Vous oubliez que nous sommes vos frères !

Comme vous, nous sommes nés sur le sol sacré de la France. Le sein de la même mère nous a portés ; la même nourrice nous a allaités; nous avons bégayé les mêmes accents ; nous parlons la même langue; nous sommes les camarades de votre enfance, les amis de 1847, votre jeunesse ; nous nous sommes formés aux mêmes écoles ; nous avons travaillé dans les mêmes ateliers, labouré les mêmes champs, combattu sous le même drapeau !

Nous sommes Français comme vous. Nous avons le même amour pour la patrie et pour ses lois ; nous sommes aussi jaloux de ses libertés et aussi fiers de sa gloire !... Et cependant voilà quinze ans que vous nous abandonnez à l'oppression ; voilà quinze ans que, sans garanties, sans institutions, déchus de nos droits civils et politiques, nous gémissons sur une terre que nous avons voulu rendre française et où nous sommes traités en peuple conquis !

Accourus sur ces bords à la suite de notre bannière, nous nous enorgueillissions de féconder, par de pacifiques labeurs, les travaux ensanglantés de notre brave armée, d'implanter dans cette contrée nos mœurs, nos lois, notre nationalité. Pour prix de notre concours à cette noble entreprise, sommes-nous déshérités à jamais des institutions protectrices de la mère-patrie, sommes-nous rayés de la grande famille ?

Dans tous les temps, les états jaloux de leur grandeur, ont octroyé des franchises et des privilèges à ceux de leurs citoyens qui consentaient à aller habiter une province nouvellement conquise. Vous-mêmes, vous accordez aux colonies occidentales la triste faculté d'avoir des esclaves. Nous, nous demandons l'abolition de l'esclavage pour tous les hommes et pour nous-mêmes. Nous ne voulons qu'obéir à vos lois, jouir de vos droits, les partager avec tous les hommes, quels que soient leur pays ou leur race, dignes d'être adoptés par notre nation, réputée généreuse et libérale.

Et ce vœu est ici traité de séditieux, et malheur à notre presse bâillonnée, si elle osait l'exprimer !

Citoyens d'une monarchie représentative, nous sommes condamnés à rester des ilotes politiques, gouvernés par des commis, administrés par des soldats.

Ils ont poussé le dédain jusqu'à feindre de ne pas pouvoir trouver dans nos villes douze habitants dignes de former un conseil municipal !

Il ne leur a pas suffi de nous priver de tout droit de citoyen, ils foulent aux pieds le Code vénéré de nos lois civiles. L'arbitraire des Pachas ne peut plus satisfaire leur avare tyrannie; ils ont décrété, sous une forme hypocrite, la spoliation générale de nos biens, et pour vous empêcher d'entendre nos plaintes, ils emplissent de leurs calomniés les feuilles qui leur sont ouvertes et celles dont ils ont surpris la bonne foi. Ils comptent disposer ainsi à leur gré d'une large curée pour la corruption.

Ce régime monstrueux a porté ses fruits : les murs d'Alger sont couverts de placards annonçant la faillite de nos négociants ; Blidah, jeune ville à peine fondée, est mise aux enchères par expropriation forcée ; vingt villages vont périr de misère; la culture, pour laquelle nous avons fait des efforts et des sacrifices qui n'ont jamais été appréciés, va retomber dans l'abandon. Les fertiles champs de l'Afrique ne peuvent donner au cultivateur un juste salaire ; ils nourrissaient Rome au temps de sa puissance, une imprévoyante consigne leur interdit désormais de produire une gerbe de blé ; et, pour comble de calamité, ce qui ne périt pas par l'effet direct du brutal désordre de nos gouvernants, est dévoré par l'absentéisme et par l'usure.

Français, nos concitoyens et nos frères, ne réservez pas toutes vos larmes pour l'Irlande et toute votre douloureuse indignation pour la Pologne. Les malheurs de l'Irlande, les odieux abus du despotisme sont plus près de vous, et des étrangers n'en sont pas les seules victimes !

Français de tous les partis, hommes honnêtes de tous les rangs, qui aimez les institutions et les lois de la patrie, qui avez foi dans leur influence sur le bonheur des hommes, avant de penser à les propager dans les états de l'Europe, n'en déshéritez pas ceux d'entre vous à qui, sur une terre de votre empire, on n'a laissé de Français que le nom et que le cœur ; et si vous ne nous secourez par confraternité et par compassion, que cela soit du moins pour vous épargner d'éternels sacrifices d'or et de sang, et la honte que ferait rejaillir sur nous tous l'avortement d'une entreprise qui devait faire la gloire de notre époque et l'honneur de L'humanité.

Délibéré à Alger, en séance de la Commission Algérienne, et adopté à l'unanimité, le 30 octobre 1846.
Références :
Par délégation, Les Membres du Bureau de la Commission :
MM. le Baron DE VIALAR, Président.
Comte DE FRANCLIEU, ROZEY,
C. CITATI, Trésorier.
ALEXIS BELLY,
MlLUOT DE VERNOUX,
Vices-Présidents.
Secrétaires.

Nota. L'Autorité Algérienne justifie de nouveau l'accusation des colons de bâillonner la presse locale.
L'imprimeur d'Alger à qui la Commission avait confié le tirage de cette adresse, vient de la prévenir par lettre qu'il ne pouvait la lui livrer, défense lui en ayant été faite au moment même où il effectuait le dépôt des exemplaires prescrit par la loi.
L'affaire va probablement être déférée aux tribunaux.

VERSAILLES, IMPRIMERIE DE KLEFER, PLACE D'ARMES, 17, Maison des Gondoles

Source: gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK8-402

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Mis en ligne le 20 décembre 2011

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