La caserne des Tagarins 3
Le 6 octobre 1961 SAUVEUR COSTAGLIOLA est arrêté.

" On vint me chercher le premier. Je descendis dans une cave où il y avait deux bureaux et deux chaises. La pièce était bien isolée.

Je m'arrêtais devant un bureau derrière lequel se tenaient deux inspecteurs du Xlème arrondissement que je connaissais bien : Cabrol et Thévenol mais qui avaient pris parti pour les barbouzes, je crois. Ils me firent asseoir. Je sentis dans mon dos un souffle puissant, je me retournais et reconnaissais pour la deuxième fois, celui qu'on appelait " le chef des barbouzes " c'est-à-dire le Colonel de Brosse. Je remarquais ses grosses mains, nos regards se croisèrent sans sympathie.
Sans rien dire, il tourna les talons et partit.

Cabrol et Thévenol commencèrent leur interrogatoire. Je racontais mon histoire comme nous l'avions combinée entre nous quatre.
Ils n'en crurent pas un mot bien sûr (c'était gros, j'en conviens) mais on n'avait rien trouvé d'autre à dire. Ils me firent répéter plusieurs fois l'histoire espérant que j'allais me couper dans mon récit. Ils savaient que je mentais et me suppliaient de dire la vérité avant que quelqu'un d'autre ne vienne me cuisiner (entendez par là les " barbouzes ").
Dans un sens, ils m'avertissaient que ça allait mal tourner pour moi. je maintenais ce que j'avais dit pendant plus de cinq fois. Voyant mon entêtement, ils ne dirent plus rien, me regardèrent, puis leurs yeux se dirigèrent vers un coin de la pièce resté sombre, je me tournais et vis un homme brun sortir de l'ombre et venir nous rejoindre. Il se présenta " Inspecteur Sarrhoui " et d'ajouter : " Avec moi, ça va changer, tu vas parler de gré ou de force parce que tu mens. "

Ils étaient à présent trois pour me cuisiner : je ne changeais pas d'un pouce. Alors Sarrhoui me demanda de me déshabiller complètement. Je refusais. Ils me déshabillèrent de force. Je me retrouvais nu au milieu de la pièce : j'étais mort de honte, humilié. Là mon moral en prit un grand coup. J'avais tout supporté la première nuit : coups, menaces de mort par revolver et couteau du jeune musulman, je ne craignais pas la souffrance ni la peur de mourir…
La souffrance je la supportais mais être nu, j'en pleurais de rage, moi qui n'allais jamais à la plage parce que j'avais honte d'être en maillot le torse nu, j'étais horriblement timide, Sarrhoui avait trouvé là mon point faible et il le savait.

Ce n'était pas fini : il me lia les chevilles, me fit asseoir par terre puis replier les jambes vers la poitrine de façon à pouvoir lier mes poignets et les faire passer par dessus mes genoux ce qui lui permettait de passer un bâton d'un mètre de long environ entre mes genoux et mes bras liés et ainsi me suspendre entre deux tables. Je me trouvais donc la tête renversée, l'anus, les parties et la verge en l'air.
Une dernière sommation me fut faite, je répétais toujours pareil mais je crevais de honte. Il me dit : " Tu l'auras voulu ". Il me plaça un premier bâillon entre les dents, un deuxième sur la bouche et pour finir un sur les yeux.

Dès cet instant les coups de pieds dans le dos, dans la gorge arrivèrent très vite. De temps en temps, ils m'enlevaient les baillons pour que je parle. Je ne disais toujours rien, les baillons aussitôt replacés, la correction reprenait. Les coups ne me faisaient rien. J'avais honte de mon corps dénudé. J'ai confiance, c'est l'inconnu qui m'inquiète et puis je suis nu et de ça j'ai horreur : je meurs de honte…

Une fois encore, on m'enleva mes baillons et là un flot de sang sortit de ma gorge endolorie. Il y eu un moment de surprise parmi mes tortionnaires. Je ne savais pas qui me battait puisque j'avais un bandeau sur les yeux. J'entendis dans le lointain " Donnes lui un verre de vin et continuons ! "
Les baillons remis en place on m'aspergea d'eau de la tête aux pieds (je savais ce qui allait suivre puisque j'avais assisté à un interrogatoire sur des terroristes musulmans alors que je m'étais porté volontaire pour participer à des opérations avec les garde-mobiles et ce en 1956)…

Donc une fois aspergé d'eau de la tête aux pieds, on me brancha le courant sur l'anus, les parties et la verge : ça me brûlait, je souffrais énormément, j'avais le dos en compote, la gorge en feu mais ce qui me faisait le plus souffrir c'était d'être nu, (mentalement ma souffrance et l'humiliation était plus importante que le physique), d'avoir toute mon anatomie en l'air et la tête en bas tel un animal : l'électricité, les coups de pieds allaient de plus en plus vite, je sentais un flot de sang m'envahir la gorge, j'étais épuisé moralement, ce traitement durait déjà depuis plusieurs heures, ils m'enlevèrent les deux baillons de la bouche, le sang sortit d'un seul coup, je fis signe que je voulais parler…

Je voulais mourir, je répétais sans cesse aux inspecteurs " J'espère que l'OAS va me tuer, je le mérite ". Sarrhoui me répondit : " Ce n'est pas fini pour toi " mais le fait de n'avoir avoué qu'une infime partie me regonfla à bloc.
Sarrhoui : " Pourquoi tu commettais ces attentats ? ", je répondais sans cesse : " Je veux que l'Algérie reste Française, égalité entre Pieds-Noirs et Musulmans, et ceux contre lesquels on agit sont des terroristes et pas des innocents " et lui de me répondre " Tiens, voilà un idéaliste ".
Il était 4 heures du matin. Je venais de passer plus de six heures d'interrogatoire accompagné de tortures, j'étais vidé moralement et physiquement…

La troisième nuit arriva

Une fois la caserne endormie, vers 21h30, on revint me chercher ; on me conduisit dans la même cave, il y avait toujours les deux tables et les trois inspecteurs. Je ne saurais dire qui me battait ou me mettait l'électricité.
Sarrhoui attaqua le premier en me demandant si je n'avais rien d'autre à dire. Je lui répondais simplement ce que ce j'avais fait c'était pour que l'Algérie reste Française, et lui de rétorquer : " Déshabilles-toi idéaliste ! ". Je refusais. Ils me déshabillèrent de force, me ficelèrent à nouveau les chevilles, m'assirent par terre, me rabattirent les genoux vers la poitrine et une fois les poignets ficelles à leur tour me les firent passer dessus les genoux afin de me suspendre entre les deux tables après y avoir glissé un bâton et m'avoir appliqué les baillons. Je me retrouvais dans la même position que la veille, tel un animal entre leurs mains de tortionnaires.

Suspendu et à leur merci, les coups de pieds dans le dos et dans la gorge se mirent de nouveau à pleuvoir et de plus en plus vite. De temps en temps, il m'enlevait les deux baillons pour voir si j'avais quelque chose à dire et pour toute réponse, ils recevaient un flot de sang qui sortait de ma bouche. N'en tenant plus compte, ils remettaient les baillons, m'aspergeaient d'eau assez largement afin que le courant passe encore mieux que la veille et recommençaient leur sale besogne.

Je souffrais dans ces moments là, énormément surtout lorsqu'ils me l'appliquaient sur les parties génitales et sur l'anus. Là, je faisais des bonds mais ne disais toujours rien.

Voyant mon entêtement, Sarrhoui m'enleva le bandeau des yeux et me dit : " Maintenant, ça va changer, tu vas parler de gré ou de force ".
Il sortit son revolver qu'il pointa sur ma tempe, puis sur le cœur j'avais tout le sang à la tête, vu ma position renversée, j'avais envie de rejeter le sang qui s'accumulait dans ma gorge tandis que lui se régalait à me faire sentir sur tout le corps, le froid de son arme.
Je lui fis un signe avec mes paupières, une fois le bandeau enlevé c'est tout ce que je pouvais bouger.
Il crut que je voulais avouer. Il m'enleva les deux baillons de la bouche et pour toute réponse reçu mon sang et comme il s'impatientait en hurlant : " Alors, tu parles ? " je lui fis signe de nouveau avec mes paupières et il dut s'asseoir par terre et se pencher vers moi en raison de ma position et j'ajoutais " Tuez-moi, allez-y. tuez-moi qu'on en finisse ".
je le pensais vraiment à ce moment là. J'avais tellement honte d'être tout nu c'était trop humiliant, la souffrance physique, je la supportais bien, les coups de pieds, de poings, l'électricité sur tout le corps à la limite, mais nu cela me devenait insupportable.

Sarrhoui devint vert de colère.
Il replaça mes baillons et repris la torture jusqu'à 4 heures du matin. Six heures étaient passées quand on me ramena à mon lit de camp et qu'on me remit les menottes.

CELA DURA 9 NUITS. Je n'avais rien dit d'autre et même je reniais tout ce que j'avais avoué au cours de la deuxième nuit malgré toutes les menaces de mort, coups et électricité. Je crois qu'à ce stade de souffrance, plus rien n'avait de prise sur moi.

" Nous qui avons été ceux-là " de Sauveur COSTAGLIOLA - Extraits

Retour en haut de la page


Mis en ligne le 22 février 2015

Entrée  - Introduction  -   Périodes-raisons  -   Qui étaient-ils?  -   Les composantes  - Les conditions - L'attente  -   Le départ  -  L'accueil  -  Et après ? - Les accords d'Evian - L'indemnisation - Girouettes  -  Motif ?  -  En savoir plus  -  Lu dans la presse  -