Le 19 mars 1962, la fin de la guerre ?

L'après-cessez-le-feu du 19 mars 1962

Détournées de la lutte contre le terrorisme pour se consacrer à celle contre l'organisation armée secrète (O.A.S.) et les partisans de l'Algérie française, les forces de l'ordre assisteront, impuissantes, sous le regard d'un exécutif provisoire sans autorité et d'un gouvernement provisoire de la République algérienne (G.P.R.A.) incapable d' assurer la relève de la France, à la mainmise sur le pays par des réseaux du Front de libération nationale (F.L.N.) qui, considérablement renforcés par une nouvelle libération de huit mille cinq cents fellagas et libres de toutes contraintes, sans se départir de leur logique révolutionnaire et de l'usage de la terreur, se rendront coupables d'assassinats de centaines de milliers de personnes et de l'exode d' un million d'autres.

L'historien Jean Monneret (1) analyse cette situation en ces termes :
" Dès lors qu'une des parties était, non pas un état démocratique, mais un mouvement révolutionnaire, c'était là parier sur une bien aléatoire métamorphose. […]
" En fait, dans les circonstances du moment, les autorités françaises se sont trouvées prises dans une contradiction. Elles ne pouvaient pas proclamer la valeur des Accords d'Évian, les faire approuver par le peuple français, en faire le pivot de leur politique algérienne et prendre simultanément des mesures de défiance envers le FLN. Agir d'une manière qui eût contredit les discours était politiquement intenable. "

Nos dirigeants sont informés de ces dérives criminelles, disposant en Algérie pour cela, outre des sources diplomatiques et médiatiques, de celles, très documentées et détaillées, de leurs services de renseignements qui, à la différence des formations du corps de bataille, sont restés pleinement opérationnels; disposant de moyens d'investigation classiques, dont une flotte aérienne dotée d'appareils de prises de vues performants, ces services fournissent des indications précises tant sur les conditions d'arrestation que sur les lieux de détention des personnes enlevées.

Dans leurs ouvrages, Jean Monneret (2) et Georges Fleury (3) rapportent que le ministre des Armées, monsieur Pierre Messmer, au cours du conseil des ministres du 18 juillet 1962, rend compte de cet état de faits ; ils notent que le président de la République, après avoir déclaré que " Ça se tassera " (Jean Monneret), menace les fonctionnaires, les enseignants et les médecins qui fuient l'Algérie de révocation (Georges Fleury). L'historien Maurice Faivre (4) cite les directives nouvelles que le chef de l'État définit en matière de maintien de l'ordre : " Il faut être maître de la situation, […], appliquer les accords… réserver le moins possible… Il ne s'agit pas des Français, mais de la France… Sur le plan de la Justice, il n'y a aucune sanction des crimes depuis avril ".

Sur le terrain, ces directives se traduisent par des consignes aux unités qui, comme le rapporte Jean Monneret , prescrivent ce qui suit :
" […] il ne doit pas y avoir d' incident avec le FLN. Il ne faut agir pour la protection des Européens qu'à la condition expresse que ceci se passe "sans heurts et en douceur ".
" […] le respect du cessez-le-feu doit primer.
"

Jean Monneret cite (6) les paroles du commandant T (sic) qui déclare que " le commandement minimisait les enlèvements " et que " le cessez-le-feu avait priorité sur la protection des nationaux ".

Cet auteur précise (7) que les officiers et les soldats témoins de crimes de cette nature reçoivent la consigne de ne pas intervenir et de se taire ; que les officiers qui prennent l'initiative de passer outre sont sanctionnés et renvoyés en métropole ; que le F.L.N. obtient des autorités françaises l'éloignement d'officiers et d'unités (placés par lui sur une " liste noire ") qui procèdent à des investigations sur ces crimes.

Dans ces mêmes pages, il cite le cas de deux bataillons qui, intervenant à trois reprises sur initiative de leurs chefs pour libérer des Français torturés et mettre des charniers à jour, sont pris à partie par des individus armés qui s' y opposent ; il ajoute qu' au cours de l'engagement dans lequel un officier français est tué, l'une des deux formations est prise sous le feu d'unités de la force locale et d'auxiliaires temporaires occasionnels (A.T.O).

À la suite de ces faits poursuit-il, les deux unités françaises sont sanctionnées : tandis que ses officiers sont consignés, l'un des bataillons est relevé de son secteur dans les vingt-quatre heures et renvoyé en métropole pour y être dissous ; l'autre bataillon est également relevé de son secteur et son chef, après avoir été consigné, est interrogé " sans aménité " par la sécurité militaire (S.M.) ; il précise que deux de ces interventions ont été exécutées sur renseignements d'autochtones francophiles - dont le courage est à citer en exemple.

Maurice Faivre précise (8) que " les A.T.O. s'opposent aux opérations de recherche des unités françaises ", puis il décrit, à son tour, l'affaire des deux bataillons cités plus haut par Jean Monneret :
" Deux bataillons français qui ont découvert des charniers près d'Alger sont invités à la discrétion et déplacés, d'autant plus rapidement que le colonel Rollet, commandant l'un d'eux, a rendu compte que les commanditaires des enlèvements appartenaient à l'exécutif provisoire. "

Le nombre de Français assassinés ou disparus au cours de cette période varie de près de mille huit cents (chiffre certain cité par Jean Monneret), à beaucoup plus, selon d'autres sources. Dans l'état actuel des connaissances des historiens, il n'est pas possible de dresser un bilan plus précis.

Maurice Faivre (10) révèle que l'armée française, qui connaîtra également son lot de victimes, comptera cent quarante-sept tués et cent deux disparus entre le 19 mars (cessez-le-feu) et le 31 décembre 1962.

Les combats fratricides

Prises dans l'engrenage de la répression contre les partisans de l'Algérie française consécutivement à leur engagement contre l'O.A.S., les forces de l'ordre seront amenées à déployer une activité qui se soldera par des dizaines de milliers d'interventions : perquisitions, visites de logement, contrôles d'identité, rafles préventives… accompagnées de mesures de coercition : arrestations, révocations, expulsions, internements massifs en centres de détention

Les mesures de coercition toucheront l'ensemble de la population, y compris les membres des hautes couches de la société : les ecclésiastiques (dont les évêques), les avocats, les médecins, les directeurs d'établissement, les industriels, les présidents d'association, les syndicalistes, les colons, les cadres et employés des services publics, les spécialistes, les commerçants, les agriculteurs, les ouvriers…

Il est à noter que n'échapperont pas aux représailles les anciens combattants, les compagnons de la Libération, les résistants de la première heure, les pilotes chevronnés de la Première Guerre mondiale…

Du fait de complicités ou de connivences avec les populations et l'O.A.S., la police (dont les trois quarts des membres sont des Français d'Algérie) et l'Armée (qui n'a pas encore été entièrement touchée par les mesures d'osmose) seront particulièrement visées ; il s'ensuivra qu' après une épuration en profondeur, l'administration, la police et le corps des fonctionnaires algériens seront réduits à néant, livrant le pays au chaos.

Indépendamment des méthodes de torture intégrale utilisées par les polices parallèles (les Barbouzes ndlr), les interrogatoires poussés se généraliseront dans le noyau dur des forces de l'ordre qui, par ailleurs, en pleine rue, recourront à l'ouverture du feu sans sommations sur des membres présumés de l'O.A.S.

En France métropolitaine, l'opinion publique est alertée par des scandales ayant pour origine l'hospitalisation, dans des états graves, de personnalités honorablement connues, dont madame Salasc, l'épouse d' un gynécologue réputé ; paradoxalement, ce sont des intellectuels de gauche, menés par le professeur Pierre Vidal-Naquet, qui tirent la sonnette d'alarme, ce qui déclenchera l'intervention de deux commissions d'enquête qui n'auront aucune suite, sinon la relève du colonel de gendarmerie Georges Debrosse et de l'équipe du commissaire de police Louis Grassien.
Lieutenant-colonel Armand Bénésis de Rotrou

1. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d' Algérie, Paris, L' Harmattan, 2000, pages 325 et 364.
2. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d' Algérie, op. cit., page 294.
3. Georges Fleury, Histoire secrète de l' O.A.S., Paris, Grasset, 2002, page 928.
4. Maurice Faivre, Les archives inédites de la politique algérienne - 1958-1962, Paris, L'Harmattan, 2003, page 63.
5. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d' Algérie, op. cit., pages 183 et 187. 6. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d' Algérie, op. cit., page 187.
7. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d' Algérie, op. cit., pages 179 à 186.
8. Maurice Faivre, Les archives inédites de la politique algérienne - 1958-1962, op. cit., page 63. 9. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d' Algérie, op. cit., pages 125 et 166.
10. Maurice Faivre, Les archives inédites de la politique algérienne - 1958-1962, op. cit., page 171.

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Mis en ligne le 02 juillet 2011

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