Partie depuis 1962 ! Revenue pour la première fois ! Plus d’un demi-siècle après. « Une envie incessante, trop souvent persistante. Toujours lancinante ! » C’est ainsi que s’est exprimée Raymonde, les 70 ans bien entamés. Attablée à une terrasse de café au centre-ville d’Alger, elle regarde le spectacle de la ville blanche « abrutie de soleil » et « aux couleurs uniques ». Elle est, depuis son arrivée la dernière semaine d’avril, happée par une nostalgie indescriptible. LES PIEDS-NOIRS DISPARAISSENT !
« Nous n’avons même eu le temps de prendre les photos », nous confie Raymonde. Des larmes, elle en verse depuis le 5 juillet 1962. Enceinte de six mois, elle a ramassé son coeur en lambeaux, des vêtements et l’espoir profond que personne ne la privera de revenir « là-bas en Algérie ». Raymonde autant que Lucette et Dolorès insistent : « L’Algérie, c’est aussi notre pays. Nous y sommes nées. Nous y avons vécu. Nous nous sommes mêmes mariées ici. » Faut croire que ça n’a pas été suffisant. Puisque toutes les trois ont été rejointes par leurs maris. Et puis l’histoire aurait dû s’arrêter là. Puisqu’elles ont eu, chacune à leur tour, des enfants qu’elles ont élevés. Qu’elles ont vu grandir et puis partir après ça. UN HÉRITAGE ET UN ACCENT LOURD À PORTER… C’est la vie ! Peut-être pas celle dont elle rêvait. « Mais vous savez, l’Algérie, c’est mon pays. Vous comprenez, j’ai toujours su que j’y reviendrai un jour. Vous savez, mes parents et certains membres de ma famille reposent au cimetière de Saint-Eugène », nous révèle Raymonde. Ses « copines » presque en choeur ont raconté à peu de choses près la même histoire, avec la même émotion et puis tout le reste. Le reste, c’est d’être obligé de débarquer dans une ville, un pays à qui l’on n’appartient pas vraiment. « En France, j’ai atterri à Caen, en Normandie. Nous avons, nous les pieds-noirs, été parqués dans des barres HLM. Parents, enfants et autres membres de la famille étaient souvent entassés dans un deux-pièces débarras servant de cuisine. » REPARTIR VERS OÙ TOUT A COMMENCÉ Les pieds-noirs, ni algériens, ni français. Nés entre deux rives, deux cultures et deux nations irrémédiablement indissociables. L’Algérie comme la France resteront à jamais unies par cette histoire commune. La colonisation par le dépeuplement ou le repeuplement, c’est selon ! Et ce récit fait d’images rapportées, de souffles trop longtemps expirés, Franck a eu lui aussi ce besoin irrépressible d’aller le vérifier et d’en vérifier le contenu. Sa maman est morte depuis longtemps. Alors, ce voyage, il a tenu à le lui dédier. Comme un hommage, il sait que sa mère à lui en aurait certainement été très fi ère. Pour Dolorès, c’est un parcours historique qui s’est inscrit sur le chemin qu’elle a emprunté dans les années 1950 entre la ville de Blida, son « patelin », et sa ville d’adoption après son mariage Constantine. Ce trajet, Dolorès l’a vécu des milliers fois dans sa tête. Elle se souvient de tout, absolument de tous les noms des rues, les enseignes où elle a été quelquefois dactylographe, d’autres fois secrétaire ou simplement agent de bureau… Samira Hadj-Amar http://www.reporters.dz/les-derniers-pieds-noirs/3596 |
Mis en ligne le 17 mai 2014