Au commencement, les canons parlèrent. Vite remplacés par le pacifisme conjugué des panoplies médicales et agricoles. Paradoxe des conquêtes qui se servent en alternance de l'arme qui tue et de l'arme qui soulage... A la fin, les canons parlèrent encore. Trop fort, pour que l'on se souvint que la médecine et l'agriculture avaient déjà, elles, gagné la partie.

En gros, dans les années qui ont précédé l'indépendance, le secteur agricole européen représentait en Algérie 22 000 exploitations couvrant 2 800 000 hectares.
Selon une estimation modérée, faite pour servir de base à une juste indemnisation, la valeur de ces biens - terres et équipements - atteignait 8 milliards 100 millions et le dernier produit brut calculé en 1954 était de l'ordre de 1 milliard 100 millions ; le tout se répartissant comme indiqué dans le tableau ci-après.
Ces exploitations étaient de superficie et de valeur inégales et quelques centaines seulement situées en zone favorable ou pratiquant des cultures intensives pouvaient mériter à leurs propriétaires l'épithète, trop souvent employé dans un sens péjoratif, de "gros colons".

1. Production végétale surfaces (ha) % de la valeur globale Produits en millions de fracs Pourcentages
Céréales et légumes secs 1 700 000 32,5 % 273 24,5%
Cultures industrielles 12 000 0,6 % 15 1,3 %
Cultures arbustives 71 000 13,2 % 114 10,3 %
Cultures maraîchères 30 000 5,5 % 101 9,1 %
Vignobles 330 000 44,1 % 517 46,6 %
Divers (parcours, terres improductives, forêts) 660 000 3,3 % - -
2. Production animale - - 90 8,2 %

Les quelques chiffres du tableau montrent que ces agriculteurs, souvent bons techniciens, doués d'esprit d'entreprise et se tenant en liaison étroite avec les laboratoires et stations de recherche et d'expérimentations, en tête desquels se place l'Institut agricole de Maison-Carrée, avaient atteint un bon niveau de productivité. Il est important de souligner cet esprit de progrès qui animait de nombreux colons européens et musulmans, et la bonne entente avec les services officiels ayant la charge de l'agriculture, et l'Université. Je puis en témoigner, ayant eu la responsabilité de ces services pendant une vingtaine d'années, et je regrette que les limites de ce chapitre ne me permettent pas de rendre l'hommage qu'i1s méritent à tous ceux, chercheurs, enseignants, vulgarisateurs, colons, qui furent les artisans de ce succès. Quelques noms pourtant parmi les disparus : Tribut, Maire, Ducellier, Laumont pour les céréales et les plantes de grande culture ; Vivet, Fabre, Brémond en viticulture et œnologie ; Trouette, Leblois pour l'élevage; Brichet, Rebour, Monciero pour l'arboriculture et le palmier dattier ; Delassus, Frézal et Pasquier en parasitologie, ce dernier mort a son poste a Maison-Carrée, ou il était resté après l'indépendance, et qui faisait autorité dans le monde entier pour tout ce qui concerne la biologie et les techniques de la lutte anti-acridienne.
L'insectarium du Jardin d'essais avait mis au point des procédés originaux de désinsectisation par les gaz. La direction de l'hydraulique, sous l'impulsion de son directeur Drouhin, avait approfondi les études agrologiques, notamment celle des terrains sales. La direction des Forêts avec Saccardy, avait perfectionné les techniques américaines de restauration et de conservation des sols. Au moment où il est beaucoup question d'économie d'énergie, il faut bien rappeler que c'est à Maison-Carrée que les professeurs Ducellier et Isman ont entrepris des études qui les ont conduits à préconiser la fabrication et l'utilisation du " gaz de fumier " en remplacement du gaz de ville, voire de l'essence. Des applications pratiques existaient à Maison-Carrée même et dans un certain nombre d'exploitations d'Afrique du Nord et de la métropole.
On pourrait penser que cet esprit " pionnier ", avait pour contrepartie un farouche individualisme. Il n'en est rien, comme le prouvent les multiples réalisations coopératives et mutualistes qui couvraient l'Algérie avant même que la loi de 1936 sur l'Office du blé eut rendu, pour cette production, la coopération obligatoire. Enfin, en 1956, des textes originaux avaient fixe les modalités d'une réforme agraire efficace et créé un établissement spécial, la C.A.P.E.R (Caisse d'accession à l'exploitation et à la propriété rurale), qui, sous l'impulsion de son directeur l'ingénieur en chef Herbault, avait obtenu en quelques armées des résultats très encourageants, amorçant une véritable restructuration foncière au profit des musulmans les plus démunis.

Marcel Barbut - " Ces minorités qui font la France - Les pieds-noirs " Ed Philippe Lebaud 1982

Marcel Barbut est né dans l'Yonne, le 28 avril 1897. Ingénieur agricole, il est détaché en Algérie en 1937 pour exercer les fonctions d'inspecteur général de l'Agriculture algérienne.
ll y demeurera jusqu'en 1958. Marcel Barbut assumera en outre la direction de I'institut agricole de Maison-Carrée j'usqu'en 1953.
Il fut commandeur de la Légion d'honneur et du Mérite agricole et officier du Mérite saharien. Il décède en 1992.

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Mis en ligne le 19 nov 2010

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