Abou Abd-Allah Mohammed ben Toumart, fondateur de cette dynastie, était originaire de la tribu berbère des Masmouda, établie Taroudant, dans le désert du Maroc. Il prit le surnom d'El-Mandi, et s'attribua la qualité d'imam, comme descendant d'Ali ben Abou Thaleb, gendre du prophète. Cette généalogie est contestée. Les commencements des nouveaux maîtres de l'Afrique ressemblent beaucoup à ceux des Almoravides.

Abou Abd-Allah aimait l'étude, et il était allé s'instruire en Orient auprès des plus célèbres philosophes. Lorsqu'il retourna dans le Maghreb, partout où il passait il enseignait les sciences et prêchait contre les vices, affectant dans ses habitudes le mépris des biens de ce monde. Il rencontra à Tlemsen un Berbère de la tribu des Zenata, nommé Abd-el-Moumen ben Ali ; il se l'attacha; lui confia tous ses desseins, et le choisit pour son ami et son second. A Fès d'abord, puis au Maroc il prêchait contre les abus, parcourant les rues et brisant les instruments de musique. L'émir almoravide qui régnait alors (514 de l'hégire) le fit comparaître en sa présence, et lui demanda pourquoi il en agissait ainsi : " Je suis un pauvre homme, lui répondit Abou Abd-Allah, et cependant il est vrai que je m'arroge vos droits ; car ce serait à vous, chef du pays, à extirper les vices. " Obligé de sortir de la ville, il se retira dans un cimetière, où il dressa une tente au milieu des tombeaux. Là il continua ses enseignements, et commença à dénigrer les Almoravides, les traitant d'ignorants et d'infidèles, et se donnant pour le véritable El-Mahdi attendu par les musulmans. Quinze cents personnes se déclarèrent aussitôt ses partisans.

L'émir ayant pris de l'ombrage de ces progrès, il dut se réfugier à Tinrnal, ville située dans la chaîne du Deren au sud de Maroc, appartenant à une fraction de la tribu des Masmouda. Une foule considérable se rallia à ses doctrines ; El-Mahdi leva le masque, se fit proclamer souverain, et fut reconnu par tous les habitants de ces montagnes. C'était en, 515 de l'hégire (1121 de J. C.). Il donna le nom de El-Mouaheddin (les unitairiens ), dont les écrivains espagnols ont fait Almohades, à ceux qui se rangèrent sous son obéissance, et composa en langue berbère un traité sur l'unité de Dieu et sur les devoirs imposés à ses disciples ; il employa tous ses efforts à se rendre entièrement maître de l'esprit de ces tribus. Il réunit ainsi plus de vingt mille combattants, et attaqua les Almoravides.
La première rencontre lui ayant été favorable, il poursuivit l'ennemi avec vigueur, et en quelques années parvint à asseoir son autorité sur des bases solides. A sa mort il désigna Abd-el-Moumen pour son successeur.

Abd-el-Moumen était fils d'un ouvrier qui fabriquait des soufflets de forge ; il est le représentant le plus illustre des races berbères qui régnèrent sur l'Afrique. Le nouveau khalife partit bientôt de Tinmal, à la tête de trente mille hommes. Rien ne résista à l'ardeur guerrière de ces sectaires fanatiques ; ils s'emparèrent de Tadila, ville appartenant aux Haouara, de la province de Draa, comprise entre Sous et Sedjelmeça. Le Maghreb-el-Aksa fut bientôt presque entièrement soumis. Abd-el-Moumen se porta alors vers l'est ; en 540 (1146 de J. C.) il se rendit maître de Tlemsen et d'Oran ; en 541 il prit Fès ; en 542, Maroc ; en 543, Sedjelmeça. Il envoya ensuite en Espagne une armée qui arracha aux Almoravides Méquinèz, Cordoue et Jaën. En 544 (1151 de J. C.) il enleva Miliana, Alger, Bougie, Bône et Constantine aux Beni Hammad, princes de la branche cadette des Zirites, qui possédaient ces contrées(1).
En 551 les habitants de Grenade le reconnurent. Deux ans après, ayant rassemblé des forces considérables, il se dirigea vers l'Afrique orientale ; il envahit le Zab, massacrant les populations qui refusaient de se soumettre à lui. Il s'empara de Tunis, de Kairouan, de Sfax, de Mahdia, où il passa au fil de l'épée les chrétiens qui s'étaient établis dans cette ville après la conquête de Roger roi de Sicile. Enfin en 555 (1162) il avait chassé les Siciliens de tous les points qu'ils occupaient en Afrique, et où il était maître du Maghreb depuis Barka jusqu'à l'océan Atlantique.

L'organisation donnée à ces vastes contrées prouve qu'Abdel-Moumen était aussi bon administrateur que grand général. Il fit arpenter l'Afrique depuis Sous la plus occidentale jusqu'à Barka. On déduisit du total de la superficie, un tiers pour les montagnes, les lacs, les rivières, et le reste fut imposé, chaque tribu devant payer sa contribution en nature. Il interna dans le Maroc mille familles de chaque grande tribu. Il créa une marine militaire de près de sept cents voiles. L'administration supérieure du pays était confiée à un conseil composé de dix membres et assisté d'une assemblée de soixante-dix des principaux chefs berbères. La pacification de tout le Maghreb étant achevée, Abd-el-Moumen prêcha la guerre sainte, et rassembla toutes ses forces pour envahir l'Espagne, dont il ne possédait encore que quelques villes. La mort le surprit au milieu de ces préparatifs en 558 (1165 de J. C.). Ce prince était un grand orateur et un savant distingué ; il fonda des universités et des écoles pour l'enseignement des doctrines des Mouaheddin.

Sous le règne d'Ioucef, fils d'Abd-el-Moumen, les Almoravides, dont les débris s'étaient réfugiés dans les îles Baléares, firent d'impuissantes tentatives pour reconquérir quelques points dans le Maghreb-el-Aksa et dans le Maghreb-el-Ouassath. Les Zirites à l'est ne furent pas plus heureux. Il eut à réprimer des troubles suscités par la jalousie de ses frères et les révoltes des Berbères Ghoumera, toujours prêts à se soulever dès qu'une autorité vigoureuse cessait de peser sur eux. Il étendit les conquêtes de son père en Espagne, et s'empara du royaume de Valence. Ce prince régna pendant vingt-deux ans, principalement occupé de l'administration de ses sujets. Son fils Iakoub, qui lui succéda, mérita le surnom d'El-Mansour (le victorieux), à cause des succès qu'il remporta en Espagne.

Les premières années de son règne firent consacrées à réprimer des révoltes. Ali-e1-Miorki (de l'île de Majorque) avait opéré un débarquement entre Bougie et Tunis, et s'était emparé de Tunis, de Mahdia et de plusieurs autres villes ; ce prétendant souleva un grand nombre de tribus contre la domination des Almohades et se plaça sous le patronage des khalifes d'Orient. Iakoub marcha contre les rebelles, les fit rentrer dans le devoir, et força El-Miorki à chercher un refuge dans le désert. Mais pendant qu'il apaisait les troubles dans l'est, le gouverneur de Tlemsen, exploitant la haine des Arabes contre les Berbères, voulut se rendre indépendant. De ce côté aussi l'ordre fut rétabli, et le vainqueur transporta sur les bords de l'Océan une grande partie des tribus arabes qui peuplaient la province de Tlemsen ; quelques-unes d'entre elles, pour se soustraire à cette punition humiliante, préférèrent s'enfoncer dans le désert, ou elles s'allièrent à des populations nomades que leur éloignement des sièges de l'autorité laissait à peu près indépendantes.

L'Afrique étant pacifiée, Iakoub tourna ses vues vers l'Espagne. A ce moment il apprit qu'Alphonse de Castille avait envahi le territoire musulman et était arrivé jusque sous les murs d'Algésiras. L'émir des Almohades proclama aussitôt la guerre sainte, et passa en Espagne à la tête d'une armée nombreuse, composée de l'élite des guerriers de l'Afrique. Il rencontra les chrétiens dans les plaines d'Alarcon, et les tailla en pièces. Cette bataille eut lieu en 591 de l'hégire (1195 de J. C.). A la suite de cette grande victoire Iakoub s'empara de Séville, de Calatrava, de Guadalaxara, de Madrid et d'Escalona ; il mit en vain le siège devant Tolède, et retourna en Afrique, sans avoir tiré de l'important succès qu'il avait remporté tout le résultat que l'affaiblissement des chrétiens aurait pu lui faire alors obtenir. Arrivé dans sa capitale, il abdiqua en faveur de son fils, En-Nacer, et rentra dans la vie privée. Il mourut peu de temps après, l'an 595 (1199 de J. C.). La cour de ce prince fut le rendez-vous des hommes les plus célèbres de cette époque.

Parmi les savants qu'il combla de ses faveurs on remarquait : Ebn-Roch (Averroès), le traducteur d'Aristote, et Ebn-Zohar (Avenzoar), son médecin , dont la renommée a survécu à la puissance des Almohades. Pendant le règne de ce prince on vit pour la première fois paraître en Afrique des hordes turques, venues du Kurdistan, et qui avaient quitté l'Égypte en 568 de l'hégire (1172 de J. C.). Cette petite invasion, grossie d'une grande quantité d'Arabes, se rendit maîtresse de Tripoli et de quelques autres villes.

Mohammed En-Nacer, fils et successeur d'Iakoub eut aussi dès le début de son règne une insurrection à combattre.
El-Miorki avait reparu dans la province de Tunis, et avait fait en peu de temps des progrès considérables. En-Nacer se porta en personne contre cet agitateur. Toutes les villes rentrèrent dans l'obéissance, à l'exception de Mahdia, qui ne fut emporté qu'après un long siège. Lorsque l'émir retourna dans l'ouest il nomma au commandement de l'Afrique orientale Abou Mohammed ben Bou Hafez, qui devint plus tard le chef d'une dynastie indépendante. A peine rentré dans sa capitale (Maroc), En-Nacer apprit que l'Andalousie était envahie par des armées chrétiennes ; Alphonse de Castille s'était emparé de Baëna, ravageait les environs de Séville et de Cordoue, et parcourait le pays en vainqueur.

l'armée mit une année entière à se former ; en 607 (1210 de J. C.) elle arriva à Séville. Cette invasion annoncée longtemps d'avance avait produit la plus vive émotion dans toute l'Europe. Le pape Innocent III avait fait prêcher une croisade pour repousser les ennemis de la chrétienté. De nombreux croisés, Français, Allemands, Italiens, passèrent les Pyrénées et vinrent s'unir aux troupes espagnoles. Les deux armées se rencontrèrent dans les plaines de Tolosa, au pied des montagnes de la Sierra Morena. L'armée des Almohades fut mise en déroute et presque complètement anéantie. Cette victoire de la chrétienté contre les forces réunies de tous des peuples musulmans de l'ouest marqua le commencement de la décadence de l'islamisme en Espagne. Les progrès des princes chrétiens ne s'arrêtèrent plus, et l'Europe occidentale, qui avait eu tant à souffrir de l'invasion arabe, dans la Péninsule et dans le midi de la France, fut définitivement délivrée des alarmes auxquelles elle était sans cesse en proie. Le drapeau musulman ne se releva pas de cet échec, et la puissance des Almohades ne fit que décroître. Lorsque En-Nacer fut de retour à Maroc, il abdiqua en faveur de son fils El-Mostancer.

L'émir donna aussitôt des ordres pour qu'on se disposât à la guerre sainte ; El-Mostancer était un prince faible, recherchant avidement le plaisir et abandonnant le soin des affaires à des ministres avides et intrigants. L'usurpation commença à démembrer son empire. En 613 (1216 de J. C.) les Beni Merin, qu'on verra recueillir dans le Maroc l'héritage des Almohades, obtinrent des succès contre El-Mostaneer. Sa mort fut le signal de troubles et d'agitations en Espagne et en Afrique. Abou Mohammed Abdel-Ouahed, frère d'En-Nacer, élu par les cheikhs des Mouaheddin, ne régna pas longtemps ; il fut déposé par le même conseil qui l'avait fait proclamer et qui investit à sa place El-Adel. Peu de jours après, il fut étranglé dans le palais où il s'était retiré.

Il fut le premier émir des Almohades qui eut une pareille fin.
La guerre s'alluma ensuite entre les Mouaheddin, espèce de milice religieuse, dont le noyau avait été formé par les premiers sectateurs d'Abou Abd-Allah, qui s'était depuis considérablement accrue et était devenue une sorte de garde prétorienne. Au milieu des troubles qui agitaient le pays, ces milices, s'arrogeant la gloire d'avoir fondé l'empire des Almohades, ne mirent plus de bornes à leurs exigences ; bientôt elles annihilèrent l'autorité des souverains, les déposèrent et les firent proclamer au gré de leurs caprices ou de leurs intérêts.

El-Adel, qui commandait à Murcie avant son élévation au pouvoir, ne jouit pas longtemps du fruit de ses intrigues ; les cheikhs, gagnés par son frère El-Mamoun, gouverneur de Séville, l'étranglèrent avec son turban ; mais celui-ci fut presque immédiatement déposé au profit d'Iahïa, fils d'En-Nacer.
Ce prince ne put se maintenir, et dut s'enfuir à l'approche d'El-Mamoun, qui avait quitté l'Andalousie et était débarqué à Ceuta pour réclamer le bénéfice de sa première élection. Les cheikhs lui firent leur soumission.

El-Mamoun était très versé dans les sciences, éloquent, brave et politique habile ; il voulut porter remède aux maux qui déchiraient l'empire. Dans ce but, il réforma la constitution que le fondateur de la dynastie avait d'abord établie ; il abolit le conseil des dix cheikhs et l'assemblée des soixante-dix chefs berbères, dont l'esprit remuant avait donné une si funeste instabilité au pouvoir. Il concentra toute l'autorité entre ses mains. Il prit un corps de Curdes à son service, et en forma une garde d'élite pour sa défense personnelle. Depuis la première apparition de ces Turcs en Afrique, d'autres étaient arrivés en grand nombre.
El-Mamoun assigna à ce nouveau corps une prééminence marquée sur les Mouaheddin ; il lui alloua une solde mensuelle ; il donna aux principaux chefs des fiefs, et leur accorda des avantages considérables. Les historiens font également mention d'un corps de soldats chrétiens qui était au service de ce prince, sans faire connaître si ces chrétiens étaient des esclaves ou des engagés volontaires originaires du pays, ou venus d'Espagne.

El-Mamoun, se croyant alors en position d'agir plus énergiquement contre les Mouaheddin, attaqua leurs doctrine, et fit massacrer tous leurs chefs principaux. Il se rattacha à la secte orthodoxe de l'imam Malek. Cette réforme politique et religieuse ne put sauver son pouvoir ; il perdit les îles Baléares, dont les chrétiens, sous la conduite de Jacques d'Aragon, se rendirent maîtres. Une révolte éclata en Espagne, et Bou-Houd, cheikh d'origine arabe, après avoir battu El-Mamoun aux environs de Tarifa, s'empara de Séville, de Grenade, de Mérida, et jeta les fondements du royaume de Grenade, qui fut le dernier refuge des musulmans refoulés vers le midi de la Péninsule. Enfin les Arabes de la province de Tunis, qui avaient été soumis par El-Mansour, reprirent les armes. El-Mamoun ne put résister à la douleur de voir échouer tous ses efforts ; il mourut de chagrin, après trois ans et demi de règne, et eut pour successeur son fils Rachid.

Après ce prince trois émirs de la dynastie des Almohades occupèrent encore le trône. Mais des soulèvements nombreux dans la province de Tunis, dans celle de Tlemsen et dans le Maghreb-el-Aksa, amenèrent le démembrement général de ce vaste empire. Trois dynasties principales s'élevèrent au milieu de ces convulsions : les Beni Merin, dans les provinces de Fès, de Maroc et de Mekneça ; les Beni Hafez, dans la province de Tunis ; les Beni Zian, à Tlemsen. La plus grande partie de l'Algérie actuelle était comprise dans ce dernier État. Édris ben Saïd fut le dernier émir almohade ; il périt dans une bataille que lui livra à Dékala, au sud de Maroc, Iakoub, chef des Beni Merin, en 667 (1269 de J. C.). La dynastie fondée par Abou Mohammed ben Toumart compta quatorze émir, et régna pendant cent cinquante-deux années lunaires (148 de l'ère vulgaire). Avec elle finit la puissance de la nationalité berbère. Si des princes de cette race parvinrent encore à établir leur autorité sur certaines portions du Maghreb, on ne voit plus se former un empire général ; le grand rôle politique de ces réformateurs religieux ne s'élèvera plus à des proportions aussi considérables. Les sectes successives, les révoltes, les luttes entre les tribus appartenant à des origines diverses, jetèrent dans ces populations de tels éléments de dissolution, que l'unité ne put plus être reconstituée. D'un autre côté, à mesure que la domination musulmane s'épuisait par des déchirements intérieurs, les nations chrétiennes achevèrent de se constituer après avoir dépossédé l'islamisme de toutes les contrées qu'il avait envahies, lorsque l'ardeur toute jeune encore du prosélytisme l'entraînait à des expéditions lointaines, ou lorsqu'au contact de sectaires sauvages et de races nouvelles il avait retrouvé un redoublement de fanatisme. Les peuples de l'Europe firent à leur tour irruption en Afrique, et précipitèrent par des entreprises incessantes, et quelquefois par des conquêtes plus étendues, le morcellement et la rune des États musulmans dans le nord de ce continent.

(1) voyez Études sur la Kabylie proprement dite, par E. Carette, tome II, page 23 et suiv. (Exploration scientifique de l'Algérie).
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Mis en ligne le 03 septembre 2012

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