Au sujet du massacre d'Oran, le journal Le Monde fut tout en nuance. Avec une prudence qui n'était pas d'ordinaire sa marque de fabrique lorsqu'il dénonçaitavec ferveur des " ratonnades " et les " exactions des tueurs de l'OAS ", Il tergiversa, se posa des questions sur qui; hasarda des hypothèses sur l'origine des tirs; il resta dans le vague en prenant soin toute fois de mentionner le sérieux des A.T.O.
Même si les évènements récents rendaient difficile les remontées d'information fiables, Il faut toute de même noter que le prestigieux journal alla à la pêche aux infos sur l'étal de L'Agence France Presse et de l'United Press International, organismes connus pour leur impartialité légendaire.
Bref Le Monde restait flou dans un monde devenu fou.

Violente fusillade dans une ville en fête
Le Monde Publié le 06 juillet 1962 à 00h00, mis à jour le 06 juillet 1962 à 00h00

Oran, 5 juillet (U.P.I.). - Entre midi et 13 heures des coups de feu ont été tirés dans le centre de la ville européenne d'Oran au moment ou plusieurs centaines de musulmans défilaient en cortège. Les rares Européens qui se trouvaient dans les rues se sont réfugiés dans les immeubles les plus proches.

Des policiers musulmans pistolet à la main sont postés aux carrefours des grandes artères centrales, boulevard Clemenceau notamment. Boulevard Magenta, une section en armes de l'A.L.N. arrivait vers 12 h 15 pour prendre position dans le centre d'Oran. Place Foch devant l'hôtel de ville des militaires français avaient pris position et tiraient par moments à l'arme automatique.upes de l'OAS vers l'Espagne.

Tout le monde tire...

À 12 h 45, de nouvelles rafales d'armes automatiques étaient tirées dans le centre. Tous les Européens étant rentrés chez eux et les volets étant fermés.

Un peu plus tard, une fusillade nourrie éclate dans le centre. Tout le monde tire : les A.T.O., la force locale, les militaires français et l'ALN... Un hélicoptère de l'armée française survole la ville. On entend dans les rues, ne tirez pas, " ici militaires français ". Rue de l'Hôtel-de-Ville des militaires français sont à côté des hommes de l'ALN.

A 13 heures des coups de feu sporadiques ont encore été entendus dans la ville déserte. Les musulmans avaient regagné leurs quartiers dès le début de la fusillade.

Des Européens les mains sur la tête...

Place de la Bastille la fusillade continue. Devant l'église Saint-Esprit des Européens, les mains sur la tête, contre un mur, sont gardés de près par des hommes de l'A.L.N. qui pointent sur eux leurs armes.

Rue Alsace-Lorraine un Européen a été grièvement blessé. Un membre de la force locale est placé face à l'entrée du Grand Hôtel et pointe son arme sur le hall. La confusion la plus grande règne.

Des patrouilles de l'A.L.N. circulent dans les rues du centre de la ville et ouvrent le feu à la moindre apparition de civil européen. Rue de l'Hôtel-de-Ville des militaires français armés de pistolets mitrailleurs ont pris position sur des balcons et regardent passer ces patrouilles. Des coups de feu sporadiques sont encore entendus dans la ville, qui est toujours survolée par un hélicoptère de l'armée française…

La fusillade d'Oran aurait fait plus de trente morts dont quatorze Européens
Le Monde Publié le 07 juillet 1962 à 00h00, mis à jour le 07 juillet 1962 à 00h00

Un calme très relatif semble être revenu à Oran après la violente fusillade de jeudi après-midi. Selon plusieurs dépêches toutefois, des coups de feu ont encore été entendus vendredi matin dans la ville, et les rues sont désertes. Le bruit court que le couvre-feu, depuis 12 heures, a été de nouveau décrété.
Aucun bilan officiel des incidents n'a encore été publié, mais des informations rassemblées par les journalistes présents à Oran indiquent que quatorze Européens ont été tués, dont treize à coups de couteau. Vingt-quatre blessés Européens ont également été dénombrés. Le nombre des victimes musulmanes n'est pas connu, car les musulmans ont aussitôt emporté leurs morts et leurs blessés. Dix-huit corps ont cependant été recensés dans les hôpitaux de fortune des quartiers musulmans.
Un dix-neuvième se trouverait à la morgue de l'hôpital civil. Un nouveau préfet, désigné par l'A.L.N. et non par le G.P.R.A. ou l'Exécutif provisoire, M. Souyaha Larouari s'est installé à la nouvelle préfecture, que M. Thomas, préfet régional d'Oranie, a quittée pour Mers-El-Kébir.

Oran, 6 juillet (A.F.P.-U.P.I.). - Les circonstances dans lesquelles s'est déclenchée la fusillade n'ont pas été déterminées. Les autorités françaises, aussi bien que le F.L.N. et la police locale, en sont réduits aux hypothèses. Une seule certitude : les premiers coups de feu ont été tirés aux alentours de la place Foch, où la foule, très dense, était au comble de l'excitation.

Quelques minutes plus tôt deux légers incidents s'étaient produits : chaque fois un Européen avait été accusé de porter une arme. L'un d'eux a été appréhendé et amené en voiture sous les hurlements de la foule qui courait derrière le véhicule. L'autre, qui allait être mis à mal simplement parce que sa chemise faisait un pli malencontreux sur le ventre, a été relâché, une fois fouillé, mais la foule était restée grondante sur les lieux de l'incident.

L'origine des premiers coups de feu est mal déterminée. Un officier français d'une unité de tirailleurs raconte qu'il a vu tirer du premier étage d'un immeuble sur des scouts musulmans. Le F.L.N. confirme que ces derniers étaient bien visés, mais croit pouvoir dire que les coups de feu partaient d'une voiture, une Dauphine. Aucune de ces versions ne précise l'identité des tireurs. Seul le représentant du Front au commissariat central affirme qu'il a vu tirer un homme en uniforme.
La fusillade, quoi qu'il en soit, jeta la panique.

" C'est l'O.A.S.! ", se mirent à crier de toutes parts les manifestants. La foule devint menaçante à l'égard des Européens. Aussitôt, les auxiliaires temporaires de police (les A.T.O.) conseillèrent à ces derniers de se réfugier dans les couloirs des habitations les plus proches.

Les A.T.O. conservaient néanmoins le service d'ordre bien en main. Ils commencèrent à faire refluer la foule musulmane, mais bientôt, de nouveaux coups de feu étaient entendus en d'autres points du même quartier : rue de l'Hôtel-de-Ville et place Karguentah.

Ce fut une débandade folle. Les manifestants sautaient des camions et des voitures. Les femmes se jetaient à plat ventre…

Les nombreuses disparitions d'Européens préoccupent vivement les autorités d'Oran
Par J.-F. SIMON - Publié le 10 juillet 1962 à 00h00, mis à jour le 06 juillet 2022 à 10h32

Oran, 9 juillet. - Deux questions préoccupent en ce début de semaine les autorités civiles et militaires d'Oran : le sort des Européens disparus à la suite de la fusillade de jeudi dernier ; la situation économique de la ville.

Les enlèvements d'Européens, civils et militaires, se sont multipliés depuis quelques jours. Il est toutefois très difficile de citer à ce sujet des chiffres précis. De source française autorisée, on estime que cent vingt-cinq Européens dont six militaires ont disparu depuis jeudi. Plusieurs recoupements permettent de penser que ce chiffre pourrait être plus élevé et atteindre environ deux cents personnes. Reste à savoir si tous les Européens disparus ont été enlevés, ce qui est fort improbable.

Soixante plaintes ont été enregistrées au commissariat central et les autorités militaires françaises ont élevé des protestations auprès de la commission mixte du cessez-le-feu. Celle-ci a indiqué que, vendredi, vingt-six Européens arrêtés la veille avaient été relâchés. De leur côté les responsables de l'A.L.N. ont déclaré qu'ils ne retenaient aucun Européen, mais qu'en revanche, depuis deux jours, trente-cinq musulmans avaient été enlevés par des Européens dans le centre de la ville.

Les Européens se regroupent

Les Oranais se racontent de bouche à oreille des scènes d'enlèvements, de tortures, de pillages. Ces récits sont difficilement contrôlables, mais ont déclenché chez cette population si sensibilisée de nouveaux réflexes de peur et de fuite. Avant le 1er juillet, les habitants de la proche banlieue s'étaient réfugiés dans l'agglomération oranaise. Ils se rassemblent maintenant dans le centre même de la ville, évacuant tous les quartiers européens limitrophes aux quartiers musulmans. Plusieurs, dès vendredi matin, se sont réfugiés dans les cantonnements des unités militaires françaises qui ont suspendu provisoirement leurs opérations de regroupement. On nous a cité le cas d'une compagnie d'infanterie qui avait ainsi recueilli plus de cent Européens. La troupe procède souvent elle-même au déménagement des quartiers abandonnés. Les chefs d'unités viennent de recevoir des ordres pour assurer gratuitement le vivre et le couvert à ces " réfugiés ".

Le ravitaillement fait défaut

Cette atmosphère n'a pas contribué à favoriser la reprise de la vie économique à Oran. La vie se poursuit normalement dans les quartiers musulmans, mais en ville européenne les derniers magasins ouverts ont presque tous été fermés. Les rues, dimanche soir, étaient désertes, encombrées de tas d'ordure qu'ici et là on s'efforçait de brûler en plein vent. La farine commençait à manquer, le pain se faisait rare. Il ne reste en effet plus qu'une minoterie en quartier européen, les autres ont été détruites par l'O.A.S. avant son départ.

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Mis en ligne le 03 juillet 2023

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