avons vu que ce sont des musulmans embauchés sur place qui fournissent la main-d'oeuvre nécessaire aux madragues. Comme ces deux derniers types de pêche occupent 53 % des pêcheurs et 69 % de ceux de Mers el-Kébir, c'est environ la moitié des pêcheurs de ces deux ports qui est musulmane. Et cette proportion ne fait que croître, corrélativement aux départs des pêcheurs européens qui cherchent des métiers moins rudes et plus rémunérateurs, et abandonnent la pêche sardinière aux musulmans.

Pour ceux-ci, la pêche constitue une activité intéressante, réduisant le chômage permanent qui sévit comme dans toute l'Algérie et procurant des revenus qui, pour eux, sont assez importants. On peut prévoir que ce mouvement ne s'arrêtera pas et se généralisera dans d'autres ports.

Il apparaît en effet, à la lumière du développement récent des pêcheries des indigènes, que ceux-ci, aptes aux métiers les plus rudes, sont parfaitement capables de devenir d'excellents pêcheurs. Leur spécialisation et qualification est plus difficile, car la pêche demande un certain atavisme. Mais l'ensemble des ports de l'ouest oranais prouve que les musulmans peuvent également former de très corrects capitaines ou maîtres de pêche, et pêcheurs de chalutiers. Leur adaptation à la pêche aux petits métiers est plus discutable, étant donnée la longue pratique que celle-ci nécessite, mais ce genre de pêche est appellé à devenir celui des retraités.

Dans leur formation professionnelle, un rôle important doit rêvenir aux écoles professionnelles, d'autant plus qu'ils se révèlent très adaptables au progrès, n'étant pas marqués par une vieille pratique selon des méthodes routinières, mais ils doivent être poussés. Il est souhaitable à cet égard qu'une école de pêche, semblable à celle qui fonctionne à Nemours, soit ouverte le plus rapidement possible à Oran (elle est en projet) et soit surtout orientée vers l'apprentissage des techniques les plus modernes, plus que vers un enseignement théorique général inutile pour les futurs pêcheurs.

D) Les quartiers de pêcheurs.

Les pêcheurs, jaloux de leur originalité, ont longtemps eu leurs quartiers où ils vivaient séparés du reste de la population. Les quartiers de la vieille ville sur la rive gauche du Ras el Aïn (la Marine, la Calère, le quartier Saint Louis), abritaient 13 260 européens en 1856, soit 78 % de la population enropéenne, essentiellement espagnole et en grande partie formé de marins, de pêcheurs, de marchands de poisson, de dockers...

Cette proportion décrût avec le développement de la ville, les Espagnols allant habiter dans tous les quartiers, et se mêlant facilement aux mulsumans. En 1930, 15 % seulement de la population européenne soit 16 500 personnes, habitait la vieille ville. Les éléments d'origine italienne s'y étaient installés dans leur majorité eux aussi dans les années de la fin du siècle, mais n'y restèrent pas tous non plus.

A Mers el-Kebir, de même, le noyau original de pêcheurs napolitains, quand il se fixa, s'installa à Saint André de Mers-el-Kebir, qui eut un essor rapide de 1842 à 1846. Mais la proportion des pêcheurs dans la population, stabilisée à 40 % de 1900 à 1930, a fortement baissé : 15 % en 1948, et 7 % environ aujourd'hui.

Quant au noyau italien, il a été submergé par la population d'origine espagnole, exerçant d'autres activités que la pêche, et maintenant c'est l'élément musulman qui est devenu le plus important : 60 % de la population, dans cette commune de 12 000 habitants dont les 2/3 sont originaires du Maroc espagnol, qui se placent comme manoeuvres ou ouvriers ou parfois comme pêcheurs.

Aujourd'hui à Oran, il y a encore un quartier dit de pêcheurs (La Calère) et des quartiers où résident des pêcheurs européens (La Marine, Saint-Louis) ou indigènes (Les Planteurs, La Vieille Kasbah). La Calère, est certainement le plus pittoresque. Ce petit quartier construit sur un terrain en très forte pente qui ne laisse qu'une seule issue possible : la descente vers la rue de l'Arsenal et le quartier de la Marine qui s'étend en contre-bas. Cette descente s'effectue le long de ruelles de deux mètres de large environ, en escalier, construites selon la ligne de plus grande pente, dans lesquelles débouchent des ruelles perpendiculaires. Aucune voie carrossable sauf à la périphérie : rue de l'Arsenal en bas, place Weldsford en haut.

Les ruelles étroites donnent une impression de saleté et de misère. Les eaux souillées circulent au milieu, comme dans nos villes médiévales. De temps en temps, à un carrefour, une pompe à eau rappelle que l'eau courante n'existe pas. Des vêtements séchant au soleil apparaissent partout. Des femmes font la lessive dans la ruelle même, dans une bassine qu'on transporte à bras. De vieilles femmes, vêtues de noir tricotent ou bavardent, assises sur une chaise ou sur le pas de la porte.

La première impression est celle d'une misère profonde. Mais on apprend que la plupart des maisons possèdent l'électricité et, sinon le gaz courant, le gaz en bouteille. On aperçoit des intérieurs qui ne sont pas misérables. Et un coup d'oeil d'un point de vue élevé sur l'ensemble du quartier révèle, sur les terrases plates des maisons, à côté des nasses et des filets, de nombreuses antennes de télévision. Une visite, un samedi soir ou un dimanche après-midi, permettra de voir plu sieurs jeunes filles vêtues de robe de grande confection et de chaussures achetées dans un des plus grands magasins de la ville, dont les prix ne le cèdent en rien aux maisons les plus célèbres de Paris.

Ce quartier de la Calère a longtemps été presque exclusivement un quartier espagnol, le quartier des pêcheurs par excellence. Mais depuis vingt ans, les Européens voient chaque jour arriver de nou velles familles musulmanes, surtout dans la partie haute du quartier, et ils se ressèrent en bas, près de la Marine, et surtout au Nord. Les Musulmans sont maintenant environ la moitié. Quant aux Européens, ils ne sont plus tous pêcheurs. Mais le quartier a gardé l'aspect qu'aurait un vieux quartier misérable d'une ville espagnole. Les noms de rues sont là, — outre les femmes vêtues de noir, et la langue espagnole presque seule parlée, — pour rappeler cette origine : rue de Madrid, de Malaga, d'Alicante, d'Almeria, rappelant en particulier les principales provinces de départ.

Les quartiers de la Marine et de Saint-Louis, sont moins pittoresques. Le quartier de la Marine s'étend au pied de la Calère entre celle-ci, l'hôpital Baudens, la place de la République et le vieux Port vers lequel se dirigent les principales artères : rue de l'Arsenal, rue Haute d'Orléans, rue Charles Quint, rue Ximenès. Toutes les voies se dirigent vers le port de pêche. Celui-ci doit en fait partager le bassin de 4,16 hectares qu'est le Vieux Port avec le port de plaisance. Ce dernier s'est surtout étendu sur le quai Nord, le quai Sud restant le domaine de la pêche avec ses chalutiers à l'Est, puis les lamparos et les petits métiers rangés perpendiculairement aux petits moles, donc parallèlement au quai. Vers le Sud, le quartier de la Marine se prolonge par le quartier Saint-Louis, que domine un joli minaret, et qui compte l'hôpital Baudens.

Ces deux quartiers ont un aspect très différent de celui de la Calère : voies plus larges, pente moins forte. Au hasard d'une rue, une rampe en fer forgé et les fenêtres à balcons travaillés rappellent pourtant les villes espagnoles. Mais ici la population est beaucoup plus mélangée encore du point de vue professionnel. Certes les pêcheurs sont encore nombreux et les professions maritimes dominent comme le prouve le nombre des travailleurs, vêtus du pantalon et de la veste bleus, de la casquette noire des marins. Comme l'indiquent aussi les noms de boutiques de la rue commerçante : la rue d'Orléans. Les trois boulangeries s'appellent : la boulangerie maritime, la boulangerie de la marine, la boulangerie du port. Le café s'appelle Nautic-Bar et le restaurant est « napoletano ». Il n'est pas jusqu'au coiffeur qui ne soit intitulé Nautic-Salon ou jusqu'aux magasins de vêtements baptisés: « Aux nouveautés de la Marine ». Les noms sont le plus souvent d'origine espagnole, et cette langue est très souvent parlée. Mais ce fait est beaucoup moins marquant qu'à la Calère, et on rencontre aussi beaucoup de noms d'origine italienne.

Les pêcheurs musulmans d'Oran habitent les quartiers indigènes, en particulier celui des Planteurs et de la Vieille Casbah, situés audessus de la Vieille ville européenne, sur la rive gauche du Ras-el-Aïn. Beaucoup habitent aussi la Calère où ils sont de plus en plus nombreux, parfois aussi la Marine. Oran est, en 1960, une des villes d'Algérie où la ségrégation par quartiers est la moins nette, phénomène dû à l'origine espagnole de sa population, semble-t-il, qui a mieux accepté à l'origine le voisinage avec les musulmans. Les pêcheurs de l'Ouest oranais, venus provisoirement pêcher dans les eaux d'Oran, sans leur famille, louent à 4, 6 ou plus des chambres où ils vivent dans des conditions voisines de celles des ouvriers Algériens en France.

Cette évolution subie par les anciens quartiers de pêcheurs d'Oran est encore plus nette à Mers-el-Kebir. Car Saint André n'était au début qu'un port de pêche. Aujourd'hui, le petit port de pêche apparaît bien peu de chose au milieu de la vaste enceinte de la base navale et son existence même est contestée par cette dernière.

L'Amirauté voudrait le déplacer et on doit envisager son transport à Oran plutôt qu'à Bou Zadjar, essentiellement musulman et où les investissements pour la construction d'un port paraissent trop élevés. Saint-André est construit au pied du Santon, dans l'axe du ravin Khelidja, contre la butte des briquetteries. C'est aujourd'hui un village en tas avec un modeste boulevard du front de mer, groupant restaurants et cafés aux noms évoquant souvent son activité maritime. L'aménagement de la base navale transforme la commune, avec ses installations souterraines, ses terrains réservés, son port, ses travaux avec pontons et chalands, ses vastes bassins, le « non edificand » qu'elle impose à la commune.

De l'artère principale qui longe la mer, partent des rues d'importance variable, grimpant souvent à l'aide d'escaliers. Seules les maisons situées en bordure de la rue principale, du côté de la mer, rappellent par leur construction sur pilotis du côté aval que ce village a été créé par des pêcheurs. En fait ces pilotis sont devenus inutiles car on a beaucoup gagné sur la mer.

Au pied de Saint-André, à l'extrémité d'un de ces terrains gagnés et entouré de barbelés, s'étend le port de pêche. Des vieilles barques hors d'usage, les embarcations de la madrague de l'Aiguille et quel ques bateaux de pêche sont halés sur un terre-plein maçonné. Les ring-nets sont accostés vers la droite du quai terrestre, les lamparos, et les bonitières et autres sont accostés vers la gauche. Le long de la jetée qui protège ce petit port du large, les palangriers et quelques bonitières. Ce port n'est actif que le soir, au départ des sardiniers, et à l'aube à leur rentrée.

Aujourd'hui les Européens habitent surtout Saint-André (2 300 habitants parmi lesquels le tiers des Européens de la commune, environ 1.600), en particulier des pêcheurs. On les rencontre aussi sur le plateau Saint Michel et à Sainte Clotilde.

Les Musulmans habitent plutôt les terrains Andréoli et Molinari, Saint-Jérôme, le Vieux Port, le plateau Saint Georges où les pêcheurs sont nombreux. Ces quartiers sont de véritables bidonvilles.

IV. — En guise de conclusion
Perspectives d'avenir

Nous avons souligné en exposant les aspects économiques de la pêche, que celle-ci pouvait présenter un intérêt sur d'autres plans que celui de l'économie pure : en particulier sur le plan social (emploi) et sur le plan alimentaire.

La pêche apparaît en effet actuellement, ainsi que les industries qui en dérivent, comme étant dans une situation marginale. Elle a peine à faire vivre les pêcheurs des groupements traditionnels et les usines ne peuvent employer, donc payer, leur personnel que moins de trois mois par an.

On serait vite amené, considérant la stabilité du nombre des pêcheurs depuis plusieurs dizaines d'années en Algérie, leur baisse au contraire continuelle à Oran et Mers el-Kebir, à prédire que ce déclin continuera et qu'il est souhaitable. (Oran et Mers-el-Kebir constituèrent longtemps les plus grands noyaux de pêcheurs d'Algérie mais ne représentent que 9 % des pêcheurs rapportant 19 % du tonnage pêché) .
En fait, la pêche algérienne, et celle d'Oran et de Mers el-Kebir en particulier, n'a pas abattu toutes ses cartes.

Comme nous l'avons vu, l'avenir du chalutage est limité par l'exiguité des plateformes chalutables dans les eaux algériennes, et celui-ci ne peut avoir de but plus ambitieux que de satisfaire à la de mande intérieure, aujourd'hui obligée de faire appel aux importations : (des chalutiers espagnols mouillent fréquemment dans le port d'Oran). Il doit pourtant essayer de fournir du poisson frais à des prix plus raisonnables que ceux qui sont actuellement pratiqués : 1 000 francs pour le rouget, 1 200 pour la rascasse, 1 500 pour le mérou ou la sole...

Mais pour atteindre cet objectif limité, il faut que le chalutage se modernise, se tourne vers les fonds importants l'été, à la recherche de la crevette rouge, et que les armateurs entreprennent la création d'une flotte de chalutiers puissants, munis d'installations frigorifiques, employant des procédés de détection modernes et scientifiques, qui puissent aller pratiquer la pêche dans les eaux de l'Atlantique, partant pour plusieurs semaines.

La pêche au poisson bleu se trouve dans une situation d'avenir plus favorable. Face à un marché intérieur très vaste et pas encore complètement exploré, elle peut augmenter considérablement sa production. Pour cela elle doit employer les procédés de capture les plus efficaces ; le ring-net actuellement ; et elle doit elle aussi se transformer en une flotte de gros bateaux sardiniers équipés d'une vingtaine d'hommes, au moins aussi importants que les nouveaux ring-nets, pourvus d'installations frigorifiques capables de sortir plus d'une nuit et d'aller chercher le poisson assez loin, en le détectant scientifiquement, au lieu de se contenter de fréquenter le voisinage des côtes et de revenir toujours sur les mêmes lieux.

Ce développement de la flotte sardinière doit aller de pair avec la modernisation et le développement des usines de conserve, qui devront absorber la plus grande partie des apports supplémentaires. De ce point de vue Oran et Mers-el-Kebir sont placés provisoirement dans une situation particulièrement favorable, grâce à la présence de la majorité des usines de conserve, qui leur a permis d'employer les premiers le ring-net, très peu utilisé sur le reste des côtes algériennes, et qui leur a permis également d'armer les premiers bateaux sardiniers importants.

Mais cette situation ne peut qu'être provisoire, et freiner le déclin de ces deux ports de pêche par rapport aux ports indigènes de l'ouest oranais ou à des ports plus dynamiques comme Chiffalo, pour la pêche sardinière, et La Calle, pour le chalutage.

En tous cas, une augmentation très nette de la production sardinière est possible, ici comme dans le reste de l'Algérie. Mais cette augmentation est liée à la possibilité des usines, de produire à des prix compétitifs sur le plan algérien et sur le plan français — ce qui n'est pas le cas actuellement — et ce qui suppose une augmentation de la production importante et une modernisation. On peut douter que les usines oranaises, à direction timorée et à caractère artisanal, puissent produire cet effort. Mais d'autres les remplaceront peut-être.

Quant à l'atelier de salaison, il est en voie de disparition rapide, ruiné par la libération des échanges, par suite de ses coûts élevés. La même crise grave semble toucher ceux de Nemours et de Béni Saf, beaucoup plus importants.

L'avenir des pêcheries d'Oran et de Mers-el-Kebir, reste donc incertain. Pourtant son développement est souhaitable, du point de vue de l'emploi. Ce sont en effet les musulmans qui prennent aujourd'hui les places laissées vacantes par les pêcheurs d'origine espagnole ou italienne. Et pour la communauté musulmane cette nouvelle activité entraînera un développement du nombre des emplois.

Enfin du point de vue alimentaire, la pêche fournit une nourriture supplémentaire, surtout une nourriture riche en protéines, ce dont l'Algérie a particulièrement besoin. Il est donc souhaitable que les pêcheries et les usines de conserve puissent fournir des quantités importantes de poisson à l'Algérie et surtout aux musulmans de l'intérieur, qui ont encore été très peu touchés par les produits de la mer, mais qui peuvent l'être grâce aux conserves.
Pierre. MERLIN.
(Eté 1960).

" Les pêcheurs de Mers-el-Kébir ". In : Méditerranée, 4e année, N°4, 1963. pp. 27-54. doi : 10.3406/medit.1963.1099

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medit_0025-8296_1963_num_4_4_1099

NDLR

De cette remarquable étude, il convient de moduler quelque peu certaines déclarations de son auteur : 1/ Il est très étonnant que les pêcheurs d'origine espagnole aient eu besoin, en 1960, d'un interprète musulman, pour dialoguer avec des " français ".
Ce genre de rencontre, pouvait sans doute concerner un " nouveau venu " ou un réfugié espagnol qui avait fui le régime de Franco. Pour les autres, qu'ils aient gardé l'habitude de converser dans la langue de leurs ancêtres est certain ; mais qu'ils fussent incapables de répondre en français, me semble bien improbable. Cette affirmation est à relativiser car elle expose un cas qui a dû exister, mais qui surtout à cette époque, était loin d'être une généralité.

2/ Employer le mot de " ségrégation " est abusif. Il sous entend clairement un racisme confinant à l'apartheid sud africain.
Il faut rappeler qu'en 1832, il y avait à Oran, 2876 israélites, 730 européens et 250 musulmans ; en 1833, 2900 israélites, 1050 européens et 350 musulmans ; et que dès la fin de 1835 les espagnols étaient plus nombreux que les français de souche.
Il n'y eut donc pas de refoulement de l'élément musulman puisqu'il était, dès le départ, fortement minoritaire dans cette ville.
Quant à la séparation des communautés, lorsqu'elle a existé, elle fut le fait aussi bien des européens que des musulmans qui répugnaient souvent à cotoyer des " infidèles ".
Qu'il y eut une " ségrégation " sociale, c'est évident et c'est la réalité de toutes les grandes agglomérations dans le monde.

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Mis en ligne le 1er mai 2014

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