La France avait mis le pied en Afrique du Nord en 1830 sans trop savoir que faire de
sa conquête, mais dès 1848, la pacification presque achevée, elle avait inscrit dans
sa Constitution comme départements français les trois régions principales du pays.
Restait à en organiser juridiquement et politiquement le fonctionnement. A la
reddition d’Alger, le conquérant avait pris l’engagement, en la personne du général
De Bourmont, de respecter le libre exercice de la religion mahométane, ce qui
impliquait la libre application de la Loi islamique, donc un régime juridique particulier
pour les musulmans algériens.
L’Administration française avait donc comme tâche d’administrer, sans grands
moyens, un territoire immense, en résolvant la quadrature du cercle : à savoir, sans
attenter aux moeurs ni à la religion des Algériens, et sans faire des Français de ces
départements des citoyens différents des autres, faire régner la Loi française...
Les Juifs, très vite assimilés au système, avaient été intégrés comme citoyens
français par le décret Crémieux de 1870. Pour les Musulmans, il devenait
indispensable de créer une juridiction différente, et, d’abord, des communes de
régime particulier s’inspirant des hiérarchies traditionnelles du pays : ce furent les
« communes mixtes », dans lesquelles la population, très majoritairement
musulmane et rurale, était placée sous l’autorité d’un Administrateur, et des Caïds et
Bachaga de tradition.
Le fonctionnement de la Justice répressive française étant totalement inadapté à ces
populations habituées au jugement expéditif des Cadis, et l’insurrection kabyle de
1870 ayant obligé à une grande vigilance, fut édictée à partir de 1874 une série de
règles improprement appelées « Code de l’Indigénat », d’un titre qui n’eut jamais
valeur légale. Les infractions à ce Code étaient, jusqu’à un certain degré,
sanctionnées directement par l’Administrateur, mais avec recours possible devant le
sous préfet.
Les restrictions du Code portaient sur la détention des armes, le maintien de l’ordre
public, la levée des impôts, le refus scolaire et autres points mineurs de la vie
quotidienne. Un des points les plus critiqués portait sur les restrictions de
déplacement imposées à certaines catégories, et à l’obligation de sauf conduits...
Il est à noter que ce système ne s’appliquait, au terme des évaluations de 1906, qu’à
la moitié environ de la population indigène, et qu’il était infiniment moins répressif
que le système antérieur de la régence turque...d’ailleurs certaines restrictions de
circulation s’appliquaient aussi aux Européens : en 1919 ou en 1946, il fallait un sauf
conduit pour aller dans le bled ou dans la métropole....
Dès 1914 de nombreux amendements étaient apportés à ce « Code » et réduisaient
largement les attributions de l’Administrateur ; en 1919 le sauf-conduit était
supprimé ; en 1930 un décret vidait pratiquement de sa substance ce qui restait de
cet ensemble juridique, lequel avait été appliqué, mutatis mutandis, à plusieurs colonies de l’Empire.
En résumé, le « Code de l’Indigénat » fut une création du lendemain de la Conquête,
faite pour bousculer le moins possible un pays de traditions très éloignées des nôtres et dont l’application fut à la fois très partielle et très brève. Le Statut Personnel
Le souci de ne pas briser les structures traditionnelles était, nous l’avons vu,
difficilement conciliable avec la volonté d’établir un ordre français. Le Droit musulman
fait partie de la religion et le Droit coutumier, tant bien que mal, s’y rattache : le Droit
français part du principe de laïcité.
Il en est résulté ce qu’on a appelé le Statut Personnel des Musulmans algériens,
créant une catégorie de Français dont les droits et les devoirs n’étaient pas les
mêmes que ceux des Français de souche et comme la Constitution française ne
pouvait admettre deux catégories de citoyens, les Musulmans étaient, sauf
exceptions, de nationalité française mais non citoyens français...
Dans la pratique, le statut personnel modifiait certains droits résultant de la
citoyenneté, tels que le doit de vote. Cependant la représentation des musulmans
était assurée par le système du double collège, si critiqué, mais seul à même
d’équilibrer le poids des communautés et d’éviter l’écrasement par le nombre.
Le cas le plus significatif était celui du service militaire : le législateur considérant que
seul le citoyen devait être assujetti aux obligations militaires, il en dispensait derechef
ceux qui relevaient du statut personnel. Avantage qui, on le pense bien, n’avait pas
échappé à ces derniers. Toutefois, une disposition spéciale votée en 1912 prévoyait
un recrutement « subsidiaire » par tirage au sort et avec octroi d’une prime ; de plus
les engagements étaient libres.
La disposition la plus importante de ce statut est sans doute qu’il était révocable.
Tout Musulman pouvait, par un acte volontaire, y renoncer sur demande et devenir un
citoyen français de plein droit et, bien sur, de plein devoir. Le simple constat du peu
de demandes en ce sens prouve largement que les intéressés y trouvaient leur
compte.
Michel LAGROT - Juin 2008
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Mis en ligne le 10 avril 2025