Envoyé par M. Christian Graille
Fausseté des assertions

Quand, il y a deux ans, a été prêchée la première grande croisade contre la colonisation, l'indigène était proclamé le paysan par excellence de l'Algérie :
- seul, il pouvait, disait-on, se livrer à un travail continu sous une température élevée,
- seul, il produisait les matières dont le commerce s'alimente,
- seul il payait des impôts et fournissait des soldats, en atténuation des charges de la mère patrie.

Le colon, au contraire, ne travaillait pas, il succombait sous l'insalubrité du climat, et, après des sacrifices énormes imposés au budget, une humiliante négation couronnait tous ses efforts stériles. Aussi, ajoutait-on, n'était-il pas nécessaire de combattre la colonisation ; il suffisait de ne pas intervenir et de la laisser tout simplement continuer à se liquider elle-même.
Pendant que l'auteur anonyme de l'Algérie française (indigènes et immigrants) présentait les résultats de son observation personnelle comme des vérités d'Évangile et les faisait recommander aux méditations du Chef de l'État, les Comptes rendus officiels de la situation de l'Algérie, pour la même année, établissaient l'authenticité des faits suivants :

Mortalité dans les communes de plein exercice (1)

Colons : Excédents des naissances sur les décès, 2.743 (2)
Indigènes : Excédents des décès sur les naissances, 2.396 (3)

(1) L'État civil n'est tenu que dans les communes de plein exercice et administrées par l'autorité civile. Ces communes, au nombre de 71 aujourd'hui, et comprenant plusieurs centres de population, comptaient en 1862 : Européens : 204.877 Indigènes : 358.760. En 1863 les Européens atteignaient 213.061 âmes (chiffre officiel) et en 1865, leur nombre dépasse 225.000. (
2) Depuis dix ans, les naissances ont toujours dépassé les décès chez les colons. Donc, l'acclimatation des Européens en Algérie n'est pas douteuse. (
3) Quoique, par nos soins, les indigènes de l'Algérie, depuis 1830, aient été préservés des famines et des épidémies de peste qui, antérieurement et périodiquement, exerçaient de grands ravages dans les tribus, tous les recensements indiquent des diminutions dans les populations qui habitent la tente.
Cultures en céréales et récoltes

Colons : Par tête, 1 hectare 50 ares cultivés et 11 hectolitres récoltés.
Indigènes : Par tête, 0 hectare 61 ares cultivés et 3 hectolitres 90 centilitres Récoltés.

Productions totales de l'année (1862)

Colons : Par tête, 419 francs
Indigènes : 67 francs, 83 centimes

Richesse totale, mobilière et immobilière (4)


Colons : par tête, 2.845 francs
Indigènes : 724 francs
(4) La richesse mobilière et immobilière des colons urbains, beaucoup plus considérable que celle des colons ruraux, n'est pas comprise dans ces chiffres. On se borne à la comparaison de la richesse des cultivateurs entre eux.

Impôts de toutes natures

Colons : Par tête, 85 fr.15 centimes (5)
Indigènes : id 7 francs, 70 centimes
(5) Dans tous les écrits des adversaires de la colonisation, les colons sont réputés exempts d'impôts parce que l'État les exonère des contributions directes, et on ne tient aucun compte des contributions indirectes et des lourdes taxes municipales et départementales qui les atteignent.
(Voir Tableau de la situation des établissements français dans l'Algérie ; Paris 1863, et l'Algérie devant l'opinion publique, par le docteur A. Warnier. Alger, 1864).

Création de centres, villes, bourgs et villages
(de 1830 à 1862)

Colons : plus de 300 centres, dont 186 sont constitués en communes de plein exercice.
Indigènes : Ils ont abandonné, pour la plupart, les maisons que les ouvriers européens avaient construites pour eux, le Gouvernement ayant cru pouvoir imposer la dépense d'une habitation fixe aux Arabes des grandes tentes de quelques tribus, dans l'espoir de les rendre sédentaires.
Peines et dépenses perdues !!!!

Développement commercial

En 1830, Indigènes livrés à eux-mêmes : 5.000.000 francs
En 1862, avec le concours des colons (valeurs officielles) : 228.000.000 francs
Valeurs actuelles : 247.939.780 francs

Développement industriel

Indigènes : Rien.
Colons : En1862, la petite industrie, seulement, a livré au commerce pour 36 millions de produits.
Telle était la réponse que les documents officiels faisaient aux adversaires de la colonisation européenne, apologistes fanatiques de la virtualité des indigènes.

Pris en flagrant délit d'erreur matérielle calculée, nos contradicteurs changent de thèse aujourd'hui, ce qui leur est facile, leurs écrits étant toujours anonymes. Obligés de s'incliner devant l'évidence de faits démontrant mathématiquement que la puissance du colon est décuple de celle de l'indigène, ils nous disent :
Les Arabes sont très malheureux sous notre domination, et au lieu de rechercher les causes vraies de leur misère, ils l'attribuent à la colonisation, et voici comment ils motivent leur acte d'accusation :
- On a pris aux indigènes leurs meilleures terres de culture,
- on les empêche d'utiliser les forêts pour la nourriture de leurs troupeaux,
- aujourd'hui, faute de terres, ils sont obligés de louer, à très haut prix, les propriétés dont ils étaient jadis les maîtres,
- l'impôt les écrase,
- Ils paient à l'usure une somme d'intérêt quadruple de l'impôt,
- Ils entretiennent les colons, à raison de 50 francs par an et par tête, dans la province d'Alger, et à raison de 28 francs dans la province d'Oran. Et comme preuve confirmant la culpabilité de la colonisation, on ajoute que le bien-être des indigènes a diminué en raison de leur rapprochement avec les Européens.

J'ai démontré, sommairement, mais par des chiffres authentiques, la fausseté de toutes les assertions antérieures qui représentaient l'indigène comme le vrai paysan de l'Algérie et le colon comme une superfétation stérile ; j'espère contredire non moins victorieusement les nouvelles accusations qui se produisent aujourd'hui.
On a, dit-on, pris aux indigènes leurs meilleures terres de culture.
Examinons ce premier grief.
D'abord, les colons n'ont jamais pris de terres. Celles qu'ils possèdent aujourd'hui, (700.000 hectares au maximum), proviennent légalement :
- 1° soit de concessions faites par l'État (environ 500.000 hectares) et réputées à tort gratuites, car elles n'ont été consenties que moyennant une rente annuelle et avec beaucoup de charges ;
- 2° soit d'acquisitions librement offertes par les indigènes (200.000 hectares environ) et constatées par des actes notariés, avec perception, au profit de l'État, de droit de mutation et d'enregistrement.

Puis, ces terres étaient loin d'être les meilleures, car plus de la moitié était en palmiers nains, dont le défrichement coûte de 300 à 500 francs l'hectare ;
le quart en marais pestilentiels dont l'assainissement a coûté aux colons beaucoup plus que de gros sacrifices d'argent (a) ; et le reste, (175.000 hectares au maximum), en partie épuisés par un excès de production antérieure ou à purger des broussailles ou des plantes parasites que la charrue arabe respectait, mais qui eussent cassé, brisé les charrues perfectionnées des Européens.

Entre les mains des colons, ces terres sont devenues les meilleures du pays, c'est vrai, mais ce résultat a été acquis par le travail persévérant et opiniâtre du pionnier de la colonisation, de l'ouvrier européen car, en général, les indigènes ne sont pas assez forts, en raison de leur mauvaise nourriture, pour se livrer au travail pénible des défrichements.
Au maximum, la colonisation, en l'an de grâce 1865, avec tout son développement, n'a encore privé les indigènes que de 175.000 hectares utilisables par leurs procédés de culture.
Ceux d'entre eux qui ont vendu possèdent en argent monnayé l'équivalent de leurs terres. On ne demande sans doute pas que les colons, après les avoir payées, les restituent à leurs anciens propriétaires. Quant aux terres provenant du domaine de l'État, et concédées à rente aux colons, on me permettra bien de croire qu'elles n'ont pas été spoliées, et que leur affectation à la colonisation n'a porté préjudice à aucun indigène, car le domaine turc, avant nous, les réservait pour ses propres besoins (6).
(6) L'Administration des Domaines est souvent accusée d'avoir inscrit sur ses sommiers des terres qu'elle aurait dû, dit-on, abandonner aux détenteurs indigènes.
De deux choses l'une cependant : ou ces terres étaient domaniales ou elles ne l'étaient pas.
- Dans le premier cas, on ne peut accuser une administration publique de remplir son devoir.
- Dans le second, il n'y avait qu'à produire des titres établissant l'affectation privée de la terre.
Toujours, il y a eu des tribunaux en Algérie et des fonctionnaires supérieurs assez dévoués aux intérêts indigènes, pour faire respecter leurs droits.

L'affectation a changé, je le veux bien, mais l'État était parfaitement libre, au lieu d'avoir des terres pour l'entretien de sa cavalerie, de ses troupeaux, ainsi que pour la solde de ses fonctionnaires de donner la préférence à tout autre mode d'administration de son domaine.
Aujourd'hui, comme sous les Turcs,(7) ces mêmes terres, quoique devenues propriétés privées, fournissent encore aux troupes la viande de leurs rations, à la cavalerie le foin de ses chevaux, enfin leur part contributive de la solde des agents du gouvernement.
(7) Les Turcs percevaient l'impôt en nature sur les troupeaux ; ils possédaient de nombreuses bêtes de somme pour leurs transports, des chevaux pour leur cavalerie régulière et irrégulière ; de grands parcours leur étaient nécessaires pour l'entretien de ces animaux. De plus, une terre ou une ferme était affectée à chaque fonction publique.
Si ces terres avaient été délaissées aux indigènes, ce qu'eussent voulu les adversaires de la colonisation, nos soldats mangeraient non de la viande, mais de la carne, notre cavalerie tirerait d'Europe ses foins et ses avoines, et, pour couronnement d'une situation aussi précaire, l'armée entière, comme aux premiers jours de l'occupation, serait annuellement décimée par les maladies dont la cessation est exclusivement due aux travaux d'assainissement des colons, au bien-être matériel et moral qu'ils ont introduit dans l'existence de tous, même des ingrats qui les combattent à outrance.

Tout cela est de la plus éclatante évidence, mais quand la passion aveugle des hommes, ils nient même la lumière. Aurait-il fallu priver notre armée des bienfaits de la colonisation, pour conserver aux indigènes les 175.000 hectares utilisables par eux dans 700.000 aujourd'hui au pouvoir des colons !
Voyons donc quelle perturbation a été apportée dans la vie des indigènes par la distraction légitime de ces 700.000 hectares
Le Tell, c'est-à-dire la partie cultivable de l'Algérie au moyen des pluies hivernales, comprend 14 millions d'hectares, et, sur cette vaste superficie, il y a 2.261.848 indigènes y compris les Maures des villes.
La lettre de l'Empereur au duc de Malakoff, en date du 3 février 1863, décompose ainsi le domaine agricole du Tell algérien :
- Forêts 4.800.000 hectares
- Terres cultivables à l'État 890.000 hectares
- Terres cultivables aux colons 20.000 hectares
- Terres cultivables aux indigènes 2.000.000 hectares
- Terres incultes (marais, lacs, rivières, landes) 890.000 hectares

D'après ces chiffres les deux tiers du Tell algérien sont incultes. C'est un point important et à retenir. De la superficie totale il y a à défalquer :
700.000 hectares propriétés des colons.
550.000 hectares de forêts, propriétés de l'État, soumis au régime forestier et dont moitié environ sont affermés à des Européens, à long bail et à charges d'aménagement.
1.250.000 hectares en tout.

Reste à la disposition des indigènes une superficie de 12.750.000 hectares.

Mais parmi les indigènes du Tell, il y a 800.000 Berbères sédentaires constitués en communes, possédant le sol à titre privé, le cultivant comme en France, n'ayant en moyenne que trois hectares par tête, communaux et non-valeurss compris, et satisfaits de cette propriété restreinte, pourvu qu'on la respecte, ce à quoi l'administration française a toujours religieusement veillé.

Défalcation faite de la propriété berbère, reste donc 10.350.000 hectares pour 1.461.848 Arabes ou Berbères arabisés, habitant la tente, ne connaissant que la culture pastorale, c'est-à-dire la culture qui se borne à récolter les fruits spontanés de la terre, sans la cultiver ou très peu.
Or, 10.350.000 hectares divisés entre 1.461.848 habitants donnent par tête 7 hectares 8 ares.
En sus d'un lot aussi considérable dans le Tell, les tribus arabes ou berbères arabisées de la limite du Tell et du Sahara possèdent encore un droit de parcours illimité dans la zone limitrophe des steppes sahariennes, d'une étendue superficielle de cinq millions d'hectares et l'une des plus belles régions de pacages connues dans le monde comparables mêmes aux riches pampas de l'Amérique.

Et c'est au nom des gens auxquels le sénatus-consulte de 1863 garantit la propriété incommutable d'une aussi grande richesse territoriale qu'on crie à la spoliation ; parce que, en trente-cinq années, l'État a disposé, en faveur de la colonisation, de 500.000 hectares lui appartenant au même titre que les millions trouvés en 1830 dans la kasbah d'Alger.

C'est au nom des tribus qui usent et abusent de la terre, en la traitant en marâtre, qu'on demande au gouvernement de rendre la propriété indigène incessible et inaliénable pendant plusieurs générations, et d'entourer de plus de formalités restrictives le droit d'expropriation pour cause d'utilité publique, parce que, en trente-cinq ans, les colons ont pu, par des achats réguliers aux indigènes ajouter 200.000 hectares à ceux dont l'État a dû, dans son propre intérêt, se dessaisir en leur faveur !

On peut juger du préjudice fait aux tribus par la colonisation, sur les points où elle a atteint son plus grand développement :
- dans la Mitidja , pour la province d'Alger
- dans le triangle compris entre Oran, Mascara et Mostaganem, pour la province d'Oran,
- autour de Bône, de Philippeville, de Constantine, dans la province de Constantine.

Dans la plaine de la Mitidja, avant 1830, il y avait cinq grandes tribus : Isser, Khachna, Beni-Mouça, Beni-Khelil, Hadjout. Ces cinq tribus existent encore, et bien qu'une vingtaine de communes françaises aient été créées dans leurs anciens périmètres, elles ont encore de la terre à vendre, car si la liberté des transactions existait, on les verrait assaillir les études de notaires pour y trouver des acquéreurs.

Dans le triangle colonisé de la province d'Oran, il y avait avant la conquête six tribus : Douaïr, Zmala, Abid-Gharaba, Abid-Cheraga. Bordjia et Medjéher. Ces six tribus sont encore sur place.
Avant que ce territoire fût colonisé, je l'ai parcouru pendant plusieurs années, dans toutes les directions, et souvent je marchais une demi-journée sans y rencontrer un douar.
La colonisation, là, s'est bornée à combler des vides dans des terres généralement vaines et vagues et appartenant toutes à l'État ou ayant été rendues domaniales, par voie d'échanges, quand elles étaient propriétés privées.

Dans la province de Constantine, on a colonisé exclusivement dans le domaine de l'État, et le territoire d'aucune tribu n'a été atteint par le développement colonial. Loin de là, sur ce même domaine de l'État, on a fait de larges concessions aux indigènes, dans une proportion qui dépassera bientôt la part faite aux Européens.

La colonisation n'a donc, jusqu'à ce jour, porté aucun trouble sérieux dans la vie des indigènes. Prétendre le contraire, c'est calomnier le gouvernement et l'administration.

Quant à l'accusation d'avoir pris aux indigènes leurs meilleures terres de culture, on est étonné qu'elle ait pu se produire sous un souverain qui " veut l'apaisement des rivalités entre le système qui pousse à l'extension de la colonisation européenne, et celui qui défend les droits sacrés des indigènes. "

Aussi espérons-nous, avec la plus grande confiance, que l'Empereur saura mettre fin à une lutte déplorable, en conciliant réellement les intérêts de tous.
Avant les travaux des colons, étaient couverts de palmiers nains :
- Tout le Sahel, entre Oran et Mostaganem.
- Tout le Sahel, de Cherchell à Dellys.
- Tout le versant de l'Atlas, au sud de la Mitidja.
- Les environs de Philippeville, en dehors de la vallée de Safsaf.
- Le Sahel entre Bône et Guelma.

Aujourd'hui de nombreux villages couvrent ces terres dont les indigènes ne tiraient aucun parti.
Etaient marais :
- La partie Nord de la plaine de Tlelat.
Les 21.000 hectares de la Mecta et de l'Habra, vendus l'année dernière, à charge de consacrer 4 millions à leur assainissement.
- Toute la région centrale de la Mitidja, du lac Alloula au Hamis.
- La Regaïa.
- L'embouchure de l'oued Corso.
- L'embouchure de l'Isser.
- La plaine de Bougie.
- La partie inférieure de la vallée de la Safsaf.
- Le bassin du Hamma (la fièvre), sous Constantine.
- Toute la plaine de Bône, entre le lac Fezzara et les lacs de La Calle.

Tous ces marais pestilentiels n'étaient antérieurement d'aucune utilité réelle pour les indigènes : des myriades de moustiques seules les habitaient, et quand des troupeaux, contraints par la famine, s'en approchaient, leurs peaux étaient tellement criblées qu'il était impossible de les tanner, et leur sang tellement empoisonné que les plus belles hélas étaient atteintes par la pourriture du foie en moins de quelques mois.

Aujourd'hui, ces marais assainis donnent à la colonisation européenne ses plus riches terres de culture. Là se trouvent, entre autres, Boufarik et Oued-el-Aleug, dont l'Empereur a tant admiré la magnificence de végétation.

Les colons ont donc conquis les champs qu'ils fécondent, non sur les meilleures terres de culture des indigènes, mais sur des espaces abandonnés par eux.


L'Algérie devant l'Empereur par le Dr Warnier,
Officier de la Légion d'honneur,
Médecin militaire en retraite,
Membre de la commission scientifique de l'Algérie,
Ancien Directeur des Affaires Civiles de la province d'Oran,
Ancien membre du conseil du gouvernement de l'Algérie.
Édition 1865

Un grand merci à J.P Bartolini http://piednoir.net/bone/titre_rubrique/infos_diverses/mise_a_jour/maj194.html

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Mis en ligne le 16 août 2019

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