Voici donc un épisode de la vie rêvée de colon. Les "exploiteurs" sont partis, la famine est restée.

En 1880, la terrible misère qui sévissait dans le désert algérien fit que la disette poussa vers le Nord les tribus nomades du Sahara, qui attaquèrent les Européens en profitant de la désorganisation militaire française dans le Sud oranais, sans faire de distinction entre les Français et les Espagnols, et ces derniers furent les plus touchés.

Le massacre
Le 11 juin 1881, les hommes du marabout Mohamed el-Arbi, connu sous le nom de Abou-Améma, attaquèrent par surprise des centaines de journaliers qui récoltaient l'alfa dans les champs oranais de Khalfalla et Frendah, près de Saïda. Malgré s'être défendus avec leurs houes, des bâtons et des pierres, beaucoup de ces ouvriers agricoles furent torturés, égorgés et leurs femmes furent violées. Selon un premier bilan, les habitants des douars tuèrent plus d'une centaine d'Espagnols, en capturèrent quelque 600 et pillèrent fermes et villages. Avant de se retirer dans les montagnes, ils mirent le feu aux champs détruisant des milliers de tonnes d'alfa. Ceux qui échappèrent au massacre se réfugièrent à Saïda :
"Le matin du 12 juin -raconte un correspondant du journal " La Ilustración Española y Americana "- les Espagnols qui avaient eu la chance d'échapper à cette horrible hécatombe arrivèrent dans la ville presque sans défense ; hommes, femmes, enfants, en grand nombre blessés et tous dans un état déplorable, pénétrèrent dans les fortifications par le presbytère, lançant des cris de douleur qui déchiraient le cœur des habitant effarés ; enfin, ces derniers, pris d'une incontrôlable panique, abandonnèrent leurs tranquilles demeures pour se précipiter en désordre dans les rues, et coururent eux aussi chercher refuge dans les barbacanes armées de canons du fortin".
Les pertes furent vraiment importantes et, malgré la réaction rapide des Français pour garantir la sécurité des colons et porter secours aux sinistrés, ils ne purent contenir l'exode des travailleurs espagnols qui s'empressèrent de demander leur rapatriement. Encore en proie à la peur, ils gagnèrent la Péninsule à bord du premier bateau qui leur tombait sous la main, fût-ce un fragile bateau de pêche ou l'un des bateaux-courrier d'Alicante et de Carthagène. Près de 9.000 Espagnols revinrent dans leur patrie entre le 11 et le 22 juin 1881.

La presse espagnole et plus particulièrement La Ilustración, se référant au "sanglant outrage dont ont été victimes les colons espagnols de la région d'Oran, de la part des tribus africaines commandées par le chef rebelle Abou-Améma", attribue ces faits au soulèvement à Sfax (Tunisie), "théâtre de sanglants tumultes››, des tribus insurgées qui "pillèrent les demeures des étrangers et de ceux de leurs compatriotes qu'ils tenaient pour sympathisants de la France", provoquant la révolte des tribus du désert oranais "sous le commandement du marabout Sidi-Abou-Améma-el-Moghari, c'est à dire de Moghar, qui se mit à prêcher la guerre sainte contre les chrétiens. Les tribus des Ahrar-Cheragas, une partie de celle de Hamyans et presque toutes celle de Teraffi prirent les armes et se précipitèrent sur le champ de bataille. "
Cette attaque fut précédée par les assassinats du commandant français de la place forte de Géryville, du lieutenant Weinbrenner et de quatre de ses hommes quand ils s`apprêtaient à arrêter l'un des fanatiques de la guerre sainte qui excitait les habitants du douar de Djerramma, appartenant à la tribu des Chéragas. Ces crimes furent le point de départ qui déclencha les hostilités.

Les hordes féroces de Abou-Améma assiégèrent Géryville. Les généraux Cerez et Osmond organisèrent une importante colonne et en donnèrent le commandement au général Collingnon, qui atteignit Géryville le 12 mai. Quelques jours après, un grand nombre d'insurgés berbères se positionna sur les hauteurs de Djebel-Dahram, et attaqua une nouvelle colonne française qui se dirigeait vers le champ de bataille.
Elle était commandée par le général Innocenti, qui, attaqué par surprise en chemin, souffrit d'importantes pertes, et fut obligé de battre en retraite pour se mettre à l'abri à Géryville.
"Le féroce marabout se retrouvant maître du champ de bataille et encouragé par cette première victoire, commença ses rapides et cruelles incursions à travers la région d'Oran, sur une étendue de plus de 200 lieues dans le vaste cercle que formaient les villes de Aflu, El-Bedha, Frendah, Saïda et le Tell, tuant, outrageant, dévastant tout ce qu'il rencontrait sur son passage" (. _ .) " Les travailleurs des champs et des usines étaient assassinés, les femmes outragées, les bâtiments pillés et incendiés", écrivait à cette époque La Ilustración.

Abou-Améma
Les émigrés espagnols des champs de sparte oranais se souviendront à jamais d'Ebou-Améma ou Bou-Améma comme le chef des tribus responsables des assassinats de Saïda et son nom sera toujours prononcé avec douleur par les veuves et les malheureux orphelins de ce massacre.
À Oran, où il avait vécu pendant sept ans, certains des rapatriés espagnols le connaissaient sous le nom de Bo-Hamana, qui veut dire roi ou père des turbans (dans le dialecte oranais). D'après l'orientaliste français et Comte de Rociad-Dahdah, le nom de ce courageux mais féroce et sanguinaire capitaine signifie : Abou, père, et Améma, femme tranquille et discrète, ce qui veut dire qu'il avait encore ou qu'il avait eu une fille appelée Améma, qu'elle se distinguait par certaines qualités personnelles : sa beauté, sa vertu, son talent... et que le marabout Abou-Améma était fier de porter son nom : père de Améma.

Abou-Améma se souleva contre les Français pour les exterminer " en invoquant une ancienne prophétie africaine qui annonçait la défaite des infidèles cinquante ans après l'usurpation de l'Algérie et en proclamant la guerre sainte pour parvenir à ce que cette prédiction s'accomplisse ".

Un correspondant franco-algérien écrivit que presque toutes les victimes du massacre de Saïda furent des " Espagnols venus des provinces de la côte orientale et du Levant, arrivés en quête d'un travail dans la récolte de l'alpha et qui, par ce travail, augmentaient chacun d'eux la richesse de l'Algérie de 6 000 francs annuels ".
Juan Ramon Roca - Espagnols en Algérie - Mémoire d'une émigration

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Mis en ligne le 19 novembre 2017

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