En 1830, les troupes françaises prennent Alger. C'est le début de la colonisation de ce vaste territoire outre-Méditerranée. Jusqu'à la fin des années 1950, la France y développe les villages et les villes, les écoles, les infrastructures routières et ferroviaires, le réseau sanitaire, l'économie et les banques, les activités industrielles et agricoles. La cohabitation entre Européens (Français, mais aussi Espagnols, Portugais, Italiens, etc) et autochtones s'installe clans l'insouciance. Le XXe siècle va mettre un terme à cette douceur de vivre. (1) Au fil des décennies, le fossé se creuse entre autochtones (2) et Européens.

Les premiers heurts ont lieu en 1945, à Sétif et Guelma, à l'occasion de la célébration de la victoire des Alliés. La tension ne va cesser d'augmenter. La guerre éclate en 1954 et va durer 8 ans, entre partisans de l'OAS (Organisation Armée Secrète) voulant que l''Algerie reste française, et ceux du FLN (Front de Libération Nationale) pro-indépendantistes. (3)

Les accords d'Evian sont signés en mars 1962 mais le climat de terreur et de tuerie se poursuit, alors que des milliers de Pieds-Noirs tentent de fuir ce pays embrasé, par bateau ou par avion. De janvier à avril 1962, 68 000 Français quittent ainsi l'Algérie ; 101 000 en mai, 355 000 en juin... Fin 1962, l'Algérie s'est vidée de plus de 90 % de sa population européenne. " On part à la hâte vers la métropole, lieu d'exil plus que patrie retrouvée ", explique Jean-Jacques Jordi, historien marseillais spécialiste de la question. " Il ne suffit pas cependant de vouloir partir, il s'agit de savoir comment ".

Liliane Grotti, née Gomez, aujourd'hui installée à Marseille, témoigne (*) :

" Juin 1962, Oran. J'avais 19 ans ; je n'avais jamais quitté l'Algérie. Il nous a fallu deux jours et deux nuits pour traverser la Méditerranée. Le commandant du cargo " Le Normandie " était un homme merveilleux, il n'y avait pas beaucoup à manger, mais il a fait de son mieux.
Pour tenir le coup, nous avons bu pas mal de Viandox chaud. Il n'y avait pas suffisamment de toilettes pour tout le monde, alors les hommes se sont mis au boulot : ils ont fabriqué des toilettes rudimentaires avec du bois, posées directement au-dessus de la mer".

L'accueil, dans les ports de Marseille, Sète, Toulon et Nice notamment, est glacial. Les continentaux sont au mieux indifférents, au pire hostiles au débarquement de ces 800 000 compatriotes. Qui plus est, les services administratifs chargés de l'accueil sont très mal organisés et totalement submergés. 450 000 Pieds-Noirs débarquent à Marseille entre mai et septembre 1962.

Des cités entières sont réquisitionnées à Marseille (comme La Rouguière, flambant neuve, dans le 11e arrondissement) pour les héberger temporairement.
Beaucoup sont envoyés dans telle ville ou tel village, un peu partout dans la Sud (et en moins grand nombre plus au Nord et à Paris), en fonction da leur profession. A Carnoux (qui devient " la " ville des Pieds-Noirs en Provence) dans les Bouches-du-Rhône, à Cucuron dans le Vaucluse, à Lyon dans le Rhône, à Marmande dans le Lot-et-Garonne... Pour tous, il s'agit de se reconstruire.

" En janvier 1963, sa souvient Yves Del Medico, aujourd'hui a Hyères [*], j'ai réussi à trouver du travail a Orléans, comme technico-commercial. Les clients prospectés me demandaient : " avec votre accent, vous vendiez des tapis en Algérie ? ". Pas d'amis, pas de famille, inconnu sur toute la ligne. Jai eu ma revanche en travaillant dur ".

Anna-Maria Benois, aujourd'hui a Arles (*), se souvient de l'été 1962 :

" Nous voila arrivés à Aubais (Gard) dans une petite maison, fatigués, désespérés, essayant de nous organiser tant bien que mal. Pendant des mois, nous avons hébergé famille, amis, voisins, en attendant que chacun trouve enfin un endroit, une ville où s'établir. L'accueil fut d'abord froid, et petit à petit, nous recevions couvertures, linge, casseroles. Pendant l'été, mon père et un ami ont préparé merguez et brochettes pour la fête du village, à la plus grande surprise des habitants. La glace s'est rompue progressivement. Puis nous avons atterri à Arles où papa, cheminot, a été muté en 1963. Dans cette ville inconnue, le déracinement se faisait de plus en plus sentir. Les années ont passé, mais la reconstruction n'a jamais été totale ".

1964. Les vagues d'arrivée des Pieds-Noirs sur le continent s'estompant. 0n compta alors 263 500 rapatriés en Paca, soit le, quart de l'ensemble. Ils représentent 14,8 % de la population des Alpes-Maritimes, 13 % de celle des Bouches-du-Rhône et 10,5 % de celle du Var.
Laurent Leonard

Paru dans " La Provence " Hors série- "années 60 en Provence "N°-1019-Septembre 2012
[ *] Ces témoignages et beaucoup d'autres, ainsi que des dizaines de photos inédites, sont à retrouver dans nos deux hors-séries : Pieds-Noirs, " 1945-1962, de l'insouciance à la déchirure " [2, 70€] et " 1962, la cruel retour " [3,50€], en vente dans notre boutique internet htto://boutique.laprovence.com

NDLR :
(1) la prétendue " douceur de vivre " est un mythe qui tendrait à montrer la facilité de l'existence du Pieds-Noirs profiteur, jouissant du revenu de ses rentes.
Si les conditions de vie des Européens d'Algérie étaient globalement meilleures que celle des arabo-berbères, elles n'avaient rien de facile. Elles étaient conditionnées par un investissement laborieux et se traduisaient par des plaisirs peu couteux et des joies simples.
Rappelons que leur niveau de vie était de 20 % inférieur à ceux de métropolitains.

(2) Les Pieds-Noirs sont aussi des " autochtones ", depuis quatre générations.

(3) La guerre n'a pas opposé " pendant 8 ans " l'OAS et le FLN. L'OAS a été créée en février 1961 à Madrid (soit 7 ans après le déclenchement de la rébellion) et ne sera opérationnelle qu'à partir du mois de mai 1961. Ses actions se poursuivront jusqu'à juin 1962. L'OAS sera en lutte contre le FLN, les Barbouzes et contre les autorités françaises.

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Mis en ligne le 09 nov 2011

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