Maurice El Medioni, le roi oranais du pianoriental s'est éteint lundi 25 mars à l'âge de 95 ans. Son jeu, le pianoriental, façonné à Oran, sa ville natale incarnait une vision de la sono-mondiale avant l'heure, croisant musique orientale, rumba cubaine et boogie-woogie.

C'est dans des bars d'Oran, au contact des pianistes américains et portoricains enrôlés sous la bannière étoilée et massés dans la ville dès 1942, que Maurice Medioni, jeune pianiste autodidacte alors âgé de 14 ans seulement, s'est familiarisé avec la rumba cubaine et le boogie woogie. " Ils venaient dans le bar où je jouais malgré mon jeune âge, certains après- midis. A leur demande, je leur laissais le piano et les écoutais bouche bée, fasciné par leur jeu et leurs improvisations. Rentré chez moi, le soir, je m'appliquais à reproduire ce que j'avais entendu " racontait Maurice Medioni, à ceux qui lui prêtaient une oreille. " En 45, quand les américains sont partis, j'ai stagné pendant deux ans, jusqu'à cet après-midi où trois jeunes maghrébins m'entendant jouer au Café Salva, m'ont demandé de les accompagner dans leur chant. J'ai interprété un air de raï sur lequel ils ont chanté, air que j'ai fait évoluer, mêlant l'esprit du quart de ton oriental à la rumba cubaine et au boogie- woogie. Ils ont trouvé ça merveilleux et m'ont proposé de faire un groupe. Le soir même, on se produisait dans le bar. Ce fut un succès " raconte ce musicien juif oranais, qui a rejoint la France en 1962 et a fini par s'installer tout près du Vieux-Port de Marseille comme tailleur, son métier, après un séjour à Paris.

Un accompagnateur recherché

Maurice Médioni est né le 18 octobre 1928 à Oran. C'est en hommage à cette ville où Algériens, Français et Espagnols priaient Allah, Jésus ou Yahvé selon leur appartenance religieuse, qu'il avait glissé "el" entre son prénom et patronyme, afin de marquer sa singularité et de lier un peu plus encore musiques arabes et latines par le biais de ce pronom commun aux deux langues. Sa chaleureuse présence et ses talents d'improvisateurs en faisaient un accompagnateur recherché.
Maurice comme on l'appelait amicalement après qu'il a ponctué sa phrase d'une de ces légendaires blagues, n'aimait pas les cadres trop formels des partitions réglées comme du papier à musique. Expansif, il se répandait à foison sur les 88 touches de son piano, improvisant des enluminures afro-cubaines autour des thèmes des chansons francarabes des vedettes de l'époque (Line Monty, Lili Boniche, Lili Labassi, Blond Blond, Salim Halali) et même au fil du répertoire plus rigoureux de la musicienne et chanteuse Reinette l'Oranaise formée par Saoud l'Oranais, l'oncle de Maurice.

Vivre dans le temps présent, au tempo du moment.

Ce style très personnel lui offrit le plaisir d'enregistrer son quatrième album à New York en 2006, en compagnie du groupe du percussionniste cubain de la Grosse Pomme Roberto Rodriguez. Maurice était avide de rencontres. Je me souviens de notre premier échange, au téléphone dix ans plutôt, puis de sa venue, un soir où je mixais au Café Julien (Marseille), il y a plus d'un quart de siècle. Maurice avait alors 68 ans et venait de publier Café Oran, son premier album. Il était curieux du monde des musiques d'aujourd'hui. Il ne pouvait se résoudre à voir disparaître les musiques judéo arabes dans la foulée de ses amis des deux rives de la Grande Bleue partis avant lui.
Ainsi, le duo Aleph Beat réalisa quelques années plus tard, avec son accord et sa participation, un remix d'un de ses titres rebaptisé Laissez-moi me griser, pour une compilation initiée par l'Espace Julien dans le cadre d'un projet autour de la transmission. Le remix fut interprété en sa compagnie, machines et piano donc, lors d'une unique représentation sur la scène du Café Julien. Je me souviens de son enthousiasme, de son jeu intarissable et débordant, de son humeur radieuse et des souvenirs qu’il aimait à raconter dès qu’il en avait l’occasion. La nostalgie avait grâce à ses yeux. Mais pour lui, le bon vieux temps n’avait d’intérêt que s’il permettait de vivre et de s’inscrire dans le temps présent, au tempo du moment.

Quand arriva 50 ans après le départ des Français d’Algérie, le projet El Gusto qui réunissait à la façon d’un Buena Vista Social Club algérien, musiciens juifs et musulmans, il fut heureux de retrouver ses amis d’antan. Ensemble, ils ont redonné vie à quelques grands airs du chaabi, la musique algéroise « qui fait oublier la misère, la faim, la soif » et qu’ils chérissaient tous.

Il est parti, entouré des siens au début de la semaine et depuis, nous sommes nombreux encore à entendre son rire et à danser sur son Raï, Rock, Rumba, titre programme enregistré sur Café Oran. Sonnez trompettes, résonnez pianos !

Baba Squaaly
https://www.nova.fr/news/maurice-el-medioni-le-pianoriental-a-perdu-son-roi-253109-03-04-2024/


Il y a près de 70 ans jour pour jour, un jeune pianiste juif d'Algérie prometteur du nom de Maurice El Medioni a envoyé une lettre à la superstar juive marocaine Samy Elmaghribi à Casablanca.
" Je ne vous ai pas oublié ", écrivait-il le 31 mars 1954. " Si je ne vous ai pas écrit plus tôt, c'est parce que j'ai été très occupé. " El Medioni a néanmoins fait savoir son intention d'amener son homologue à Alger et à Oran pour se produire en concert.

En avril 1955, El Medioni accompagnait Elmaghribi, décrit par un journal comme " la plus grande attraction arabe de tous les temps ", en Algérie pour une série de concerts du Ramadan qui firent une impression remarquable sur le public juif et musulman.
Au milieu du XXe siècle, les musiciens juifs nord-africains ont continué à donner le ton au Maroc, en Algérie et en Tunisie, y compris en pleine guerre de libération.

Jusqu'à la mort d'El Medioni le 25 mars en Israël à l'âge de 95 ans, le pionnier du style "pianoriental" et un innovateur musical accompli est resté presque aussi occupé que des décennies plus tôt, bien qu'à une époque et dans un lieu très différents de ceux où il a d'abord fait sa marque.

Né dans le quartier juif d'Oran en 1928, El Medioni était l'héritier d'un pedigree musical arabe et andalou enviable, une lignée qui comprenait le maître musicien du XIXe siècle Ichoua " Maqshish " El Medioni (vers 1826-vers 1899) et Messaoud. "Saoud" El Medioni (1886-1943). Le frère de son père, connu sous le nom de Saoud l'Oranais, était l'un des artistes algériens les plus importants du tournant du XXe siècle et de l'entre-deux-guerres et a eu une influence considérable sur son jeune neveu qui s'était déjà mis au piano en tant que musicien. jeune garçon dans les années 1930.

La Seconde Guerre mondiale a eu un impact profond sur Maurice et sa famille. Comme tous les Juifs algériens, les El Medioni se sont vu retirer la citoyenneté française par le régime de Vichy et se sont retrouvés soumis à des lois raciales anti-juives. Son célèbre oncle Saoud, établi à Marseille juste avant le déclenchement de la guerre, fut assassiné à Sobibor. Pour les Marocains et les Algériens, l'Opération Torch, le débarquement massif mené par les Américains et les Britanniques en Afrique du Nord en novembre 1942, a marqué le début de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cela a également mis Maurice face à face avec des militaires américains de couleur qui ont fait découvrir au pianiste en herbe le monde du bebop, du boogie-woogie et de tous les rythmes latinos.

Mêlant les sonorités de l'Orient et de l'Occident sur un instrument qui privilégie ces dernières, Maurice se positionne rapidement au centre de la vie nocturne d'après-guerre dans son Oran natal, aux côtés et en partenariat avec des collaborateurs musicaux musulmans comme Blaoui Houari. Le jour, il développait son entreprise de couture ; la nuit, il tournait aux côtés d'étoiles montantes et de vétérans à travers l'Afrique du Nord.

Dès 1958, il commence à apparaître à l'émission arabe de la télévision française en Algérie. Son nom a commencé à être régulièrement mentionné dans la presse. Cependant, en 1961, alors que la guerre d'Algérie entrait dans sa dernière année et que la violence et l'incertitude s'installaient, Maurice et sa famille quittèrent leur pays d'abord pour Israël, puis pour Paris et enfin pour Marseille.
En France, les El Medioni ont rejoint des dizaines de milliers puis des centaines de milliers de juifs et musulmans maghrébins qui se sont établis sur la rive nord de la Méditerranée en pleine décolonisation.

Tout en continuant à gagner sa vie comme tailleur, les doigts adroits de Maurice lui amènent d'autres types de public dans les clubs et cabarets d'Afrique du Nord qui continuent à attirer juifs et musulmans malgré les tensions au Moyen-Orient. Ornant les offres de certains des plus grands chanteurs marocains, algériens et tunisiens de l'époque, son partenariat le plus important et le plus durable fut avec la chanteuse juive algérienne Line Monty (née Éliane Serfati) à partir des années 1960 et 1970 . Parmi ses nombreuses contributions au répertoire en constante expansion connu sous le nom de " francarabe ", citons " Ana Ene Hobbek " (" Je t'aime "), enregistré par " l'Algérienne Edith Piaf " sur un LP éponyme sorti sur le label parisien Dounia ( dont le propriétaire était le percussionniste et imprésario juif tunisien El Kahlaoui Tounsi). Tout comme les paroles alternées en arabe et en français de la chanson, les mains de Medioni parlaient leurs propres langues complémentaires et dérivaient entre les mondes superposés qu'il habitait. Que ce soit sur " Ana Ene Hobbek " ou sur son classique " Ahla Ouassahla " (" Bienvenue "), il a créé une expérience immersive dans laquelle ses auditeurs pouvaient ressentir à la fois passé et présent.

Christophe Silver
https://www.jforum.fr/maurice-el-medioni-pianiste-oriental-decede-a-95-ans.html


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Mis en ligne le 05 janvier 2024

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