Le Centre de documentation des Français d'Algérie, inauguré le dimanche 29 janvier par M. Pujol, maire de Perpignan, M. Longuet, ministre de la Défense, Thierry Rolando et Suzy Simon-Nicaise, président et vice-présidente du Cercle algérianiste, fait l'objet, depuis plusieurs années, d'une vive polémique.

Pour l'opposition socialiste et communiste au Conseil municipal de Perpignan, il s'agit d'une " faveur faite aux nostalgiques de l'Algérie française ", selon les propos de Mme Jacqueline Amiel-Donat, responsable locale du Parti socialiste, ou d'un centre " offrant une vision unique de l'histoire à la gloire de la période française de l'Algérie " pour Michel Franquesa, secrétaire local du Parti communiste.
Pour preuve, ajoute ce dernier, " le fonds de ce centre dépourvu de comité scientifique est constitué des documents amassés par le Cercle algérianiste, organisation créée en 1973 pour " sauver (la) culture en péril " des Français d'Algérie. " (Déclarations rapportées par La Dépêche du Midi du 30 janvier 2012.)

Un collectif : " Pour une histoire franco-algérienne non falsifiée ", (regroupant diverses organisations, notamment ATTAC, CGT, la LDH, le MRAP, le PCF) (1), s'est élevé contre le financement, pour partie public, de ce centre et a appelé à manifester " tous ceux qui veulent s'opposer aux mensonges sur les crimes du colonialisme français et à l'hystérie xénophobe et raciste. " (L'Humanité, 27 janvier 2012).

Qu'est-ce qui justifierait l'opprobre autour de ce Centre ?

Au total, qu'est-ce qui justifie l'opprobre qui entoure ce Centre ? Passons sur l'accusation de xénophobie qu'absolument rien ne justifie. D'abord être le produit d'une association de rapatriés, le Cercle algérianiste, coupable de défendre une histoire falsifiée, positive, de l'Algérie durant la période coloniale. Deuxièmement, la constitution d'un ensemble documentaire à partir de dons privés provenant de rapatriés. Troisièmement, que des subventions publiques aient contribué à son financement. Membre du Comité de pilotage du Centre, ces critiques appellent de ma part quelques remarques.

Centre documentaire à vocation historique

En premier lieu, je ne vois pas pourquoi une association s'interdirait de créer un centre documentaire à vocation historique. De nombreux exemples existent :

- N'est-ce pas une fédération d'associations, loi de 1901, qui est à l'origine du Musée de la Résistance Nationale (Champigny). Pourtant, nul ne conteste son utilité à la fois historique et pédagogique, nul ne conteste le partenariat qui le lie, depuis 1985, au ministère de l'Education nationale ?
- La Fondation pour la Mémoire de la Shoah n'est-elle pas également une fondation privée ? Sa dotation financière ne repose-t-elle pas sur la restitution par l'État et les établissements financiers français des fonds en déshérence, issus de la spoliation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ? Qui pourrait s'en offusquer ?
Faut-il faire grief au Cercle algérianiste de vouloir rassembler des documents offerts par des rapatriés ? Qui reproche à la CGT d'avoir créé un Institut CGT d'histoire sociale, conservant des " archives relatives aux activités confédérales et à celles des militants responsables de la CGT " ?
Quel historien refuserait de se rendre à l'OURS (Office Universitaire de Recherche Socialiste), organisme privé fondé par Guy Mollet, pour consulter les précieux fonds d'archives qu'il conserve, sous prétexte qu'il est lié au mouvement socialiste ?
Faut-il bouder les archives de Saint-Gobain ou de Berliet, parce qu'elles sont propriétés d'organismes privés (de l'entreprise ou d'une fondation) ?
On pourrait multiplier les exemples.
Quant à l'indignation sur la participation de financements publics au Centre de documentation, elle me paraît d'autant plus déplacée qu'elle émane pour une part d'organisations groupusculaires - comme le MRAP - bénéficiant de subventions publiques particulièrement généreuses qui constituent l'essentiel de leurs ressources.
Mais venons-en au fond de l'affaire.

La valeur des archives privées

Nul ne contestera, que les archives privées, complémentaires des archives publiques, constituent une des sources essentielles de documentation historique. Au-delà de leur fonction mémorielle, elles sont indispensables à la connaissance et à l'écriture de l'histoire. Les services des Archives nationales consacrent, d'ailleurs, beaucoup de moyens humains et financiers à les collecter, afin de les sauvegarder et de les mettre à disposition des chercheurs. Comment imaginer faire de l'histoire économique, sans les archives des entreprises ? Comment faire de l'histoire sociale en se privant des archives des associations, des partis, des militants ?

Le Cercle algérianiste entend recueillir, dans le centre de documentation de Perpignan, les archives personnelles - de toute nature - de rapatriés. Pour ma part, je salue cette démarche et je m'en réjouis. Pourquoi ? D'abord parce qu'elle permet de sauver des archives qui, sans cela, seraient pour la plupart, définitivement perdues, détruites ou dispersées.

Dans leur grande majorité, les rapatriés d'Algérie nourrissent une méfiance née des blessures historiques des années 1960. Ils préfèrent, aujourd'hui, confier à un organisme associatif les documents qu'ils ont précieusement conservés plutôt que les confier aux services publics des archives. Tout comme le Centre de Documentation sur l'Histoire de l'Algérie (CDHA, Aix-en-Provence), le Cercle algérianiste leur offre un lieu de dépôt et de conservation auquel ils peuvent s'adresser en toute confiance. Ainsi les historiens disposeront-ils d'archives qui auraient été définitivement perdues autrement. C'est donc un service public qui est rendu, justifiant les subventions accordées.

Il n'y a pas de " bonnes " et de " mauvaises " archives

Ces documents qui concernent la vie quotidienne des Français d'Algérie, en Algérie puis en métropole après leur exode, constituent une source d'information essentielle pour notre connaissance de cette histoire. Dictent-ils le contenu de cette histoire ? Evidemment non. Le Centre de documentation s'est engagé à mettre à disposition de tous les chercheurs les documents recueillis, laissant à leur responsabilité scientifique et morale, l'usage et l'interprétation qu'ils en feront. Autrement dit, à fonctionner sur les mêmes principes que les services publics des archives. Quelles garanties demander de plus ?

Pourquoi intenter un procès d'intention à ses fondateurs ? Il faut être prisonnier d'une conception très étriquée de l'histoire pour s'indigner d'une telle initiative, au lieu de s'en féliciter et de l'encourager. Ne devons-nous pas être comme les abeilles ? Toute fleur n'est-elle pas bonne à faire notre miel, où qu'elle se trouve ? J'ajouterai que, pour les historiens, il n'y a pas de " bonnes " et de " mauvaises " archives. Quant à moi, je préfère remercier les promoteurs de ce centre et me tenir à leur disposition pour contribuer à le faire vivre comme lieu de recherche sur l'histoire, mal connue - et trop souvent caricaturée -, des Français d'Algérie.

Qu'est-ce qu'une " histoire franco-algérienne non falsifiée " ?

Enfin, que signifie cette revendication d'une " histoire franco-algérienne non falsifiée " de la part d'organisations et de personnalités qui ont une conception hémiplégique de l'histoire, dénonçant à qui mieux mieux les " crimes " du colonialisme français, qui ont de l'histoire une conception procédurale, mais qui restent très discrets - c'est un euphémisme - sur les crimes et les massacres perpétrés par le FLN, dont ont été victimes des milliers d'Européens et des dizaines de milliers d'Algériens musulmans ?

Qui sont si peu prolixes - autre euphémisme - sur la politique de terreur du FLN, sur son recours massif aux enlèvements, à la torture et aux viols, pour imposer sa domination sur les populations algériennes et contraindre les Européens à quitter un pays qui les a vus naître.

Qui n'évoquent que du bout des lèvres le drame des harkis, victimes d'abord de la barbarie et de l'esprit de vengeance du FLN, qui ne leur pardonnait pas d'avoir combattu aux côtes de l'armée française, foulant aux pieds l'engagement souscrits lors des " accords " d'Evian, avant même que l'encre n'en soit séchée.

Qui vitupèrent l'ouverture d'un centre de documentation, mais font silence sur la fermeture des archives du FLN aux chercheurs !
Que ces donneurs de leçons, ces parangons de vertu, balaient donc devant leur porte !
Daniel Lefeuvre

http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2012/02/01/23389109.html
Transmis par J.L Granier

(1 Ndlr) (liste provisoire): ANPNPA, ASTI, ATTAC, CGT, Coup de soleil, EELV, FSU, Ligues des Droits de l’Homme, Femmes solidaires, Mouvement de la paix, MRAP, NPA, PCF, PG, Survie.

Daniel Lefeuvre est professeur d’histoire économique et sociale à Paris VIII (Saint-Denis). C’est l’un des grands spécialistes, en France, de l’Algérie coloniale, un sujet sur lequel il a publié de nombreux articles et ouvrages. Sa thèse (Chère Algérie) a été rééditée en avril 2005 chez Flammarion.
http://www.blog-lefeuvre.com/

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Mis en ligne le 08 février 2012

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