Présidence de M. Alain Hautecœur, président. M. Pierre BOURGUIGNON : Quelle fut l'évolution du SAC depuis 1959 ?
M. Alain GUERIN : Il y a eu une série de mutations politiques et de modifications de recrutement. Durant une première période, le SAC s'est opposé à l'OAS comme certains de ses membres s'étaient opposés à Vichy. Avec des méthodes parfois non orthodoxes, je pense par exemple à l'enlèvement d'Argoud. Il y avait déjà des truands parmi ses membres, mais d'autres continuaient le même combat contre le fascisme. M. le Président : A l'occasion des procès contre l'OAS, avez-vous entendu parler du SAC ? M. Alain GUERIN : Le gaullisme a toujours négligé ou méprisé la lutte de masse contre l'OAS. On parlait surtout des barbouzes et l'on sait que Lemarchand recrutait des gens pour le compte de Frey. Le concept de barbouze recouvrait aussi bien des policiers à qui l'on donnait de faux papiers, que des truands pourvus de cartes de police. Il y a donc eu une confusion sur la nature des barbouzes. On parlait beaucoup de la mission C de Michel Hacq, mais je ne me souviens pas que l'on ait parlé du SAC. M. le Président : Vous confirmez ainsi ce que nous avons déjà entendu, non sans surprise: le SAC n'a pas participé à la lutte contre l'OAS. Savez-vous quelque chose de précis sur l'enlèvement d'Argoud ? M. Alain GUERIN : On m'a dit que c'était la sécurité militaire qui l'avait organisé, peut-être avec le concours d'Attia et Boucheseiche. La sécurité militaire est celui des services spéciaux qui a été le plus nettement |
contre l'OAS. Il n'est pas douteux que des truands aient collaboré avec des services secrets, dans l'affaire Ben Barka notamment. C'est un truand corse, employé autrefois par la Sécurité militaire en Algérie, qui aurait tué Figon. Et l'on a souvent constaté, lors de procès, que des policiers intervenaient discrètement. Il se crée des liens complexes entre les truands et les policiers où la reconnaissance et l'amitié ne sont pas exclues. M. le Président : On l'a vu dans le cas de Jean Augé, en faveur duquel un officier du SDECE, est venu témoigner. M. Alain GUERIN : Je reviens sur un de vos propos: vous dites que le SAC n'a pas agi contre l'OAS, c'est possible. Mais le fait qu'il n'apparaisse pas, ne le prouve pas. Il fallait bien une structure pour coordonner l'action des barbouzes: peut-être se trouvait-elle dans l'appareil d'Etat, Sanguinetti, Foccart , mais il n'est pas sûr que le SAC n'ait pas été une structure parallèle.
M. le Président : Peut-être y a-t-il à côté du SAC officiel une structure plus cloisonnée, à demi clandestine. M. Alain GUERlN : Il est certain que Pompidou n 'y était pas impliqué, sinon par voisinage. Les photos étaient des faux fabriqués par la base de Paris du SDECE. Il est probable que tout cela fut encouragé par l'entourage du général de Gaulle, lequel aurait au moins laissé faire. Telle est la conviction que nous avions acquise à l'époque, et je me souviens que, lors d'un débat électoral à RTL, René Andrieu le déclara au président Pompidou. M. Pierre BOURGUIGNON : Qu'entendez-vous par l'"entourage" du général de Gaulle ? M. Alain GUERIN : Les Américains citent en général deux noms: ceux de Ponchardier et de Barberot, pour avoir été des ambassadeurs en Amérique du Sud, pour y avoir utilisé des gens du SAC, des trafiquants, d'anciens collaborateurs. On peut être un gaulliste de gauche et manipuler des gens à qui on est opposé complètement. La notion d'entourage est très complexe à définir chez les gaullistes. Quand je parle de l'entourage, je pense aussi à Foccart, à Sanguinetti qui avait un côté "quarante huitard-bolchevik-gaulliste " séduisant, mais aussi un côté " barbouzard ". M. le Président : Je vous remercie sincèrement. Cette Commission aura constaté que les dépositions les plus fouillées, les plus cohérentes, les plus réfléchies, auront été celles des journalistes, qui ont placé les problèmes dans une perspective très éclairante pour nous. |