Le Conseil économique et social
LES ASPECTS MATÉRIELS (IV)

IV - L'INDEMNISATION

Il s'agissait d'aider les rapatriés non salariés. À cet effet, un dispositif très complexe a été mis en place au fil de plusieurs lois (on en dénombre 21), dont certaines mesures demeurent en vigueur.

- La loi de 1970 (loi n° 70-632 du 15 juillet 1970) a posé des principes pour l'indemnisation des personnes physiques (dégressivité, barème, échelonnement sur 10 ans). À cette époque, environ 161 000 dossiers d'indemnisation ont été traités.
- La loi de 1978 (loi n° 78-1 du 2 janvier 1978) a prévu de compenser la diminution résultant de la dégressivité et a augmenté le plafond de l'indemnisation.
- La loi de 1982 (loi n° 82-4 du 6 janvier 1984) a concerné l'indemnisation des meubles.
- La loi du 16 juillet 1987 (loi n°87-549 du 16 juillet 1987) a sensiblement renforcé l'indemnisation précédente et étendu certaines dispositions au Maroc. Elle a induit un très important effort financier (27 milliards de francs de l'époque).
- La loi de 2005 en son article 46 (loi n° 2005-158 du 23 février 2005) a prévu la restitution des prélèvements opérés par l'État sur les indemnisations pour remboursements de prêts antérieurs (pour un coût de l'ordre de 300 millions d'euros). À ce jour toutefois, seules des restitutions pour un montant total de 100 millions d'euros ont été réclamées. Avant de clore cette procédure, une information a été de nouveau diffusée afin d'alerter les possibles bénéficiaires de cette mesure.

Notons d'emblée que ces diverses lois ont été précédées de débats animés et la position française n'a jamais été jugée invalide juridiquement. Elle a été caractérisée par une grande constance dans le temps depuis 1970 (cf. exposé des motifs de la loi du 15 juillet 1970 : " ...les charges économiques et financières du pays ne permettent pas d'assumer un engagement d'une telle ampleur... l'effort que la Nation acceptait de faire devait recevoir une orientation meilleure que le rétablissement des fortunes ").

Au total, durant de nombreuses années, un travail considérable a été accompli. L'inventaire des biens indemnisés a été réalisé, semble-t-il, avec soin, dans le cadre du dispositif envisagé à l'époque, en utilisant des sources complémentaires et à l'aide de documents établis sur place afin de retracer la situation prévalant en 1962. Il existe encore 12 km d'archives relatives à ces indemnisations !

L'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'Outre-mer (ANIFOM) a compté 1 400 agents chargés de gérer ces dossiers après les lois d'indemnisation, travail très lourd, et dispose encore d'environ 50 collaborateurs. Le soin apporté n'a pourtant pas exclu certaines difficultés ponctuelles (évaluation des propriétés dans le " bled " notamment, dont le prix pouvait beaucoup varier selon qu'il y avait ou non présence d'eau). Au demeurant, les circonstances rendaient difficile le calcul d'un " juste prix ". Par exemple, des difficultés ont pu survenir lorsque des terrains ont été qualifiés " d'agricoles " autorisant ainsi leur déclassification d'office. Le Conseil économique et social salue le travail rigoureux opéré par l'Agence dans le cadre des lois en vigueur.

L'impact budgétaire a été considérable. En 1963, 5 % du budget de l'État ont été affectés aux rapatriés. À l'époque, il a donc bien été tenu compte du choc subi par des populations très éprouvées par des " évènements " sur lesquels elles n'avaient aucune prise et qui concernaient au demeurant, à des degrés divers et dans des circonstances différentes, plusieurs pays d'Europe.
Toutefois, cette indemnisation a été conçue comme un acte de solidarité nationale et, financée par l'impôt, elle n'avait donc pas vocation à rembourser intégralement les biens perdus, ce que d'ailleurs la loi de 1970 n'avait pas prévu.
L'existence d'un plafond avait donc sa logique.

En outre, il a été constamment fait référence aux capacités financières (limitées) de la Nation. Rappelons que sur 21 000 exploitations agricoles en Algérie, 13 000 avaient moins de 30 hectares. Il existait une majorité de petites fermes et quelques grosses exploitations.
Sur cette base de calcul, c'est-à-dire en retirant les biens au-delà du plafond, l'ensemble des indemnisations versées correspond à 58 % de la valeur estimée des biens, selon l'ANIFOM. La dernière loi d'indemnisation date de 1987 et a trouvé son application jusqu'en 1997 environ. Quelques contentieux se sont prolongés jusqu'en 2002, année qui met un terme au processus. Au total, l'indemnisation seule a coûté 16,5 milliards d'euros et 31,76 milliards d'euros ont été alloués au titre de l'indemnisation et de la réinstallation (de 1962 à 2002), les diverses aides bénéficiant souvent aux mêmes personnes.

Plusieurs modalités de cette indemnisation sont contestées par les représentants des associations :

- les biens indemnisés ont été plafonnés à 1 million de francs ; au-delà de ce plafond, les estimations des biens n'ont pas été affinées en raison du coût associé ; le plafond a concerné environ 4 % des patrimoines (soit 5 000 propriétés) ;
- certaines évaluations des biens sont contestées pour des raisons diverses (ventes à " vil prix " par exemple car effectuées sous la contrainte ou difficultés à juger de la valeur du bien dans des régions sans sécurité...) ;
- les indemnités n'ont pas été revalorisées du montant total de la hausse des prix ;
- les indemnités n'ont pas concerné les personnes morales ;
- il n'a pas été tenu compte de la privation de jouissance des biens ou de leur compensation durant plusieurs années alors que, dans le cadre d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, par exemple, l'indemnité est préalable et doit correspondre à la valeur des biens.

Selon les options retenues, les montants demandés s'échelonnent entre 12 et 80 milliards d'euros, selon les associations.
Sur un plan théorique, un tel calcul peut évidemment être contesté car, basé sur une réévaluation du passif, il n'intègre nullement les contreparties d'actif : indemnisations déjà octroyées et surtout dépenses supportées par la France en Algérie.
À l'heure actuelle, les abondantes archives qui ont servi de base à l'indemnisation depuis l'origine subsistent mais il ne peut être question de rouvrir les dossiers pour modifier les évaluations de l'époque.

Solution proposée

Les accords d'Évian (18 mars 1962) stipulaient, en leur article C.IV. 12 : " L'Algérie assurera sans aucune discrimination une libre et paisible jouissance des droits patrimoniaux acquis sur son territoire avant l'autodétermination. Nul ne sera privé de ces droits sans indemnité équitable préalablement fixée ".
Ces accords n'ont pas été respectés.
Cette prise en charge comprenait l'indemnisation des propriétés possédées par des Européens. Rappelons que celles-ci (à l'exclusion de 2 % d'entre elles représentant des mises sous séquestre) avaient été achetées par l'État français au XIXe siècle. Elles représentaient 22 % des terres agricoles.

La position officielle de la France est qu'un tel droit à indemnisation n'est opposable qu'aux autorités algériennes. La France, elle, a versé une " contribution à l'indemnisation " sur le fondement d'une solidarité nationale. Si un complément devait être obtenu pour solde de tout compte, il ne pourrait provenir que d'une négociation avec l'Algérie visant à liquider le passé afin de mieux construire ensemble l'avenir, comme l'a suggéré le Président de la République.

Les sommes ainsi obtenues pourraient être versées à un fonds chargé de procéder à une répartition, sur des bases égalitaires, la véritable évaluation des biens perdus ne pouvant plus être opérée après un tel laps de temps.
En tout état de cause, une quatrième loi d'indemnisation n'est pas concevable. Elle ne permettrait pas de régler des problèmes en suspens depuis un demi-siècle, trois lois ont été imparfaites, la quatrième ne serait pas une panacée.(??!! ndlr)

En outre, elle ne se conçoit pas dans l'état actuel des finances publiques françaises. En revanche, le versement d'une indemnité forfaitaire pour tous (y compris les harkis), destinée à reconnaître les épreuves subies, est envisageable. Ainsi, à titre d'exemple, chaque tranche d'un milliard dégagé par les négociations franco-algériennes autoriserait une indemnité unitaire de l'ordre de 5 000 euros.

Il aurait été utile d'apporter des précisions. Ndlr
1/ Les 31,76 milliards d'euros " alloués au titre de l'indemnisation et de la réinstallation (de 1962 à 2002) " ont été en grande partie réinjectés dans l'économie français. Les familles souvent démunies, ont investi le pécule dans les équipements ménager, l'ameublement et les biens de consommation courante.
2/ Ces sommes concernant l'indemnisation proprement dite et la réinstallation, furent allouées sur une période de 40 années sans réactualisation à la date du versement.
3/"Ces accords n'ont pas été respectés". Les accords d'Evian en question, ont été entérinés par le référendum du 8 avril 1962, dans lequel les "futurs indemnisables" n'eurent pas voix au chapitre.
Les négociations furent menées sans qu'un seul représentant de la communauté européenne n'y soit convié. A partir de là, c'est à l'état français de se substituer à son "partenaire" défaillant, d'avancer les sommes dues (soit les 42 % restants) et de se charger de les récupérer auprès des instances avec qui il a traité si judicieusement.
4/ Quelles sont ces " dépenses supportées par la France en Algérie " ? S'il est entendu par là, les dispositions inscrites dans le Titre 1er des accords d'Evian : " Contribution française au développement économique et social de l'Algérie ", il serait curieux de déduire de l'indemnisation, des sommes allouées à l'état spoliateur en vertu d'accords qui ont exclus les spoliés.
5/ "Si un complément devait être obtenu pour solde de tout compte, il ne pourrait provenir que d'une négociation avec l'Algérie visant à liquider le passé afin de mieux construire ensemble l'avenir"
Qu'en est-il de ces " pourparlers " ? Sont-ils en cours ou ne font-ils partie que d'une aspiration utopique ?
Etant donné que l'état français, par le passé, à prouvé son savoir faire et son talent de négociateur avisé, se faire une illusion à propos d'un éventuel règlement par le gouvernement algérien, relève d'une naïveté confondante. En faire un argument participe au mieux à de l'inconscience, au pire à un nouveau tour de passe passe destiné à noyer un poisson en état d'asphyxie avancée.
6/ " En 1963, 5 % du budget de l'État ont été affectés aux rapatriés. À l'époque, il a donc bien été tenu compte du choc subi par des populations très éprouvées par des " évènements " sur lesquels elles n'avaient aucune prise et qui concernaient au demeurant, à des degrés divers et dans des circonstances différentes, plusieurs pays d'Europe.
Mais dans ces pays d'Europe, il fut payé, en plus une indemnité du " Pretium doloris " pour des ressortissants rapatriés (le terme est ici approprié) de contrées ne faisant pas partie du territoire national, à la différence des Européens d'Algérie expulsés de départements français.
6/ 21 lois c'est en effet excessif. Cela montre le prétendu sérieux du travail accompli. Une quatrième (ou une vingt deuxième) loi ne résoudrait pas un problème vieux d'un demi-siècle, surtout si elle est bâtie suivant les mêmes procédures utilisées pour altérer les réalités.
7/ De toutes manières, l'état actuel des finances publiques clôt le débat, même si l'on a du mal à comprendre les dépenses engagées pour des vaccins inutiles, des rodomontades militaires et des aides diverses et variées, distribués depuis des lustres, à des potentats aux quatre coins de la planète.

Conseil Economique et Social"



Mis en ligne le 08 mai 2011
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