Terre négociée
Que n'a-t-on pas dit sur ces affreux colons qui spoliaient les populations locales de leurs terres paradisiaques, pour s'installer à leur place et pour leur seul intérêt.
La réalité cependant fut bien souvent différente. Mais quand on dit n'importe quoi, il faut utiliser n'importe quel moyen à n'importe quel prix.
Pour cela, le mensonge fera l'affaire.
Mise en culture de la basse vallée de la Tafna (extrait)

Dans les années 1900/1905, la famille Barret, arrivée en Algérie en 1842 et implantée depuis 1849 à AIN TEMOUCHENT dans l'agriculture, le maraîchage, le commerce d'alimentation et la minoterie, se compose de deux filles et quatre garçons et décide de se séparer.

En vue de cette séparation, les trois frères aînés, Baptiste, Jules et Jacques, cherchant à se réinstaller dans l'agriculture, portent leur intérêt sur une zone inculte, marécageuse, infestée de moustiques, paludéenne, sans voies de communication, mais alluvionnaire et donc au fort potentiel agricole. C'est l'embouchure de la rivière TAFNA, à l'ouest de BENI-SAF et en face de l'île de RACHGOUN.

A l'époque, ce territoire qui, appartient en indivision caïdale à la tribu des ZOUANIFS, constitue une immense région de collines couvertes de lentisques utilisée comme pacage, les maigres troupeaux de moutons et de chèvres ayant la rivière TAFNA comme abreuvoir naturel. Cette région des ZOUANIFS qui s'étend, à l'ouest de la commune de plein exercice de BENI-SAF, à l'est de la commune de plein exercice de NEMOURS et au nord de la commune de plein exercice de TLEMCEN - était inhabitée, les populations musulmanes puis les acquéreurs de concession l'ayant abandonnée en raison de son insalubrité. Elle avait été érigée en Commune Mixte de REMCHI.

Quand les frères Barret, après de nombreux contacts avec les Autorités Caîdales de la zone veulent s'y installer afin de tenter une mise en valeur de ces terres alluvionnaires, la première difficulté est la localisation des ayant droits, nomadisant sur de grands territoires, puis la détermination des droits de chacun et enfin la signature ou plutôt, les signatures des actes de vente. Ces démarches s'avèrent d'une extrême complexité car, s'agissant de bien tribaux, il faut réunir les signatures de l'ensemble de chaque famille ce qui demande beaucoup de temps et occasionne des complications dans la mise en culture Jusqu'en 1962, certaines enclaves n'auront jamais pu être remembrées du fait de l'absence d'acte d'achat, les propriétaires n'ayant pu être identifiés).

La deuxième grande difficulté est l'assainissement de cette basse vallée. L'oued TAFNA dont l'embouchure est ensablée déborde et alimente les marécages. Il faut désensabler et nettoyer l'estuaire en permanence, créer un réseau de drainage en même temps qu'un nivellement de certaines zones et planter des milliers d'eucalyptus pour renforcer les berges de la rivière et assécher les points bas. A ce stade une nouvelle difficulté surgit: lors des acquisitions de terrains, trois servitudes de passage vers la TAFNA avaient été créées pour préserver l'alimentation en eaux des troupeaux des ZOUANIFS.
Or, ces troupeaux ne se contentent pas de boire, ils broutent les jeunes plantations d'eucalyptus. Les frères Barret usent alors, au cours de nombreux méchouis suivis d'interminables palabres, de toute leur persuasion pour faire admettre aux chefs locaux que ces arbres en bordure de rivière constituent un havre à protéger et qu'ainsi "ils font faire de la viande à leurs bêtes".

Parallèlement, les frères Barret poursuivent une politique de santé et d'hygiène auprès des populations locales : distribution de quinine tous les quinze jours, implantation de poissons gambusies dans les fossés afin de détruire les larves de moustiques et surtout, création et entretien de voies de communication pour permettre un suivi sanitaire des ZOUANIFS par les Autorités.

Ces premiers obstacles partiellement ou totalement surmontés, il faut s'occuper de la mise en culture de cet ensemble hétérogène.
Après défrichement, sont lancés des essais de diverses cultures: arachides, coton, blé dur, sarrasin, seigle ainsi que des tentatives d'élevage (moutons et jeunes bovins) jusqu'en 1935 environ. Durant cette période, des bâtiments d'exploitation sont construits: écuries, hangars, logements des employés, cadres et ouvriers, en particulier ceux venant des ZOUANIFS qui se sédentarisent près des fermes en trouvant des revenus fixes grâce aux emplois permanents nouvellement créés.
Cette période de pionniers 1905/1925 que nous appellerons "assainissement et mise en culture" nécessite de gros investissements tant matériels que financiers et surtout humains mais malgré le ralentissement dû à la guerre de 1914/1918, elle conforte les frères Barret dans leur volonté opiniâtre de mettre en valeur cette vallée de la TAFNA.


Jacques Duffau (Octobre 2005) - Source :Echo de l'Oranie N°310 mai-juin 2007
Paru dans "L'Echo des français d'AFN"

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Mis en ligne le 18 nov 2010
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