Esclaves chrétiens et esclaves noirs à Tunis au XVIIIe siècle

C'est dire qu'en fait d'aventure il est très ordinaire
De voir gens pris sur mer par quelque Turc corsaire,
Puis être à leur famille à point nommé rendu,
Après quinze ou vingt ans qu'on les a crus perdus.
Pour moi j'ai déjà vu cent contes de la sorte.
(Molière, L'Etourdi, 1335-1339.)

En effet, l'esclavage chrétien, et la course qui l'entretient, n'ont pas cessé de retenir l'attention des historiens. On n'ignore plus rien des techniques de la course, de la condition servile, des institutions de rachat. Mais, de l'activité corsaire, on fait encore la base de l'économie et de la société maghrébine : " la base économique, car la course ainsi conçue est une entreprise uniquement préoccupée de son rapport, est ici pleinement déterminante d'une société et d'un État ", écrit récemment M. Monlati ; la fin de la course et de l'esclavage chrétien " mine les bases de la vie économique et de la subsistance même des États barbaresques ", confirme S. Bono 1.

1. Jean Monlau, Les États Barbaresques, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je, 1964 / excellent petit livre, intégrant d'emblée le sujet à une problématique plus vaste, celle de la genèse du sous développement. L'auteur sent bien la nécessité de l'approche quantitative (p. 102). Tout en privilégiant l'économie de course, M. Monlau restitue au monde rural une certaine importance (notamment p. 89 et p. 112) ; S. Bono, I corsari barbareschi, Torino, Eri, 1964, très richement informé, particulièrement sur les principales victimes - les Italiens.

Cette affirmation exige le support des chiffres : il faudrait mesurer le volume des armements, celui des prises, le prix des esclaves 2. Est-ce impossible ? Pas totalement. L'information quantitative, sans être continue, ni homogène, ne fait pas absolument défaut. Une réévaluation de la course et de ses effets peut donc être tentée.
A l'inverse des esclaves blancs, les membra disjecta des peuples noirs, dispersés jusqu'au Maghreb et au delà, sont passés à peu près inaperçus. Le phénomène massif du transport des Noirs au Nouveau Monde a tout naturellement détourné l'attention, alors que les créatures traînées en Afrique méditerranéenne et envoyées dans la Méditerranée orientale ont été négligées par les historiens.

2. Seule tentative dans ce sens : J. Mathiex, " Trafic et prix de l'homme en Méditerranée aux XVIIe et XVIIIe siècles ", Annales E.S.C., 1954, pp. 157-164.
Ajoutons qu'entre les chrétiens pris en course, et les Noirs, objet de la traite, la condition servile a pu prendre d'autres formes.
Aussi n'est-il pas inutile de situer l'esclavage dans l'économie et la société de la Tunisie précoloniale, en cherchant à mesurer, quand la documentation y autorise, le mouvement de la course et la traite des Noirs ; le nombre des esclaves et leur prix ; en en suivant, jusqu'à sa disparition, le phénomène du trafic de l'homme 3
3. L'histoire des Barbaresques esclaves des chrétiens reste à faire ; ils n'ont laissé aucune trace dans les archives du Gouvernement tunisien. En revanche, on les voit apparaître dans la littérature orale. Cf. Légende de Si Boughaoui aux archives du Ministère de la Guerre, Tunisie, carton 29, rapport sur Sousse.

La course en Méditerranée et le trafic des esclaves noirs
Mouvement de la course au XVIIIe siècle

Au XVIIIe siècle, la course tunisienne part d'un niveau très bas : les bâtiments sont de faible dimension 4 ; les armements, peu nombreux, les prises médiocres 5. Et les informations qui jalonnent le siècle n'accusent pas d'augmentation sensible jusqu'en 1792 (voir tableau p. 1287-88). Il est vrai que les petits bâtiments ne sont pas les moins efficaces : plus mobiles, donc plus discrets, ils peuvent éviter le danger et attaquer par surprise 6. Et puis ils se mesurent à un adversaire de même taille, italien surtout 7.

4. Pierre Grandchamp, Documents relatifs aux corsaires tunisiens (2 octobre 1777-4 mai 1824). Tunis, 1925, 88 pages et, du même auteur, " Documents concernant la course dans la Régence de Tunis de 1764 à 1769 et de 1783 à 1843 ", in Les Cahiers de Tunisie, 3e-4e trimestre 1957, n° 19-20, pp. 269-340.
5. Arch. Nat., AE ?1 1127, lettre de Sorhainde du 10 décembre 1709. Le Bey est prêt à faire la paix avec les Hollandais, la course ne lui rapporte plus rien. Id. AE B1 1128, lettre de Michel du 21 mai 1714 : depuis plusieurs années les corsaires du gouvernement font peu de prises ; la question est débattue au Divan et la décision est prise de renforcer les armements.
6. Poiron, Mémoires concernons l'état présent du Royaume de Tunis, Paris, 1925, " Les plus fortes escadres ne peuvent rien contre ces bâtiments qui, par leur petitesse, voient sans être vus et, sans trop s'écarter de leurs côtes, attendent au passage de riches navires qui ne peuvent se défendre " (p. 11). L'auteur, commissaire de guerre à Toulon, était pourtant assez bien placé pour ne pas exagérer la menace.
7. Les Chevaliers de Malte, de leur côté, n'ont pas plus de galères à opposer aux Tunisiens. Cf. Salvátore Bono, op. cit., p. 120 : la marine de l'ordre compte 8 galères au moment de son plus grand développement (1685) et décline ensuite irrésistiblement.
Mais après 1792, le nombre des bâtiments va augmentant. Le Bey n'est plus le seul à armer les plus gros : son garde de sceaux, le kahia de Porto Farina, les Ben Ayed figurent parmi les plus grands armateurs.

Alors que le nombre des vaisseaux n'atteignait jamais dix unités jusqu'en 1793, il oscille entre douze et vingt-quatre dans la décennie suivante. Dans les premières années du XIXe siècle (1804-1816), le rythme de la course ne se soutient pas aussi bien ; mais elle reste, dans l'ensemble, plus prospère qu'au siècle précédent. Ainsi, la course tunisienne finirait dans une sorte de chant du cygne.
Au vrai, il faut, pour en mesurer la vigueur la comparer : avec elle-même au XVIIe siècle, et avec le commerce de la Régence au XVIIIe siècle.
Premier indice : au moment de son apogée, soit dans la première moitié du XVIIe siècle, les forces maritimes de la Régence sont du même ordre qu'à la fin du XVIIIe siècle, sous le règne d'Hamouda Pacha : quinze à trente bâtiments puissants, suivant les auteurs 8, la reprise observée à la fin du XVIIIe siècle reporte donc la course au niveau de sa plus grande activité. Deuxième indice : le commerce tunisien au XVIIIe siècle. Sans nous étendre sur son volume - qui mérite d'autres développements - contentons-nous de mesurer le trafic entre Tunis d'une part, Marseille et Malte d'autre part 9 (voir courbe) : l'activité commerciale connaît une chute brutale après 1790, tandis que la courbe des armements en course continue son mouvement ascendant jusqu'en 1805, dépasse le commerce et, bon an mal an, soutient son rythme jusqu'en 1805.
N'allons pas croire que la course ait été capable de contrarier l'ascension du négoce. Le ralentissement des échanges est évidemment lié aux troubles de la période révolutionnaire et impériale. Mais il reste que, loin d'être une activité marginale et décadente, la course réussit à prendre un dernier essor, et, les difficultés de l'Europe aidant, à mettre en mouvement un plus grand nombre de bâtiments que le commerce d'exportation.
Est elle toujours lucrative ?

8. J. Pignon, résume les données dans " Un document inédit sur la Tunisie au début du XVIIe siècle ", Cahiers de Tunisie. Premier trimestre 1961, n° 33-34-35, pp. 109-220. Cf. p. 129 et note 90 de la page 190 : 1609 d'après Andrew Baker : 15 grands vaisseaux. 1615 d'après Eliatta : 24 galioni, 6 galères, 6 pataches, 4-5 fustes et brigantins. D'après Foucques : 12 grands vaisseaux, 6 galères, 4-5 moyens, 3 frégates. 1624 d'après Salvago : 7 grands vaisseaux ronds au Dey ; autant à des particuliers, mais moins grands ; 10-12 brigantins.
9. Marseille occupe la première place dans le commerce d'exportation de la Tunisie ; Livourne vient en deuxième position, mais nous n'avons pas - encore - d'informations quantitatives sur les relations avec Tunis. Le Levant enfin, autre direction importante du commerce, nous échappe aussi.
La courbe a été dressée à partir :
1° Des Archives départementales des Bouches-du-Rhône, série des Registres de la Santé.
2° Des Archives de la Royal Malta Library à la Valette : archives de l'Ordre des Chevaliers, cotes 6527 à 6533. On a additionné les bâtiments partis chargés dans ces deux directions, de 1760 à 1802. Après cette date, l'information sur Malte fait défaut. On a fait une moyenne mobile des sorties de bâtiments (calculée sur trois ans), pour que les accidents de la conjoncture ne viennent pas gêner la lecture de la courbe.

Coût et profits de la course

Les témoignages des contemporains sont contradictoires. Tantôt la course est tenue pour une des ressources principales du gouvernement, tantôt on en estime les profits si faibles que les Tunisiens lui préfèrent le commerce 10.
II faudrait pouvoir calculer le coût d'un armement. Et d'abord, quel est le prix d'un bâtiment ? Les informations font presque totalement défaut. En voici deux, qui donnent un ordre de grandeur : en 1768, le Bey vend une barque de prise pour 9 600 piastres tunisiennes ; mais l'année suivante, il achète un chebek aux Djerbiens au prix de 2 000 piastres tunisiennes 11.
Ajoutons-y les frais d'équipement du bâtiment et de la nourriture de l'équipage : on nous dit que le Bey fournit les provisions de bouche, et une indemnité pour chaque Turc embarqué 12. En réalité, la participation du Bey prend des formes très variées. Ainsi, en 1768, pour l'armement d'une chitia 13, il assure les frais de nourriture qui s'élèvent à 2 820 piastres tunisiennes : le bâtiment charge du blé, des galettes, du riz, de l'huile, du beurre, des olives, du vinaigre, du café, des moutons, des vaches, de la cire et de la graisse 14. Mêmes produits, d'un montant de 2 000 piastres tunisiennes pour une galiote armée en 1772 15.

10. Tenants du premier argument : de Saint Gervais, lettre au comte de Maurepas, 23 juillet 1731, in Plantet, op. cit. pièce 542 ; Laugier de Tassy, op. cit. : les richesses viennent surtout des pirateries (mais ce témoignage est suspect). Tenants du second argument : Shaw, Voyage de Mr. Shaw, trad, française, La Haye, 1743, p. 196 : " les Tunisiens sont le peuple le plus civilisé de toute la Barbarie ; ils sont beaucoup moins fiers et moins insolens qu'on ne l'est à Alger... Depuis plusieurs années ce peuple-ci a plus pensé à faire fleurir son commerce et ses manufactures, qu'à piller et à faire les corsaires. " De Saint Gervais, op. cit., p. 35, le Consul de Saizieu (Arch. Nat. AE ? III. 305. Réponse 1775), partagent l'opinion de Shaw.
11. Archives générales du Gouvernement Tunisien (A.G.G.T.), Registres des recettes et dépenses, n° 182 et 183. La piastre vaut alors 36 sous, monnaie de France. Chebek : petit navire de la famille des galères (Jal, Glossaire nautique, Paris, 1848, en fournit la description). Barque : ressemble au pinque, mais sa proue est plate ; celle du pinque, pointue (de Saint Gervais, op. cit., p. 298). Le pinque est un petit navire à fond plat, du port de 2 300 tonneaux, à voiles latines (Jax, op. cit.).
12. De Saint Gervais, op. cit., p. 304 : le Bey fournit l'huile, le vinaigre, le beurre et le biscuit, plus deux piastres par Turc embarqué ; les odobachis se chargent d'acheter les provisions supplémentaires.
13. Bâtiment des dimensions du chebek, " il est le plus grand échantillon de la marine des Arabes sur les côtes de Tunisie et de Tripolitaine ". (Hennique, les caboteurs et pêcheurs de la côte de Tunisie, Paris, 1888, cité dans Grandchamp, op. cit., p. 86.)
14. A.G.G.T., registre 143.
15. A.G.G.T., registre 182. En 1795 (Registre 276), le coût de l'armement varie entre 2 000 et 4 500 piastres tunisiennes.

Sont ils vraiment si sobres, ces Barbaresques dont Poiron nous dit qu'une raison supplémentaire de leur supériorité vient de la pauvreté de leur nourriture ? " Un peuple qui se nourrit de riz, de farine et d'eau... " 16. II est vrai que l'ordinaire est parfois plus modeste : ainsi en 1769, le raïs Youssef el Trabelsi reçoit de l'huile, du blé, du riz, des olives et du vinaigre ; mais point de viande. Ici, le Bey fournit les agrès et verse du numéraire au capitaine 17. Dans d'autres cas, il s'associe à d'autres armateurs et ne fournit que le goudron et les cordages 18 ; ou au contraire, il paie sa part en numéraire, tandis que ses associés se chargent de l'équipement matériel 19.

16. Poiron, op. cit., p. 12.
17. A.G.G.T., registre 143. Il s'agit vraisemblablement d'un bâtiment de petites dimensions ; les provisions sont moins abondantes et le total des frais d'armement - part du capitaine comprise - monte à 702/1/2 piastres.
18. A.G.G.T., registre 182 : année 1768, armement de la chitia commandée par Slimane Djerbi. De même pour un brigantin commandé par le raïs Cherif Ali, appartenant à Si Haj Ali et Si Ali Ben Ayed.
19. Même registre : en 1770, le Bey verse 292 1/2 piastres pour la sortie d'un brigantin ; 65 piastres seulement pour la deuxième sortie de ce bâtiment, armé en association avec Ismaïl Kahia.

Quand il s'agit d'un armement privé, l'armateur prend évidemment en charge toute la dépense, moyennant un salaire à l'équipage 20.
Dans le coût d'un armement, il faudrait tenir compte des dépenses improductives : les croisières sans succès, les pertes d'hommes et de bâtiments. Calcul impossible, en l'absence de documents. Mais les récits de combats 21, l'existence d'esclaves tunisiens à Malte, Gênes, Naples, Palerme, et même en France, dans les galères de Sa Majesté 22, prouvent assez que les profits ne sont pas sans contrepartie.

20. De Saint Gervais, op. cit., p. 305.
21. Nombreuses références dans S. Bono, op. cit., p. 128 sqq ; et bibliographie du chap. Ill, p. 435 sqq.
22. Malte : J. Godechot, " La course maltaise le long des côtes barbaresques à la fin du XVIIIe siècle ", suivi d'une note de M. Emerit, Revue Africaine, 1952, p. 105 sqq ; L. Valensi, " Les relations commerciales entre la Régence de Tunis et Malte au XVIIIe siècle ", Cahiers de Tunisie, 1963, 3e trimestre, n° 43, p. 71 sqq. L'Italie : A. Riggio, " Musulmani in Calabria convertiti al cristianesimo ", suivi d'un texte de 1753 sur la situation des esclaves turcs à Gênes. Archivio storico per la Calabria e la Lucania, anno xvine, fasc. I-II, pp. 45-59. Du même auteur, " Tunisi e il regno di Napoli nei primordi del secolo XIX ", Oriente Moderno, 1947, an XXVII, n° 1-2, janv.-mars 1947, pp. 1-23. Cf. aussi Arch. Nat. AF. Ill 74. Esclaves tunisiens à Livourne libérés. Pour la France, Arch. Nat. AE ?1 1128, année 1712.

Ces profits demeurent certains : après la course, on se partage les prises. L'opération obéit à certaines règles : une fois déduits les faits d'armement, le Bey prend le bâtiment enlevé aux chrétiens, et la moitié du butin - esclaves compris. Le reste est réparti : le raïs reçoit six parts ; le sous-raïs quatre, de même que le nocher et le premier canonnier ; trois parts reviennent à l'écrivain, deux à chaque timonier et au patron de chaloupe ; le reste de l'équipage n'a que des demi-parts 23. La part du Bey est moindre, si l'armement s'est fait en association : ainsi, en 1768, Slimane Raïs rapporte sept chrétiens ; le Bey n'en prend que deux 24. Mais il peut acheter les autres à un prix qu'il impose. De même, il achète une partie du butin des corsaires opérant pour des armateurs privés 25. A ce prélèvement près, ceux-ci disposent de leurs prises et, comme le Bey, tirent bénéfice de la vente des marchandises, et, plus encore, de celle des esclaves 26.

23. De Saint Gervais, op. cit., p. 304. Comparer pour Alger : A. Devoulx, " Le registre des prises maritimes ", in Revue Africaine, XV, 1871 et XVI, 1872, dont il ne paraît pas exister d'équivalent pour Tunis.
24. A.G.G.T., registre n° 182, année 1768, armement déjà cité, voir page précédente, note 3.
25. Exemples : acheté en 1792 sur la prise de Sfax faite par le raïs Abdellah : 13 esclaves ; acheté, la même année, sur la prise faite par Arnaut, appartenant à Ben Ayed : 5 esclaves. (A.G.G.T., registre n° 182). Cf. aussi Caroni, op. cit.
26. Voir plus loin le taux des rachats au XVIIIe siècle.

Enfin les armateurs ne sont pas les seuls bénéficiaires de l'entreprise. Les banquiers - comment appeler autrement les commerçants qui avancent les fonds pour les opérations de rachat ? - majorent de 13 à 15 % le prix de la rançon payée au Bey 27. On comprend que les marchands français, italiens ou juifs, et le Consul de France même, ne dédaignent pas ce type d'opération.
Au total, les profits de la course expliquent que les Tunisiens n'y aient jamais renoncé. Tandis que les contemporains européens trouvent contradictoires l'activité corsaire et le commerce, les Tunisiens paraissent avoir encouragé parallèlement l'une et l'autre. L'armement en course est compris comme une opération commerciale 28 : association pour une campagne, comme on s'associe pour exporter des marchandises ; partage du bénéfice en fin de campagne ; dissolution de l'association.

C'est donc une société de commandite. Les armateurs principaux - Haj Younès ben Younès, Youssef Khodja, garde de sceaux, etc. - procèdent exactement de la même manière dans leur commerce avec le Levant 29. Que ces deux activités soient inséparables apparaît bien dans un sommier des biens immobiliers de la famille Djellouli 30. Les terres, écrit le notaire, " ont été acquises avec les revenus du commerce et de la course contre les Infidèles ".
Mutatis mutandis : la course a beau s'apparenter au commerce, elle conserve les apparences d'une guerre. Guerre " inférieure " 31, sans doute, mais elle fait encore des morts et des infirmes ; le prétexte religieux continue d'être invoqué, de part et d'autre ; les captures de chrétiens, l'insolence des corsaires, continuent d'alimenter les relations diplomatiques entre la Tunisie et les puissances européennes.

27. P. Grandchamp, La France en Tunisie, de 1701 à V avènement de la dynastie Husseinite, t. X, Tunis, 1933, fournit de très nombreux exemples de rachat pour les premières années du XVIIIe siècle. A. Riggio, " Schiavi Genovesi nell'archivio Veneto di Tunisi ", Giornale storico et letterario délia Liguria, anno XV, fasc. III, 1939 ; reproduit des actes de rachat de 1780 à 1783, où il apparaît que le bailleur de fonds ne perçoit que 2 % du prix du rachat.
28. C'est ce qui apparaît, dans le style laconique qui caractérise bien souvent la série de registres de recettes et dépenses, dans le n° 182 déjà cité des A.G.G.T.
29. A.G.G.T., registres du commerce, n° 2334 sqq., qu'on se propose d'analyser ultérieurement.
30. Archives privées, dont on ne saurait trop dire la richesse ; Sid Ahmed Djellouli a bien voulu nous en ouvrir l'accès, qu'il me permette de le remercier ici. N. B. - Les actes notariés relèvent d'un genre littéraire terriblement incolore et monotone. Une notation si insolite témoigne de la prudence du propriétaire, qui veut éviter le risque de confiscation des biens et les soupçons de concussion : les Djellouli cumulent en effet les charges administratives (caïdats de Sfax et souvent du Sahel), la rente foncière, et les revenus de la course et du grand négoce.
31. F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, nouvelle édition, Paris, 1966, t. 2, p. 190.

La traite des Noirs

C'est donc après combat que la mer livre les chrétiens. Pour les Noirs, au contraire, si leur réduction en esclavage se fait par la violence, on n'en perçoit aucun écho à Tunis. Les Noirs sont pur bétail, objet d'un commerce pluri-séculaire, qui suit les mêmes voies avec une triste régularité.
A quel rythme ? la périodicité des caravanes a dû varier. Annuelle suivant les uns 32, voire bisannuelle 33, ou plus fréquente encore 34, elle est plus rare suivant les autres 35. Quoi qu'il en soit, tous les témoignages s'accordent sur plusieurs points. D'abord sur la régularité du trafic ; en second lieu, sur la probité des caravaniers 36 (est-ce l'esprit des lumières qui trouve ici un terrain d'application au mythe du bon sauvage ? ou une idée reçue, que chacun va répétant, comme aussi la description du commerce muet aux confins du Sahara, reproduite depuis Hérodote 37, ou un reflet fidèle de la réalité ?). Enfin, sur les points privilégiés de ce commerce.
Point de départ : une zone qui s'étend, en gros, du lac Tchad au pays haoussa ; le Bornou, et Kano, apparaissent comme la région la plus régulièrement dépeuplée. Réduits en esclavage soit par enlèvement, soit par suite de guerres locales 38. Les Noirs montent vers le Nord par Zinder et Agadès. Vingt-cinq jours de marche les séparent de Ghat.
Le Fezzan, point de convergence des caravanes, reçoit aussi des Noirs du Darfour. Pris en charge par les Touareg, les esclaves sont acheminés vers la Tripolitaine par Mourzouk ; vers Ghadamès par Ghat.
A Ghadamès, nouveau centre de distribution, les caravanes se séparent en direction du Maroc, d'une part, de la Tunisie d'autre part.
De Kano à Tunis, changeant de maître à chaque grande étape, les Noirs auront franchi 3 000 km à pied, et par quel climat !

32. P. Grandchamp, La France en Tunisie..., t. X, p. 261, pièce 157 ; Dr Louis Franck, Tunis, Paris, Firmin Didot, 1885.
33. Peyssonnel, dans Peyssonnel et Desfontaines, Voyages dans la Régence de Tunis et d'Alger, Paris, Gide, 1838, vol. I, p. 78 ; De Saint Gebvais, op. cit., p. 322 ; Laugier de Tassy, op. cit., p. 180.
34. Mac Gill, Account of Tunis, London, 1811, p. 148.
35. Archives Nationales AE B1 1128, lettre du 11 décembre 1712 : " Lesquels viennent de six en six ans, ou de huit en huit ans à Tunis... " " Ce sont des maures de bonne foy... ".
36. Poiron, op. cit., p. 19 : " Le Cadensi ne revient quelque fois à Tunis qu'au bout de deux ans... et rend compte jusqu'au dernier sol de ce qu'il doit. " Cf. aussi la note précédente.
37. De Saint Gervais, op. cit., p. 322 ; Poiron, op. cit., p. 19.
38. Attesté sans solution de continuité, le trafic a toujours employé les mêmes voies : sur la zone de recrutement des esclaves et les méthodes utilisées : E. Zeys, Esclavage et guerre sainte, consultation adressée aux gens du Touat par un érudit nègre de Tombouctou au XVIIe siècle, Paris, 1900, extrait du Bulletin de la Réunion d'Études algériennes ; Caroni, " Relation d'un court voyage d'un antiquaire amateur... ", Revue tunisienne, 1917, n° 120, p. 47 ; M. Emerit, les liaisons terrestres entre le Soudan et l'Afrique du Nord au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, Travaux de l'Institut de Recherches sahariennes, t. XI, 1954, pp. 29-47 ; l'auteur cite un mémoire du XVIIIe siècle sur le Royaume du Fezzan (Arch. Nat. B7 462). L.-Ch. Féraud, " Délivrance d'esclaves nègres dans le Sud de la Province de Constantine ", Revue africaine, vol. XVII, 1872, p. 167 sqq. (recueille le témoignage direct d'un esclave). Gaston Jobard, V Esclavage en Tunisie, par un avocat du barreau de Tunis, Tunis 1890, 32 p. in-8°. Dr Richard Millant, L'esclavage en Turquie, Paris, 1912. Sur les étape" du voyage : aux art. cit. de Feraud et Emerit, ajouter, Arch. Nat. AE ?1 1128, lettre du 11 décembre 1712. Sur le Fezzan comme centre de convergence et de redistribution et le rôle des Touareg : J. Despois, Géographie humaine du Fezzan, Paris 1947, pp. 35-37, qui cite El Bakri et Ibn Khaldoun, pour le Moyen Age ; Peyssonnel, op. cit., p. 78 ; P. Grandchamp, La France en Tunisie..., t. X, p. 238 (pièce 99), p. 261 (pièce 157) ; M. d'Avezac, Études de géographie critique sur une partie de ? Afrique septentrionale, Paris, 1836 ; Emerit et Feraud, articles cités ; André Martel, Les confins saharo-tripolitains de la Tunisie (1881-1911), Paris, 1965, fournit de nombreuses références sur les pistes transsahariennes. Carte pour le xve siècle dans F. Braudel, op. cit., I, p. 167. La carte reste valable pour les siècles suivants. Enfin, sur Ghadamès : aux références ci-dessus, ajouter Arch, de Vincennes, Tunisie, carton 13 : 1847, Considérations sur les intérêts commerciaux de la France dans la région de Tripoli, par M. d'Alciati de Grilhon. L'auteur décrit longuement le commerce de caravanes et la ville de Ghadamès. Ses informations permettent de dresser le tableau ci-après.

Qu'au terme du voyage, il y ait encore des centaines de survivants, on peut s'en étonner 39. Pour certains, l'aventure n'est pas finie : de Tunis - de même que de Tripoli - ils sont envoyés au Levant et vendus pour la quatrième ou la cinquième fois 40. Alors, il ne s'agit plus de multitudes ; quelques individus seulement sont exportés ; la majorité reste sur place, où un marché d'esclaves fonctionne toute l'année. La vente, à la criée, est enregistrée par contrat, et le prix en est payé trois jours plus tard - quand l'acquéreur aura éprouvé la qualité de son esclave 41.
Pourtant ces transports annuels, ce commerce permanent, sont toujours affaire privée. L'état s'en désintéresse. Et dans le milieu du grand négoce même, la caravane de Ghadamès ne paraît pas provoquer de grand mouvement. Les Ghademsis sont misérables, et modestes les produits qu'ils prennent en échanges des leurs : principalement du laiton, dont ils prennent jusqu'à 100 quintaux au début du XVIIIe siècle 42, des draps grossiers, des verreries de Venise - la " couterie " des documents - des épices et des colorants, des bijoux de corail : au total, quelques milliers de piastres 43. Si la caravane est attendue avec une certaine euphorie par les négociants de Tunis, c'est donc moins pour l'ampleur des opérations auxquelles elle donne lieu, que pour la régularité, la sécurité de ce commerce, et ses moyens de paiement : " la venue de ces gens-là, réjouit d'autant plus nos négociants que ce sont des maures de bonne foy, qui n'apportent que de la poudre d'or pour faire leurs emplettes " 44.
Mais tandis que le volume du commerce général augmente, et que les prix montent, le trafic saharien ne progresse pas au XVIIIe siècle.
S'il continue d'obéir aux règles, et aux rythmes, les plus anciens, sa signification économique se dissout lentement. Économique, oui ; démographique, et, plus largement sociale, non pas : les Noirs continuent d'être arrachés à l'Afrique profonde, et ce mouvement, pour modeste qu'il soit, contribue à épuiser ses forces.
De ce double déplacement d'hommes convergeant vers Tunis, quel est le résultat ? Combien sont-ils, Noirs et Blancs, et quelle est leur répartition ?

39. Pour Tunis au début du XIXe siècle : Mac Gill, op. cit., trois caravanes par an, dont certaines apportent jusqu'à 200 esclaves. Franck, op. cit., 1 000 à 1 200 nègres par an. 7-800 esclaves arrivaient chaque année du Bornou au Fezzan (Arch. Nat AE B7 462, mémoire déjà cité, dans Emerit, art. cit.).
40. Cf. P. Grandchamp, La France en Tunisie, t. X, p. 27, pièce 106 ; p. 41, pièce 160 : chargement de Noirs pour la Canée, Chio et Smyrne (en 1702). Archives Nationales AE ? 1 1144. Marchandises prises par les Russes en 1770 et appartenant à un maure d'Alger : entre autres, 2 esclaves noirs. A.G.G.T., rég. 2344, année 1232, (1817) 18 esclaves envoyés à Istambul. Id., 1235, (1820) envoi de 2 esclaves. Franck, op. cit., p. 117. Dr Richard Millant, op. cit.
41. Franck, op. cit., p. 118.
42. Grandchamp, La France en Tunisie, t. X : Béranger écrit en 1702 qu'ils peuvent prendre jusqu'à 100 qx de laiton (p. 261, pièce 157) puis, en 1705, que la caravane a pris tout le laiton à 43 piastres le qal, et dépensé le reste de son argent en drap grossier, à 1 1/4 piastre le pic (p. 314, pièce 316). Ces indications nous donnent la mesure - très approximative - de ce commerce. Sans doute la traite sous-évalue-t-elle les produits d'Afrique par rapport à ceux d'Europe.
43. Peyssonnel, op. cit., p. 78 ; De Saint Gervais, op. cit., p. 322 ; Poiron, op. cit., p. 19 ; Laugier de Tassy, op. cit., p. 180 ; Mac Gill, op. cit. : " L'arrivée delà caravane ne cause pas de grande sensation dans le marché. "
44. Archives Nationales, AE B1 1128. Lettre du 11 décembre 1712.

Nombre et condition des esclaves aux XVIIIe et XIXe siècles
Le nombre des esclaves chrétiens au XVIIIe siècle et celui des Noirs au XIXe siècle

Pour les chrétiens, les évaluations des contemporains sont concordantes : ils sont peu nombreux, écrit le consul de France au début du siècle 45 ; 1400, pour Poiron (1752), qui pourrait bien approcher de la réalité puisque, en 1756, le consul de France évalue de 1 100 à 1 200 le nombre des esclaves enlevés par le Bey de Constantine 46. Le stock, qui n'était d'ailleurs pas épuisé, se reconstitue rapidement : environ 2 000 esclaves, en 1780 47 ; davantage au début du XIXe siècle, si l'on en croit Mac Gill 48.

45. Archives Nationales AE. B1 1127. Lettre d'Augier Sorhainde, 1706.
46. Poiron, op. cit., p. 000 ; Plantet, op. cit., vol. II, pièce 1106, 22 sept. 1756.
47. Anselme des Arcs, Mémoire pour servir à l'Histoire de la mission des capucins dans la Régence de Tunis, Rome, 1889, p. 86.
48. Op. cit., pp. 76-77, estime à 2 000 le nombre des seuls Napolitains en esclavage.

Quoi qu'il en soit, ces chiffres sont toujours inférieurs à ceux avancés pour le XVIIe siècle 49 qui se situent entre 6 000 et 12 000. Et puis, les effectifs varient, au hasard des opérations de rachat, des prises heureuses, des guerres. Voici qu'en 1708, les Algériens envoient à Tunis 200 Espagnols pris au siège d'Oran et les vendent au prix fort 50. En retour, après le siège de Tunis, en 1756, ils emportent presque tous les esclaves de la ville, sans bourse délier 51. De leur côté, les Tunisiens font plusieurs coups de filet heureux : victoire sans gloire sur Tabarca, dont toute la population - plus de 800 individus - est, par surprise, réduite en esclavage et transportée à Tunis en 1741 52 ; véritable raid sur l'île Saint-Pierre, d'où un millier d'hommes, femmes et enfants sont arrachés en 1798 traînés à Tunis, décimés par les épidémies 53.

49. 10 000, selon Mesnage, l'Afrique chrétienne, Paris-Alger 1915. 7-8 000, pour Coppin, le bouclier de l'Europe. 6 000, pour Jean Le Vacher, in revue de l'Histoire des missions, t. I, 1924, pp. 232-242. 10-12 000, dans Thévenot, Voyages de M. de Thévenot au Levant, t. II, 3e édition, 1727, Amsterdam.
50. Archives Nationales AE B1 1127. Lettres de Sorhainde, 10 juin 1708 et 12 janvier 1709.
51. Plantet, op. cit., t. II, pièce 1106, de Sulauze à Macault ; Dr Albert Sacerdoti, " L'esclavage chrétien en Barbarie au xviii6 siècle ", Revue Africaine, 1949, pp. 133-139, premier document : Alger, 1758.
52. E. Plantet, op. cit., vol. 2, pièce 702.
53. Registre de l'Église Sainte-Croix de Tunis, n° 56. En septembre et octobre 1798, plusieurs enfants de l'île Saint-Pierre meurent d'une épidémie de variole ; puis la peste frappe quelques femmes. Sur cet épisode, abondante bibliographie dans S. Bono, op. cit., p. 180 sqq. Cf. aussi G. Loth, " Le pillage de Saint-Pierre de Sardaigne par les corsaires tunisiens en 1798 ", Rev. tunisienne, 1905, XII, pp. 9-14.

Ce sont les prises les plus spectaculaires ; mais les sorties bisannuelles des corsaires tunisiens pourvoient bien plus sûrement, plus régulière ment, le marché d'esclaves. Pour le règne d'Hamouda Pacha, pendant lequel on a vu la course prospérer, les relevés statistiques ne manquent pas : Dans le premier sont notés les prises, achats par le Bey, rachats, etc. 54 : au total 474 esclaves acquis entre 1785 et 1795 aux dépens de l'Italie, de Malte, - de la Grèce, à peine. La statistique du Père Anselme des Arcs 55 est plus pessimiste : de 1786 à 1796, 776 Napolitains et Siciliens seraient tombés en servitude. Dans la liste publiée par Riggio, à peu près contemporaine, on atteint environ 600 esclaves pour le Bey et son entourage 56. Mais ce recensement est incomplet, et Grand champ aurait trouvé une note des esclaves d'Hamouda Pacha, datée de 1797, contenant plus de 1 500 noms 57. Il s'agit des seuls esclaves du Bey.

54. A.G.G.T., série des recettes et dépenses, registre 123. On n'a pas retenu les répétitions. Voici le sort subi par les esclaves :
Affranchis par rachat 92
Libérés 2
Échangés 2
Reniés 2
Envoyés en cadeau à l'Ouest 2
Morts en esclavage 28
Les autres sont encore esclaves en 1795. Pour les huit années suivantes, le registre 276 fournit des informations semblables sur près de 700 esclaves et indique sommairement leur répartition dans différents chantiers du gouvernement.
55. Op. cit., p. 87. Cf. aussi S. Bono, op. cit., p. 306, note 84, 677 esclaves siciliens à Tunis en 1804.
56. A. Riggio, " Un censimento di schiavi in Tunisia ottoeentesca ", Archivio Storico per la Calabria e la Lucania, an VIII, 1938, fasc. III-IV, pp. 333-352. Le même auteur, dans un. article sur " Mariano Stinca ", id., 1943, fasc. III, pp. 171-183, attribue à cet esclave le recensement en question.
57. Riggio, art. cit., annonce la publication de cette note. A ma connaissance, elle n'a pas eu lieu.

Ainsi, les esclaves chrétiens formeraient, en gros, à la fin du XVIIIe siècle, une masse de 1 000 à 2 000 individus, les prises annuelles étant partiellement compensées par les opérations de rachat.
Quant aux Noirs, les données quantitatives les concernant ne manquent pas, mais elles sont tardives. Elles sont fournies par les registres de capitation du gouvernement tunisien 58. Les recensements, effectués à partir de 1856, permettent d'évaluer approximativement le nombre des esclaves et affranchis : sous le nom de chaouachine, 'atiq, ou 'abid, ils figurent à part, et en fin de liste, dans les registres des différentes collectivités 59. Ces premières données sont complétées par un recensement systématique des esclaves fait en 1861. Après corrections 60, on aboutit à un effectif de 6 à 7 000 esclaves ou descendants d'esclaves, répartis dans tout le pays. Voir carte. Ajoutons-y Tunis, qui est certainement le point de plus grande concentration, mais qui échappe totalement au recensement 61. Si les Noirs sont peu nombreux dans le centre de la Régence, le Sud est mieux pourvu : dans une région relativement moins peuplée que le Sahel et le Nord, plusieurs villages ou tribus comptent des centaines d'esclaves. Au total cependant, leur poids démographique est faible - la Tunisie aurait alors un peu plus d'un million d'habitants 62 et, sans doute, leur rôle dans la production.

58. A.G.G.T., registre 621 à 1021. Cette série a fait l'objet d'une publication où on trouvera la critique de la source, et les coefficients à adopter pour le calcul de l'ensemble de la population : J. Ganiage, " La population de la Tunisie vers 1860. Essai d'évaluation d'après les registres fiscaux ", in Études maghrébines. Mélanges Charles-André Julien, Paris, P.U.F. 1964, pp. 166-198. Repris dans Population, sept.-oct. 1966, pp. 857-886.
59. Les esclaves sont signalés dans une trentaine de registres dont il serait trop long de donner les références ici. Retenons les plus précieux : n° 800 et 819 recensement des esclaves ; le second est la réplique du premier. N° 925 et 1021 fournissent les recensements de Sousse et Sfax, quoique ces villes aient bénéficié de l'exemption.
60. Nous reprenons ici le coefficient 4 proposé par J. Ganiage, art. cit., pour les recensements les plus anciens (1272 à 1276 Hégire) ; pour les recensements plus tardifs, nous retiendrons le coefficient 5.
61. Autre lacune : Kairouan, dispensée de l'impôt comme les autres grandes villes.
62. J. Ganiage, art. cit.

Place des esclaves dans la société tunisienne

Ce rôle, on le devine à la simple lecture de la carte : d'une manière quasi générale, les Noirs sont des esclaves domestiques. Ils sont trop peu nombreux dans les régions agricoles - et même dans les oasis - pour être la main-d'œuvre préférée. Au contraire, leur présence dans toutes les villes est liée à celle d'une bourgeoisie aisée. Dans l'un et l'autre cas, leur condition est modeste. On ne connaît pas de cas de promotion sociale de ces esclaves. Sans doute quelques-uns deviennent-ils saints, et l'hagiographie locale rapporte leurs miracles ; tel Sidi Saad el Chouchane, gardien d'un domaine dans la plaine du Mornag, qui veut un jour prendre l'araire des mains d'un laboureur ; or voici que l'araire se met en mouvement spontanément 63.
La légende témoigne simplement de la présence familière des esclaves noirs dans la société tunisienne. Mais pas un d'entre eux ne devint jamais ministre. Et surtout, leur esclavage est sans issue : aucun espoir d'être jamais racheté ou rapatrié. Au mieux, ils sont affranchis, notamment à la mort de leur propriétaire : ainsi, la mort du Bey, en 1835, libère 600 femmes et 200 hommes, qui suivent la dépouille de leur maître, portant au bout d'une perche leur lettre d'affranchissement 64. Pour être rarement signalé dans les documents, le fait n'en est pas moins habituel 65. De sorte que les Noirs peuvent reprendre racine en Tunisie et - avant l'abolition de l'esclavage - se fondre dans la population tunisienne, et même accéder à la propriété 66.

63. Arch. du Ministère de la Guerre, Tunisie, carton 30 : Rapport des officiers d'affaires indigènes, caïdat du Mornag, 1886, Sidi Saad el Chouchane fait aussi mourir étouffés les voleurs de bétail.
64. R. Btjrgakd, " Semilasso en Tunisie (Voyage du prince Puckler Muskau en 1835) ", Revue tunisienne, n° 10, 2e trimestre, 1932, pp. 217-243, cf. p. 224.
65. Cf. De Saint Gebvais, op. cit., p. 189.
66. A.G.G.T., dans la série du Kanoun des Oliviers j'ai vu des affranchis propriétaires à Gabès, El Alia près de Bizerte, etc., dans la première moitié du XIXe siècle.

Mais toujours, leur condition est inférieure 67. Tel n'est pas le cas des esclaves chrétiens, auxquels toutes les perspectives sont offertes : le viol, la torture, une place dans la chiourme, sans doute ; mais, pour d'autres, le retour à la liberté, ou une situation sociale favorisée à la cour du souverain. Contentons-nous d'un exemple. Sous le règne d'HamudaPacha, les personnages les plus en vue sont des esclaves : son premier Ministre, Mustapha Khodja, affranchi ; Youssef Khodja, garde des sceaux ; Soliman Kahia, qui conduit le camp chargé de percevoir les impôts ; Mariano Stinca, napolitain, secrétaire. Quant aux épouses, il en aurait six en 1784 : quatre Géorgiennes, une Grecque, et une Sarde ; toutes converties à l'Islam 68.
Ces esclaves n'ont pas tous été fournis par la course. Car on n'a pas épuisé la réalité quand on a signalé la servitude des Chrétiens pris en course, et celle des Africains. Un autre type d'esclaves existe, qui présente des analogies avec les premiers et les seconds : ce sont les esclaves blancs importés de Méditerranée orientale. Comme les Noirs, ils sont objet de commerce, ils ne sont pas rachetés ; ils entrent dans la famille qui les acquiert et font souche. Mais leur condition est moins vile que celle des Noirs : produits de luxe, leur éducation est soignée ; les femmes sont destinées à être épouses des grands ; les hommes, hommes de confiance de leur maître. De ce trafic, on sait peu de choses : symétrique de la traite des Noirs, il paraît suivre des voies aussi anciennes. Ces esclaves blancs, vendus et transportés dans tout l'Empire Ottoman sont Géorgiens ou Circassiens 69.
Sans doute ces transferts n'ont-ils pas un caractère massif. Mais esclaves venus de Méditerranée orientale, Chrétiens pris en course, renégats, constituent finalement autour du Bey un micro-milieu qui gouverne la Régence 70. Et le fait n'est certainement pas indifférent pour l'histoire des relations entre le pouvoir central et le plat pays.

67. Sont-ils maltraités ou non ? La réalité est certainement aussi diverse que les témoignages. De même pour les chrétiens ; la littérature édifiante, d'origine généralement ecclésiastique, ne parvient pas à étouffer les voix discordantes. Les historiens ont fait justice des différentes opinions, cf. Y. Debbasch, La nation française en Tunisie (1577-1835), Paris, 1957, pp. 109-119 ; J. Pignon, " L'esclavage en Tunisie de 1590 à 1620 ", Revue tunisienne, 1930, pp. 18-37 ; 1932, pp. 345-377 ; Ch. Serfass, Les esclavages chrétiens au Maroc du XVIe au XVIIe siècle, Paris, 1930. Sur la condition des Noirs au Maroc, très différente de celles des esclaves tunisiens. Voir : N. R. Bennet, " Christian and negro slavery in eighteenth century North Africa " Journal of African History, 1, 1960, pp. 64-82 ; Le Tourneatj, Fès avant le Protectorat,1 949, pp. 200-203 ; H. Terkasse, Histoire du Maroc, II, 1950, pp. 256-257. Cf. enfin l'article récent de M. Moksy, h Moulay Isma'il et l'armée de métier ", Rev. ?hist. mod. et contemp., avril-juin 1967, t. XIV, pp. 97-122.
68. Pour tous ces personnages, voir, entre autres, Mac Gill, op. cit., pp. 29-33 ; P. Gkandchamp, " Une relation vénitienne de l'année 1784 sur les Régences de Tunis, Alger et Tripoli ", Revue tunisienne, 2e trimestre 1932, n° 10, p. 246 sqq. Exemple célèbre et plus récent, celui de mustapha Khaznadar, Grec de Chio, vendu à Constant inople, revendu à Tunis, converti à l'Islam et élevé avec le prince et futur bey Ahmed ; J. Ganiage, Les origines du Protectorat français en Tunisie, Paris, 1959, p. 91.
69. Dans l'exemple cité plus haut, Mustapha, Khodja, Soliman Kahia, sont géor giens. Cf. Millant, op. cit., IS Encyclopédie de VIslam, art. Abd, signale l'esclavage des Blancs de la mer Noire dans le Moyen Age musulman. Pour le xvie siècle, voir Braudel, op. cit., I, pp. 175, 356 ; et pour le xvne siècle, R. Mantran, Istambul dans la deuxième moitié du xvii8 siècle, Paris, 1962, pp. 106-109 et 506-509.
70. Ce milieu a sa langue, la lingua franca commune, avec des variantes, à tous les ports méditerranéens. Voici quelques échantillons de la graphie arabe de mots francs :
"

Le prix des esclaves

Le contraste entre la condition des Blancs et celle des Noirs, se traduit - cyniquement - dans le prix des esclaves (voir courbes 1 bis).
Les courbes appellent trois remarques :
1° La hausse des prix frappe l'homme, comme toutes les autres marchandises 71.
2° Le Bey fait un bénéfice de 100 à 200 % sur le commerce des Chrétiens. Les prix baissent cependant brutalement quand l'opération de rachat est très vaste : ainsi, en 1720, pour 60 esclaves rachetés 72 et surtout en 1803, pour la libération de plus de mille esclaves 73. Mais ce n'est pas une règle absolue. En 1729, les Pères de la Mercy rachètent 127 esclaves au prix élevé de 1700 livres 74. Au contraire, la rançon monte brutalement quand l'esclave est un homme de qualité 75.
3° Enfin les Noirs coûtent toujours moins cher que les Blancs, encore que la moyenne retenue pour la courbe masque des écarts importants entre le prix des hommes et celui des femmes 76. Mais le prix le plus élevé pour un Noir n'atteint pas le prix d'un Chrétien acheté par le Bey. De cette différence, rendent compte une certaine dose de racisme, la différence de niveau technique entre Blancs et Noirs, et enfin la différence de niveau économique entre pays fournisseurs.
L'Europe peut payer plus cher le rachat de ses hommes, alors que l'Afrique envoie les siens au marché comme bétail.

71. Le fait déjà relevé par J. Mathiex, " Trafic et prix de l'homme en Méditerranée, aux XVIIe et XVIIIe siècles ", Annales E.S.C., 1954, p. 157 ; 164 ; et par S. Bono, op cit., se vérifie ici.
72. Pjlantet, op. cit., p. 131.
73. Arch. Nat. ??. ? II 304, Rachat des esclaves de l'île Saint-Pierre : 310 captifs rachetés par le roi de Sardaigne à 500 piastres l'un. 769 autres rachetés par le consul de Hollande à 1 168 piastres (1 piastre tunisienne = 33 sols).
74. Arch. Nat. AE. ?1 1132. Le prix et le taux de change ont été convertis en livres de France, monnaie dont le cours est connu au xviii6 siècle. Les taux de change de la piastre tunisienne et de la livre ont été fournis par différents fonds d'Archives : Archives de la Chambre de Commerce de Marseille ; Archives Nationales (Aff. Étr.) A.G.G.T. (série des Recettes et dépenses).
75. Par exemple, en 1735, deux bourgeois de Menton paient leur rachat 1 800 piastres tunisiennes (Arch. Nat. AE ?1 1133), cf. aussi A. Riggio, " l'aventuroso riscato del principe di Paterno (settembre-dicembre 1797) ", Archivio Storico siciliano, séria terza, vol. 2, 1948 ; S. Bono, op. cit., p. 403 sqq.
76. Les prix que nous avons trouvés dans les archives sont plus élevés pour les hommes que pour les femmes ; Franck, op. cit., affirme pourtant le contraire ; Caroni, op. cit., p. 47, note la différence de prix entre esclaves blancs et noirs.

La fin de l'esclavage

L'Europe enfin arrive à imposer aux Barbaresques la fin de la course et de l'esclavage des Chrétiens. L'Afrique, elle, n'oppose aucune résistance à la traite et ce sont le Bey de Tunis et les puissances européennes qui y mettent un terme.
Première vague de libération : elle est due à la France qui, par l'annexion de la Corse, puis par son expansion en Méditerranée pendant la période consulaire et impériale, arrache à la servitude des foules d'esclaves et rend impossible - du moins en temps de paix avec la Régence - la saisie de bâtiments et de sujets désormais français 77.
Au retour de la paix en Europe, il suffit de la démonstration navale de Lord Exmouth en 1816, pour porter à la course un coup mortel 78.
Sans doute des infractions seront-elles encore commises, comme en témoignent les registres d'armements publiés par Granchamp. Sans doute aussi met-on la guerre à profit pour se fournir en esclaves aux dépens de la Grèce 79. Mais on peut dire qu'avec le premier tiers du XIXe siècle, et sous la pression des grandes puissances, la course barbaresque a cessé d'exister.
Les Tabarquins qui avaient été, d'une certaine manière, res nullius, subissent le même sort que les Chrétiens pris en course. Réduits en esclavage en 1741, ils avaient vécu en Tunisie dans une condition singulière : chrétiens, mais sujets du Bey (les registres de Sainte Croix les nomment Tabarquins, puis Tunisiens, et non pas Génois) ; à la fois italophones et arabophones ; esclaves, mais exerçant en liberté une activité d'artisans ou de boutiquiers, moyennant une redevance à leur Maître 80. En réalité, même s'ils ne relevaient plus d'aucune nation européenne, l'Europe chrétienne ne les avait pas oubliés, et d'opération de rachat en opération de rachat, leur nombre se réduit et ils sont rendus à la liberté, et à l'Italie 81.

77. Des 84 Corses détenus à Tunis en 1770 (Arch. Nat. AE ?1 1144) il ne reste plus que la moitié en 1776 (id. AE B1 1147) ; 314 Corses sont rachetés à Alger en 1785 (id.AE Bill 321). En 1797, le bey libère 18 Français, en échange de la libération, sur ordre du Premier Consul, des Tunisiens esclaves à Livourne (id. AF III 74) l'année suivante, Bonaparte rend la liberté aux 2 000 Barbaresques trouvés esclaves à Malte.
78. P. Anselme des Abcs, op. cit. ; A. Riggio, " Relazioni délia Toscana Granducale con la Reggenza di Tunisi (1818-1823), " Oriente Moderno, anno XX, n° 3, mars 1940, pp. 93-124.
79. G. Davies, " Greek slaves at Tunis in 1823 ", English historical review, XXXIV, 1919, p. 84-89.
80. A. Riggio, " Cronaca tabarchina dal 1756 ai primordi dell ottocento ricavata dai registri parrochiali di Santa Croce in Tunisi ", Revue tunisienne (VIII, 1937, pp. 353-391. P. Anselme des Abcs, op. cit., p. 45-46 ; Poikon, op. cit., p. 17.
81. Une centaine sont échangés en 1751 ; il en resterait 540 à Tunis. En 1756, ils sont transportés à Alger, où près de 300 sont rachetés douze ans plus tard. (Bono, op. cit., p. 315). Mais il en subsiste à Tunis (cf. Registres de Sainte-Croix bien après cette date) et, à la fin du xixe siècle, le P. Anselme des Arcs signale encore l'existence de descendants de ces Tabarquins.

Au contraire, les Blancs vendus dans le Bassin oriental de la Méditerranée ne se libèrent pas aussitôt. Dans tout l'Empire Ottoman, il semble bien que leur esclavage ait continué à se faire pratiquer discrètement, jusqu'à la première guerre mondiale, malgré sa prohibition en 1909 82.
Mais c'est la traite des Africains qui a duré le plus longtemps et résisté avec entêtement aux interdictions légales. La Régence pourtant, précédant Constantinople interdit l'esclavage des Noirs en 1843 83. Et de fait, en 1850, un témoin rapporte qu'il n'est plus venu de caravane de Ghadamès depuis 1847 84. En réalité un commerce de contrebande continue de fournir la Tunisie en esclaves noirs, jusque dans les premières années du Protectorat. Dans le Sud, leur introduction pouvait se faire sans difficulté, et elle est encore attestée en 1885 85. Au nord, où le contrôle des autorités françaises devait gêner leur mouvement, les marchands ont recours à des ruses : les esclaves sont transportés dans de grandes couffes qui les dissimulent au regard ; aux abords de la capitale, on les déguise en notables, pour tromper la vigilance des gardiens de la ville - lesquels ferment les yeux, si on sait les gagner. Ce trafic clandestin réussit à inquiéter l'opinion et, à la suite d'une campagne de presse 86 une nouvelle loi est promulguée.

82. Millant, op. cit., p. 40.
83. P. Zeys, Code annoté de la Tunisie, vol. I, p. 384 reproduit le texte du " décret prescrivant l'affranchissement des esclaves et ordonnant des mesures pour ce faire ".
84. Arch. Nat. F17 2657 ?, Ducouket, Rapport général sur la régence de Tunis.
85. Arch, du Ministère de la Guerre, Tunisie, carton 29, rapport sur Tozeur.
86. Dans la Tunisie (les articles sont reproduits dans G. Jobard, op. cit., et La Dépêche tunisienne, année 1890, 31 janvier et 8 juin ; année 1892, 5 février et 16 avril).

L'effet n'en fut ni immédiat, ni décisif. Et puis, dernier succédané de l'esclavage, l'immigration de domestiques libres perpétue le lent mouvement de dépeuplement de l'Afrique.
Les autres routes, cependant, continuent d'être suivies. L'exportation des Noirs en Méditerranée, loin de se ralentir, paraît avoir connu une ampleur aggravée par la modicité des prix et la sécurité des moyens de transport modernes, d'une part ; par la fin de la traite en direction du Nouveau Monde, d'autre part. Jusqu'à la Grande Guerre, au mépris des lois - et du pavillon britannique qui surveille les mers - les Noirs sont transportés de Benghazi et de Tripoli au Caire, à Smyrne et à Istanbul. Là, beaucoup échappent à leur condition en se réfugiant dans les ambassades pour obtenir le respect des firmans. Mais libres, avaient-ils d'autre espoir que celui d'être employés comme domestiques ? 87

87. Cf. Dr R. Millant, op. cit.

Résumons-nous : Tunis compte, à la fin du XVIIIe siècle à un moment où la course prospère de nouveau, quelques centaines d'esclaves chrétiens. Alger, combien plus redoutable, n'en a pas davantage, et Tripoli, fort peu 88. Pour le reste du butin rapporté par les corsaires, reconnaissons qu'il n'est qu'un bric-à-brac. Croit-on vraiment que les États corsaires aient vécu de ces rapines ? Répétons-le : comme armateur, le Bey n'a pas cessé de s'enrichir du produit de la course ; mais comme chef d'État, nul doute qu'il ait puisé à d'autres fonds le meilleur de ses ressources. Le plat pays, en fournissant et le produit des impôts, et les denrées à exporter, alimentait plus généreusement le trésor.
Pour les Noirs, on l'a vu, ni leur nombre, ni leur niveau technique ne saurait faire d'eux une force de travail irremplaçable. Non, l'esclave n'est plus le capital le plus précieux. Mais ces mouvements - transports d'esclaves blancs de la mer Noire et des Noirs du continent africain - sont presque aussi vieux que l'histoire de la Méditerranée tout comme la course elle-même 86. Les mêmes routes sont suivies, les mêmes méthodes employées pour capturer l'homme. Cette fidélité à de vieilles formules est un des aspects de l'archaïsme de la société tunisienne, et, plus largement, maghrébine. Que ces activités aient pu, un moment, relever de la grande histoire, le fait est sûr. Au XVIIIe siècle, la hardiesse des corsaires peut terroriser les malheureuses populations des rives italiennes de la Méditerranée ; elle ne marque, à tout prendre, qu'une résistance obstinée au changement, un respect entêté des règles d'un jeu devenu sans objet.

88. S. Bono, op. cit., p. 220.

Valensi Lucette. Esclaves chrétiens et esclaves noirs à Tunis au XVIIIe siècle. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 22e année, N. 6, 1967. pp. 1267-1288.
doi : 10.3406/ahess.1967.421864
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1967_num_22_6_421864

Ndlr : Les photos sont de sources diverses, seuls les graphiques et tableaux font partie de l'article cité.

Abolition

Avant de procéder à l'abolition définitive de l'esclavage, Ahmed I Bey a, le 29 avril 1841, un entretien avec Thomas Reade qui lui conseille d'interdire ce commerce. Convaincu de la nécessité d'une telle action, étant lui-même fils d'une esclave et considéré comme un prince ouvert au progrès prompt à réprimer toute forme de fanatisme, il décide d'interdire l'exportation des esclaves le jour même de sa rencontre avec Reade.
Procédant par étapes, il ferme le marché aux esclaves de Tunis en août et annonce, en décembre 1842, que toute personne née dans le pays est désormais libre. Pour parer à toute forme de mécontentement, il obtient au préalable des fatwas des oulémas dont celle, catégorique et sans précédent dans le monde arabo-musulman, du bach mufti Sidi Brahim Riahi.
L'abolition totale est décidée pour tout le pays par le décret du 23 janvier 1846. Il n'en reste pas moins que même si cette abolition est acceptée par la population citadine, elle est rejetée — selon Ibn Abi Dhiaf — à Djerba, chez les Bédouins et les paysans qui ont besoin d'une main d'œuvre servile et bon marché.

Ces résistances justifient la deuxième abolition décidée par les Français, sur décret d'Ali III Bey, le 28 mai 1890.
Ce décret promulgue en effet des sanctions pécuniaires (sous forme d'amendes) et même des sanctions pénales (sous forme d'emprisonnements) pour ceux qui continuent à alimenter le commerce des esclaves ou à maintenir en esclavage leurs serviteurs ou leurs domestiques.
L'historiographie coloniale tentera d'ailleurs d'effacer la mémoire de la première abolition et mettra en relief la deuxième abolition.
http://fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/593753 (extrait)

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Mis en ligne le 30 mai 2015

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